Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
n°7
Pierre Albert Castanet

Bruno Maderna, un chef d’orchestre ouvert sur le « Tout-monde »

Article
  • Résumé
  • Abstract

Enfant prodige, Bruno Maderna (1920-1973) a dirigé moult orchestres depuis son plus jeune âge dans un répertoire allant de Claudio Monteverdi à Paul Méfano via Gustave Mahler (d’où le rapport à la notion du « Tout-monde » chère à la pensée d’Édouard Glissant). Laissant transparaître un tempérament humaniste, l’article de Pierre Albert Castanet tente de montrer les traits d’un interprète éclectique, attentionné et passionné. En outre, au cœur de l’étude figure une analyse comparée de deux enregistrements de la même œuvre (Le Marteau sans maître) réalisés respectivement par Pierre Boulez et par Bruno Maderna.

Texte intégral

Bruno Maderna, un chef d’orchestre ouvert sur le « Tout-monde »

 

À Bruno Maderna et à Édouard Glissant, in memoriam.

 

« On ne sait plus aimer profondément l’œuvre d’art accomplie. »

Bruno Maderna1

 

« Ouvrez au monde le champ de votre identité. »

Édouard Glissant2

 

Un enfant précoce

 

Le Vénitien Bruno Maderna (1920-1973) a marqué toute une génération de compositeurs et d’auditeurs, avant et après la Seconde Guerre mondiale. Car enfant prodige3, celui que l’on appelait « Brunetto » et qui a été protégé par la princesse Edmond de Polignac, a dirigé fièrement (il avait 7 ans) l’orchestre de La Scala de Milan. Cette activité se réitérera aux arènes de Vérone (devant 20 000 personnes). Puis on le verra officier au Théâtre Verdi de Trieste, à Padoue ou à la Radio de Turin. En 1932, il a participé à une soirée mémorable au château Sforzesco de Milan où il a conduit de mémoire la Quatrième symphonie de Ludwig van Beethoven et le proverbial « prélude » de Tristan et Isolde de Richard Wagner… À cette époque, il rencontre Richard Strauss qui lui donne des conseils en matière de direction d’orchestre. « La critique constata toujours chez le jeune garçon le scintillement du regard et l’étincelle qui détermine la valeur personnelle et l’individualité du chef d’orchestre »4, pouvons-nous lire dans les pages culturelles du Tagesbots du 28 juillet 1936. Une légende était née.

 

Avide de connaissances en tous genres, Bruno Maderna suivra par la suite des cours de direction d’orchestre avec Antonio Guarnieri (à Sienne). Plus que tout autre, ce professeur lui fera prendre conscience de la qualité indispensable du « son » d’un orchestre. Bien que ne désirant pas faire carrière lui-même, le « provincial » Guarnieri était considéré par le jeune apprenti comme un « grand chef » aux talents pertinents5. Puis, introduit par Gian Francesco Malipiero, Maderna suivra avec un vif intérêt les cours de direction d’orchestre d’Hermann Scherchen à Venise (cours inaugurés en 1948), un maître pour lequel il avait une admiration sans bornes (extrêmement doué, il deviendra très vite son assistant6). « Pour nous, Européens, Scherchen était le symbole vivant de la musique contemporaine »7, commentait le jeune musicien vénitien. Analysant l’aura internationale du professeur, Iannis Xenakis affirmait : « Il y avait un esprit, un style Scherchen que j’ai parfois retrouvé chez ses élèves et ses protégés, interprètes ou compositeurs tels Nono, Maderna, Izquierdo… On reconnaissait même cette âme chez des jeunes en apparence réfractaires, tel un Pierre Boulez » (Xenakis, 1986, p. 12). Autodidacte chevronné, son répertoire de découvertes était considérable. Il suffit d’arpenter la liste des grandes œuvres du XXe siècle qui furent créées sous sa direction pour s’apercevoir combien Scherchen fut, « beaucoup plus que les vedettes avides de succès faciles, un infatigable et presque infaillible découvreur de talents »8, comme notait François-Bernard Mâche à la mort du chef d’orchestre allemand, en 19669.

 

Une mission sans compromission

 

Une fois adulte, après avoir installé les Incontri musicali10 (Nono, 2007, p. 46-48) dès 1956 où bon nombre de partitions majeures de la musique contemporaine ont été créées jusqu’en 1960, Bruno Maderna dirigera naturellement l’Ensemble international de musique de chambre de Darmstadt11 (de 1958 à 1967) et enseignera lui-même la direction d’orchestre au Mozarteum de Salzbourg entre 1967 et 1970. En 1971-1972, il sera à la tête du Berkshire Music Center de Tanglewood, avant d’être nommé directeur musical permanent de l’orchestre de la RAI (chaîne de la radio italienne) à Milan. Dans une lettre du 4 février 1972 adressée au professeur Francesco Siciliani – alors directeur de la programmation musicale de la Radio télévision Italienne de Milan –, Maderna affirmait ne vouloir montrer aucun signe de compromission. La recette d’ingrédients proposée était claire : « 50% de musique allant de Monteverdi (ou avant) à Mahler (non inclus), 30% de Mahler à Webern. Pour les 20% restants : de la période de l’immédiat après-guerre à nos jours. »12 Si Maderna enrobait souvent ses remarques d’un ton bienveillant et réconfortant, il n’en était pas moins dévoué, explicite, audacieux et franc. « Ton affirmatif, sens de la responsabilité, le professionnalisme le plus net. Ni vanité, ni orgueil, mais fierté », résumait à sa manière Martine Cadieu (À Bruno Maderna, vol. 1, p. 338).

 

Même si le musicien italien a fait beaucoup pour la diffusion de la musique moderne et contemporaine en Europe et aux États-Unis, Massimo Mila reconnaît sans fard, en 1976, que « l’Histoire reconnaîtra le compositeur »13 (À Bruno Maderna, vol. 1, p. 327). Auteur de nombreux opus (pièces électroniques, concertos…), Maderna a même écrit de la musique de film. Dans ce cadre, notons par exemple La mort a pondu un œuf réalisé par Giulio Questi, en 1968, avec – entre autres – Gina Lollobrigida et Jean-Louis Trintignant.


	Bande originale du film La Mort a pondu un œuf, de Giulio Questi.

Bande originale du film La Mort a pondu un œuf, de Giulio Questi.

Antoine Goléa a néanmoins porté un jugement différent de celui de son confrère ultramontain : « Maderna n’a jamais été un créateur très original ni très puissant, et il le savait d’ailleurs », notait-il dans le second tome de son histoire de la musique (Goléa, 1977, p. 809). Auteur du premier ouvrage consacré à l’œuvre madernienne, Massimo Mila avait coutume de parler du « catholicisme de l’interprète », à propos de l’art du maestro. « Celui dont le métier est l’interprétation musicale ne s’enferme pas dans l’exclusivisme factieux et individualiste du pur compositeur, il ne se retranche pas désespérément dans la cellule de son propre moi, fermant portes et fenêtres et niant rageusement le monde extérieur, par crainte que celui-ci ne trouble et n’entrave la croissance de sa délicate petite plante. L’interprète épouse nécessairement, tour à tour, les œuvres qu’il exécute. Il s’unit lui-même aux apparitions multiformes de la musique »(À Bruno Maderna, vol. 1, p. 329).

 

La famille des journalistes et le groupe singulier de ses amis ont vu en Maderna un chef d’orchestre tantôt « humaniste », tantôt « idéal », un artiste hédoniste, un « extraordinaire animateur » (Deliège, 2003, p. 122) et même un pédagogue de « type maïeutique » (Nono, Bourgois, p. 413). Considéré comme « l’un des chefs les plus recherchés pour la direction des œuvres de concert et des opéras modernes » (Rostand, 1970, p. 146), Bruno Maderna était alors demandé partout comme le sauveur, notamment grâce à son ouverture extrêmement large aux différentes esthétiques musicales des années 1960-1970. Faut-il rappeler cette pétition signée en 1966 par Louis Andriessen, Reinbert de Leeuw etPeter Schat – entre autres – contestant le manque de musique contemporaine au sein du Concertgebouw d’Amsterdam et demandant la venue quasi prophétique de Bruno Maderna en remplacement de Bernard Haitink ? Luigi Nono disait qu’il était « l’incarnation de la plus noble générosité humaine […] Et avec la musique, la vivacité et le dynamisme de son intelligence, toujours en prospection, toujours ouverte vers ces espaces où la musique, les nouvelles méthodes compositionnelles s’interpénètrent, résolue dans la mesure où l’homme vit en tant que sujet dans notre temps, toujours rendue vers l’homme. C’est ainsi que Bruno vivait et continue à vivre » (Nono, 1993, p. 41314), confirmait son ex-élève et ami, juste après le décès tragique en 1973.

 

Du chef d’orchestre

 

Cependant, dans le monde très fermé de la direction d’orchestre, une différence reste à distinguer entre chef d’orchestre instrumentiste et chef d’orchestre compositeur (Bitter, WDR, 1975). Ainsi pour Maderna, cette différence était de taille car, pour lui, les notions de chef et de créateur devaient être complémentaires et équivalentes : il a ainsi semé la polémique aux États-Unis en répondant un jour aux questions d’un journaliste qui lui demandait qui était le meilleur chef entre Arturo Toscanini et Pierre Boulez. Selon lui, l’officier du Metropolitan à New York était un chef stupéfiant mais il n’était malheureusement qu’un violoncelliste15. « Chaque fois qu’il dirigeait de la musique d’une autre époque que la sienne, il était clair qu’il ne pouvait pas la comprendre. Son Mozart était merveilleux, mais ce n’était pas du Mozart. Dans Verdi, Wagner, Dukas, il était incroyable. Mais il n’était pas suffisamment cultivé. En musique, être de simples spécialistes ne suffit pas. Il faut être des humanistes », dénonçait sans scrupules Bruno Maderna (Maderna, New York Times, 1972).

 

Expérimenté autant qu’instinctif, raisonné autant qu’intuitif, Bruno Maderna véhiculait une gestique sobre avec baguette (mais parfois à mains nues) et ne faisait aucun effet de manche pour épater la galerie ou pour arriver à ses fins16. Ne versant dans aucun pathétisme primaire, la signalétique s’appuyait sur des ordres courts et des mouvements légers, même dans les acmés les plus emphatiques. « Jamais de cette sorte de ballet que dansent les chefs devant leur public, sans même que les musiciens s’en aperçoivent. La tête bougeait peu, mais les yeux étaient partout », a remarqué son assistant Konrad Boehmer (A Bruno Maderna, vol. 1, p. 350). Souci de la netteté, précision clinique pour déclencher l’émergence des pupitres ou ciseler différents plans sonores restent les points forts et probants du chef d’orchestre vénitien. Pierre Boulez17 se souvient d’une « gestuelle ni austère, ni extravagante, ni même démonstrative » (À Bruno Maderna, vol. 2, p. 559). Sous la forme d’une confidence, il a même livré : « Plus Maderna a grossi, plus sa gestuelle est devenue calme. Il avait en outre de sérieux problèmes respiratoires. Je l’ai vu diriger L’Histoire du soldat, à Darmstadt, en 1963. Au premier rang, j’entendais son souffle plus que la musique. Ce râle, c’était physiquement difficile à supporter », avoue encore Boulez. Mentionnons aussi cette anecdote qui a fait le tour du monde et qui relate un échange entre Maderna et un contrebassiste somme toute consciencieux : « Mais non, vous jouez trop tôt. Il n’y a rien là. – Mais si, j’ai des notes. » Maderna rentre son ventre et regarde la partition : « Ah oui ! ». « Ce sont des choses dont on se souvient, parce que le personnage était drôle » (À Bruno Maderna, vol. 2, ibid.), rappelle à sa manière l’auteur de Pli selon Pli.

 

Le « Tout-monde » madernien

 

Semblable au « poète partageant la vie du monde » dépeint par Édouard Glissant (Glissant, 1997, p. 147), Bruno Maderna croquait l’existence à pleines dents – en tant qu’expert créateur, vivant entre le legs à dépoussiérer de la musica antiqua et l’espoir insouciant de l’expression expérimentale. Pour Maderna, il s’agissait de « comprendre que l’art, comme l’amour, ne peut s’épanouir que libre ; comprendre qu’on peut aimer plusieurs êtres et plusieurs styles, avoir plusieurs tendances ou contradictions » (Cadieu, 1992, p. 76). Pleine et entière, la sphère musicale se devait d’illuminer un « Tout-monde » – selon l’expression d’Édouard Glissant (Glissant, 1990, p. 176) – dont l’intégralité sert à refléter et révéler les tenants et les aboutissants de la destinée, des faits quotidiens et même des gestes d’ordre social (voire politique). De fait, l’univers madernien accuse autant que faire se peut les dépendances du profane et du religieux, les racines du savant et du populaire, la part de l’humour et l’aspiration au spirituel, l’expression et la communication, la cérémonie du concert et le spectacle de danse, l’opérette ou l’opéra, la nature et l’artifice, l’engagement politique et le bon plaisir (À Bruno Maderna, vol. 1, p. 265-269)… Dans ce sillage indubitablement éclectique18, entre répertoire et création, son catalogue a couronné autant Claudio Monteverdi que Franz Lehár, Ottavio Petrucci que Virgil Thomson, Henry Purcell que Hugo Wolf, Karl Ditters von Dittersdorf que Charles Ives, Gustave Charpentier que Juan Hidalgo, Jules Massenet qu’Igor Stravinsky, Erik Satie qu’Irving Berlin, Paul Hindemith que Gian Carlo Menotti, Vittorio Fellegara qu’Arnold Schoenberg…

 


	Enregistrement de la Sérénade d’Arnold Schoenberg par Bruno Maderna et l’Ensemble Melos.

Enregistrement de la Sérénade d’Arnold Schoenberg par Bruno Maderna et l’Ensemble Melos.

 

« Maderna était un pragmatique, aussi proche de la musique en l’interprétant qu’en la composant », remarquait Pierre Boulez (1981, p. 550). Pour l’artiste transalpin – musicien de la vie19 – une partition « accomplie » devait tenir du lien complexe existant entre l’acte créateur réussi et son accomplissement pratique, du tissage entre sa composition effective et sa réalisation stylistique : cristallisant un tout, l’œuvre véritable devenait alors, pour Maderna, une équation esthétique, un calcul poétique, un véritable problème existentiel à résoudre tant sur le plan musical qu’historique, tant au niveau philologique que philosophique. « On ne peut pas se retrancher, chair et esprit, de l’univers vivant qui nous entoure et dans lequel nous nous mouvons avec amour et révolte tour à tour », clamait-il (Cadieu, 1992, p. 76).

 

« Mahler était devenu une obsession pour Maderna. »

Mike Ashman20

 

Voyez cet exemple affectueusement orienté vers la musique de Gustav Mahler21 dont Bruno Maderna savait dévoiler le souffle (l’anima), la dynamique symphonique ainsi que les moindres secrets fantasques et discrétionnaires22. « Récemment, je suis tombé amoureux de Mahler, déclarait Maderna, et c’est désormais pour moi quelque chose d’encore plus important que mon admiration pour Debussy et Schoenberg : c’est le choix de toute culture et je pourrai l’emporter avec moi « comme une bannière pour prendre d’assaut les remparts » »23, avouait-il. En outre, le clarinettiste du BBC Orchestra se souvient qu’il était très agréable de travailler avec le maestro : « sa technique était assez sauvage et improvisée, mais très bonne. Sa vision était souvent très romantique, pas du tout analytique. »24 Dans cet article du New York Times du 9 janvier 1972 (déjà cité), l’auteur de la Serenata per un satellite a également relaté : « Pour diriger Mahler, vous devez comprendre que ce n’est pas seulement de la belle musique, mais un problème culturel. Vous devez voir dans la musique, mais aussi dans l’homme, dans toute sa cosmologie. Mahler est aussi un problème compositionnel, et quand un compositeur se trouve devant le même problème, il sait comment le résoudre. »

 

Àbon droit, il considérait le père de la Symphonie « des mille » comme l’incarnation suprême du poète souverain : ainsi « dans ses symphonies, et en particulier dans la Septième, je crois qu’il y a l’homme dans toute sa complexité, et même avec ses erreurs et son sale caractère, mais éclairés par une tension intérieure toujours très forte, par un arc tendu vers la totalité et l’absolu. Aujourd’hui,je sais combien Mahlerest actuel, je sens que c’est précisément lui le poète, l’Idéal comme je me l’imaginais », a relaté avec émotion Bruno Maderna, en habits de chef d’orchestre (Bruno Maderna, Documenti, 1985, p. 109). De plus, au sujet de la Neuvième symphonie du compositeur autrichien, Dominic Gill – à l’évidence convaincu et ému – a écrit ces mots dans les colonnes du Musical Times, en avril 1971 : « C’était un Mahler presque ensoleillé : une crise au soleil, surmontée dans la chaleur d’un soir d’été. Les dernières pages étaient absolument magnifiques, absolument justes : le tempo ralenti jusqu’au néant, vidé de douceur, incommensurablement pur. » (Pour écouter l’Adagio de la Neuvième symphonie de Mahler dirigé par Maderna, consulter http://www.youtube.com/watch?v=zaL9ZoW5lEg)


	Enregistrement de la Symphonie n° 9 de Gustav Mahler par Bruno Maderna et l’Orchestre symphonique de la BBC.

Enregistrement de la Symphonie n° 9 de Gustav Mahler par Bruno Maderna et l’Orchestre symphonique de la BBC.

 

« Je vois qu’on a perdu la façon vraie d’écouter. »

Bruno Maderna25

 

Dans ce domaine inhérent à la vie de la musique, la palette d’interprétation caressée par Bruno Maderna a été véritablement d’envergure. Faut-il rappeler qu’il a dirigé quasiment tout le répertoire d’Ockeghem à Méfano26 ? « C’était un peu comme un singe qui aurait pu sauter en souplesse d’un arbre à l’autre de la musique, avec une incroyable désinvolture » (Boulez, 1981, p. 550), a noté Pierre Boulez à la mort de son collègue. Pour sa part, parlant de multiplicité et de circularité, Édouard Glissant concluait en trois mots : « La Transhistoire s’étend » (Glissant, 1990, p. 113). En fait, Bruno Maderna avait résolument saisi que « la musique touche directement, depuis le jazz jusqu’à la musique d’avant-garde. On a gagné une condition nouvelle : le public peut entendre des œuvres des siècles différents, et il a plaisir à faire des comparaisons », déclarait-il en 1965 (Cadieu, 1992, p. 77).

 

Au niveau de la musique ancienne que Bruno Maderna a parfois transcrite (à l’image de son collègue Luciano Berio27), citons juste le répertoire franco-flamand (montré en amont par Gian Francesco Malipiero), les pages de Compère, Ockeghem, les Sonates de Legrenzi, les Concerti de Torelli et de Vivaldi28, les Symphoniae sacrae de Giovanni Gabrieli, Griselda d’Alessandro Scarlatti, le Magnificat quarti toni de Josquin Desprez, des partitions extraites du Fitzwilliam Virginal Book (signées par Byrd, Philips…), le Magnificat ou les Concerti pour clavier et orchestre de Bach, The Fairy Queen (avec Cathy Berberian parfois appelée dans les programmes Catherine Berio) ou Didon et Énée de Purcell (ce dernier opéra ayant été donné à la Piccola Scala en 1963), l’Orfeo de Monteverdi (réalisation très personnelle de Maderna donnée au Festival de Hollande en 1967)…

 

Lors des légendaires cours de Darmstadt29, Maderna a même dirigé L’Amfiparnasso (1594), comédie harmonique en trois actes et un prologue d’Orazio Vecchi. En août 1966, dans ce temple allemand de l’avant-garde musicale, Maderna ne déclarait-il pas : « En tant que professeur, mon souhait serait d’accomplir une croisade afin de convaincre de la nécessité d’étudier la musique ancienne : voilà d’où provient le manque de technique » (Bosseur, 2010, p. 17). Dans ce sillage, Alain Poirier a analysé avec justesse ce rapport particulier à la visitation comme pouvant émaner d’un exercice de relativité circonstanciée. « Lire le passé en fonction du présent constitue désormais, et pour toute cette génération, un mode de lecture, un filtre procédant d’une volonté de relecture – celle qui marque parallèlement les écrits de Butor ou de Barthes à la même époque » (Poirier, 2002, p. 229). De fait, en 1965, Bruno Maderna disait chercher dans le patrimoine ancien l’aspect toujours neuf du matériau. « Je veux en donner les sonorités réelles, peut-être surprenantes pour des endormis, non pour des vivants ! », confiait-il à Martine Cadieu (Cadieu, 1992, p. 81).

 

Concernant le répertoire classique, romantique et moderne, remarquons également la visite enthousiaste d’un territoire extrêmement fertile, allant de Wolfgang Amadeus Mozart à Olivier Messiaen en passant par Franz Schubert, Robert Schumann, Johannes Brahms, Franz Liszt, Hector Berlioz, Carl Maria von Weber, Felix Mendelssohn, Richard Wagner, Claude Debussy, Gustav Mahler, Maurice Ravel, Richard Strauss, Alexandre Borodine, Igor Stravinsky30, Béla Bartók31, Arnold Schoenberg, Alban Berg, Anton Webern, Serge Prokofiev, Kurt Weill, Edgard Varèse ou Darius Milhaud… À chaque lecture attentive, l’œuvre est habitée, incarnée, servie à sa juste valeur humaniste. À propos de l’enregistrement de L’Heure espagnole de Maurice Ravel, en novembre 1960 au Royal Albert Hall de Londres, Carlo Curami observait que « le mérite de Bruno Maderna est d’avoir réussi à fondre les artistes dans un discours d’interprétation musicale qui ne doit rien au hasard et qui résulte d’un raffinement intellectuel extrême » (Curami, 1993, p. 6).


	Enregistrement de L’Heure espagnole de Maurice Ravel par Bruno Maderna avec l’Orchestre symphonique de la BBC.

Enregistrement de L’Heure espagnole de Maurice Ravel par Bruno Maderna avec l’Orchestre symphonique de la BBC.

Au sujet de l’auteur d’Ionisation, Luigi Nono a évoqué cette période bénie du début des sixties : « Bruno fut particulièrement proche de Varèse dans ces années : il était devenu l’un des grands chefs d’orchestre les plus assidus et les plus inspirés de sa musique. Je me souviens très bien de Bruno occupé à déchiffrer ses partitions avec le compositeur à côté de lui ; c’était un très beau rapport musical et amical auquel je participais aussi » (Nono, 1993, p. 48). Dans ce domaine « classique » où l’écriture musicale reste plutôt fidèle au solfeggio de nos ancêtres, Bruno Maderna désirait dépoussiérer un à un les objets-cultes, standardisés lors de concerts-musées de la musique, comme il voulait combattre ardemment les interprétations dites « traditionnelles », mal assumées par les interprètes vieillissants de ces œuvres pourtant phares. Comme le relevait Édouard Glissant, « ouvrir l’imaginaire des langues, les doter de lieux nouveaux, revient à combattre réellement les uniformités, les dominances, les standards » (Glissant, 1990, p. 225).

 

En 1970, bravant toute réserve bienséante, Bruno Maderna s’est expliqué en ces termes : « Le pauvre Beethoven, par exemple, devient ridicule avec toute l’emphase et la fausse grandiloquence dont on le surcharge ; de nombreux chefs d’orchestre célèbres ont attribué à Beethoven des intentions qu’il n’a pas. Nous, en Italie, nous ne sommes pas capables de bien interpréter Verdi : trop de pauses, trop d’arrêts et d’exagérations de toutes sortes que le compositeur ne voulait certainement pas. En France, on est terrible avec Debussy. Aucun chef français n’est capable de diriger ses œuvres : ils les jouent uniquement pianissimo. En Allemagne, c’est encore pire avec Wagner : les rythmes deviennent infinis, pour paraître plus wagnériens. À la fin, on se fait des grandes œuvres l’idée qu’on peut se faire de la peinture de Raphaël ou de Giorgione en ayant vu seulement des reproductions chez son coiffeur. »32

 

À plusieurs reprises, Olivier Messiaen a rendu hommage au chef d’orchestre Bruno Maderna. D’une part, le compositeur français a dit qu’il avait été séduit par l’exécution de son œuvre Et exspecto resurrectionem mortuorum devant l’Apâdânâ de Persépolis (Messiaen, 1986, p. 154). D’autre part, il a tenu à honorer « un merveilleux musicien mort prématurément », qui a dirigé plusieurs de ses œuvres (dont les Oiseaux exotiques à la BBC) et qui était « un admirable chef debussyste. Personne n’a mieux dirigé que Maderna Jeux et Iberia. Il était également un vrai mozartien et l’a prouvé en conduisant plusieurs séances de l’intégrale des concertos de piano de Mozart qu’Yvonne Loriod a donnée jadis à Paris » (Messiaen, 1986, p. 224). Il s’agissait de la présentation par Messiaen des vingt-deux opus concertants de Wolfgang Amadeus Mozart au Conservatoire de Paris, durant l’hiver 196433, l’orchestre étant placé tour à tour sous la houlette de Pierre Boulez, Bruno Maderna ou Louis Martin (Boivin, 1995, p. 237). De plus, notons qu’à l’écoute des enregistrements de La Mer et de Jeux –deux partitions orchestrales dirigées par Maderna – « ressortaient de manière admirable, et sans doute nouvelle pour l’époque, la variété et la complexité de la texture métrico-rythmique et timbrique de la musique de Debussy, le jeu des plans sonores, de l’articulation des séquences temporelles, mais sans renier les émotions et les gestes », a analysé Gianfranco Vinay (À Bruno Maderna, vol. 2, p. 545).

 

Au regard de la musique contemporaine, Bruno Maderna se proposait vaillamment de ne programmer que des « œuvres sûres, couronnées de succès, ou, de toute façon, d’un engagement et d’un intérêt très élevé ». Par ailleurs, il mettait un point d’honneur à ne pas programmer ses propres partitions34, afin de pouvoir refuser plus librement les opus médiocres ou décevants de ses confrères, ou les partitions que d’autres essaieraient de lui imposer indirectement. « Je me ferai des ennemis mais à visage découvert »35, écrivait-il à Francesco Siciliani, le 4 février 1972. Nonobstant, à l’instar d’Hermann Scherchen créant à Paris les Déserts d’Edgard Varèse, ne cachons pas que Bruno Maderna a essuyé, lui aussi, quelques scandales (Nono, 1993, p. 359-364) dont, en avril 196136 à Venise, celui de la création mémorable d’Intolleranza 1960 de Luigi Nono37. Quelque temps auparavant, Pierre Boulez et Bruno Maderna s’étaient connus (en 1952) aux Internationale Ferienkurze für Neue Musik Darmstadt (Trudu, 1992). Parmi de nombreux souvenirs, l’auteur des Structures a révélé que son camarade « dirigeait très bien. Mais quand les œuvres ne l’intéressaient pas, surtout à Darmstadt, il improvisait » (À Bruno Maderna, vol. 2, p. 559). Dans cette optique, lors d’une émission télévisée à la RAI de Milan diffusée en 1969, Maderna déclarait : « Mon travail de composition s’achève avec les répétitions. Sur scène, je me laisse aller au gré de l’improvisation » (RAI, 1969).

 

Bien sûr, Bruno Maderna a dirigé ses contemporains italiens, tous genres et tous styles confondus. Défenseur zélé du patrimoine musical de son pays, il a ainsi conduit moult partitions de générations différentes dont Pause del silenzio, le Quatrième concerto pour piano et orchestre ou la Sinfonia dello Zodiaco de Gian Francesco Malipiero, Salmo IX, Noche oscura de Goffredo Petrassi, Dialoghi de Luigi Dallapiccola (en création mondiale à Venise en septembre 1960), Il canto sospeso (entre autres) de Luigi Nono ainsi que les créations mondiales de Composizione per orchestra n° 1 ou Memento, Romance de la guardia civil espanola à Hambourg, España en el corazón ou Composizione per orchestra n° 2 à Darmstadt, Canciones para Silvia à Londres – autant de titres de Luigi Nono. Songeons également à Thumos de Girolamo Arrigo, Allez hop (avec Cathy Berberian), Serenata I (avec Severino Gazzelloni), Tempi concertati ou Sinfonia de Luciano Berio (Osmond-Smith, 1989, p. 12)38, mais aussi au Triplum d’Aldo Clementi, Parole da Beckett de Giacomo Manzoni, et même au Concerto soirée de Nino Rota…

 

Bruno Maderna a aussi défriché les œuvres des adeptes sériels, des visiteurs zélés et des « scholistes »39 convaincus de Darmstadt40, centre international spécialisé dans la musique contemporaine qu’il découvre dès l’été 1950 – se sentant quelques proches affinités, Claude Ballif (alors en Allemagne) n’appelait-il pas Maderna le « Balzac de ces temps-là » (Ballif, 1992, p. 57) ? Parmi tant de propositions, citons : Position de Konrad Boehmer, Concerto pour piano et orchestre de Kees van Baaren (avec Alois Kontarsky au clavier), Available Forms ou From Here d’Earle Brown41, Glossolalie de Dieter Schnebel, Roméo et Juliette de Boris Blacher, Cummings ist der Dichter, Figures-Doubles-Prismes ou Polyphonie X de Pierre Boulez (cette dernière pièce ayant fait scandale), Gruppen ou Kontrapunkte de Karlheinz Stockhausen, Aventures et Nouvelles aventures, Ramifications ou le Concerto pour violoncelle de György Ligeti, Rimes d’Henri Pousseur, Introversion d’Helmut Lachenmann, Magies de Francis Miroglio, Imaginario II de Luis de Pablo… autant de pièces aux esthétiques parfois très opposées qui ont été pour la plupart créées lors des fameux cours estivaux, entre 1952 et 1968 (Borio et Danuser, 1997 ; Metzger et Riehn, 1999). Se remémorant les soirées off qui avaient lieu après les concerts de Darmstadt (séances survoltées au possible et parfois bien arrosées dans les auberges locales), André Boucourechliev a évoqué les épopées circonstanciées de quelques protagonistes cosmopolites : « À toute heure du jour et de la nuit, Maderna tenait une espèce de « boutique de doléances » où venaient se plaindre ceux qu’on n’avait pas joués ; en général, il arrondissait les angles ; parfois il ne pouvait faire éviter quelque molestage ou échange de coups » (Von der Weid, 2010, p. 288).

 

Une petite expérience d’interprétation

 

Plus sérieusement, afin d’appréhender la spécificité de la compréhension des partitions conduites par le chef vénitien, nous avons voulu comparer deux enregistrements discographiques42 d’« Avant l’artisanat furieux », la pièce instrumentale inaugurale du Marteau sans Maître (1953) de Pierre Boulez : l’un dirigé par Maderna, l’autre par Boulez. En dehors des différences dues à des prises de son foncièrement dissemblables (datant pourtant de la même époque : 1961 et 1962), l’Italien s’est penché sur le global alors que le Français a investi le local.

 

D’une part, la prédominance des instruments de tessiture moyenne (flûte en sol, alto, guitare et vibraphone) au sein de ce premier mouvement boulézien a fait prendre un repère métronomique assez lent à Bruno Maderna bien que la partition demandât un tempo noté « rapide » (208 à la noire). Il semblerait que ceci soit contraire à sa manière de voir les mouvements de danse inclus dans certaines symphonies de Mozart, pour lesquels Maderna avait tendance à prendre des tempi plus rapides (cf. À Bruno Maderna, vol. 2, p. 541). Dans ce registre, le clarinettiste anglais Colin Bradbury a fait aussi mention d’une « Huitième de Beethoven d’une rapidité incroyable ! » (in Ashman, BBCL 4179-2, p. 12). Par ailleurs, Célestin Deliège avait remarqué que Bruno Maderna se gaussait « des minutages toujours forcés, indiqués dans les partitions » (cf. Deliège, 2003, p. 540).

 

Incontestablement, la vision madernienne du prélude du Marteau sans maître a été ici analytique, accusant à certains égards un sens avéré du détail et mettant en relief un vocabulaire sonore bien articulé et proprement prononcé (même si l’alto de Dino Asciolla par exemple n’est pas forcément très en mesure – notamment à la toute fin du mouvement). Pour information complémentaire, il faut peut-être savoir que Boulez n’a jamais entendu ses propres œuvres dirigées par Maderna, ni Le Marteau sans maître, ni Le Soleil des eaux, ni les autres. « Il les a interprétées comme il a voulu. Je savais qu’il avait un grand sens musical, une musicalité, une séduction naturelle, difficiles à expliquer, dans ce qu’il faisait. Ce n’était pas la rigueur qui importait chez lui. Il obtenait un son, même si celui-ci n’était pas toujours précis », expliquera-t-il par la suite (À Bruno Maderna, vol. 2, p. 559).

 

D’autre part, à considérer maintenant la version de la partition dirigée par Boulez, d’emblée elle montre manifestement un tempo d’allure plus rapide comme indiqué sur le repère métronomique. Mais contrairement à la version madernienne, la conduite boulézienne, somme toute plus fluide, prend le parti d’embrasser la phrase entendue cette fois dans son long terme, sculptant l’aura globale du quatuor en présence plus que la singularité pointilliste de chacun des quatre discours à additionner pour en déduire un tout. Alors, si on peut être éventuellement d’accord avec Maderna que le chef-compositeur est plus à même de comprendre les œuvres43, par rapport au chef-instrumentiste, faut-il créer une nouvelle différence entre chef-compositeur non auteur de l’opus et chef-compositeur auteur de sa propre production ? Contrairement à certains commentateurs sûrs de leur fait, Bruno Maderna trouvait que les disques de Petrouchka, de la Symphonie de psaumes ou du Jeu de cartes dirigés par Igor Stravinsky étaient « d’excellentes versions »44.

 

De la musique contemporaine

 

Certes, en dehors des anciens et des modernes, des baroques et des romantiques, Bruno Maderna a bien évidemment dirigé également d’autres compositeurs de sa génération, « souplesse »45 et ouverture d’esprit faisant partie de ses points forts. Songeons par exemple à Krzysztof Penderecki (Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima de 1959-1961 que Maderna conduit lors d’un concert à Rotterdam, en février 1967), à Witold Lutoslawski (Jeux vénitiens datant de 196146), à Iannis Xenakis (Stratégie47 de 1962), ou encore aux compositeurs plus jeunes comme Jean-Claude Éloy (Équivalences de 1965), Paul Méfano dont la partition pour voix et orchestre baptisée Paraboles48 a été interprétée au début de l’année 1965, lors de la saison parisienne du Domaine Musical ou Carlos Roqué Alsina (Funktionen à Darmstadt en 1966, Symptom à la Radio de Hambourg en 1969)…

 


	Affiche d’un concert d’œuvres cosmopolites placé sous la direction de Bruno Maderna (Darmstadt, 27 septembre 1966).

Affiche d’un concert d’œuvres cosmopolites placé sous la direction de Bruno Maderna (Darmstadt, 27 septembre 1966).

 

Un peu lassé, après avoir parlé de nombreux concerts qu’il dirigeait dans les années 1950 à Hambourg, à Stockholm ou à Copenhague, Bruno Maderna écrivait à Luigi Rognoni : « J’ai du succès. Mais on ne m’invite chez nous que pour des enregistrements sur la troisième chaîne. Comme d’habitude, la musique qui devrait être vécue plus que sentie est le privilège d’une minorité » (Bruno Maderna / Heinz Holliger, 1991, p. 40). Attiré par les différentes facettes kaléidoscopiques et complémentaires du « Tout-monde » (populaire et savant), Bruno Maderna militait autant pour les plis de l’œuvre ouverte que pour les replis de la pensée « archipélique »49 (surtout au niveau compositionnel, à l’instar de son ami André Boucourechliev50). « Héros »51 au grand cœur, ce « fils de l’Italie »52 voulait autant percevoir les ruses combinatoires du hasard qu’ébranler sciemment les affects convenus de l’humanité tout entière. Comme l’énonce encore Édouard Glissant, « la Mémoire est un archipel, nous y sommes des îles que les vents inspirés mènent à dérader » (Glissant, 2006, p. 164). Dans le contexte de la pluralité de l’épars, Luciano Berio désirait, en 1981, « convaincre les éditeurs et les amis musiciens de rassembler toutes les œuvres de Bruno pour établir des éditions qui ne portent pas trop ouvertement la marque des événements, des difficultés quotidiennes, de la précipitation et des solutions hâtives » (Berio, 1983, p. 71).

 

En guise de conclusion, laissons une fois encore la parole à Luigi Nono qui, au lendemain de la mort de son professeur, relatait : « Bruno Maderna continue à être aimé et apprécié par des orchestres, des solistes, des compositeurs et par des milliers de gens. Tous ont été, à travers lui, mis en communication directe avec la réalité vivante de la musique devenue intelligible quant à sa signification, sa structure et sa fonction » (Nono, 1993, p. 414). Ces propos sincères semblent résumer à merveille la part positive de l’aura du maestro qui rayonne sporadiquement encore aujourd’hui parmi les (trop rares) études de spécialistes. Au niveau de la direction d’orchestre (comme au plan de la composition), nous avons eu à faire au passage sidérant d’une comète inspirée. Que cette étoile resplendisse à jamais dans le firmament des génies à découvrir ou à redécouvrir.


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Notes

1 Bruno Maderna, Programme du IXe Festival di Musica contemporanea de la Biennale de Venise, 1946.

2 Édouard Glissant, 1997, p. 68.

3 Violoniste, Bruno Maderna a commencé l’étude de la musique à l’âge de 4 ans.

4 L’article de journal allemand se poursuit ainsi : « Même Mussolini s’intéressa à la carrière artistique du jeune Bruno Maderna qui, voici quelques mois, a fêté ses 16 ans. Une bourse de l’État l’a aidé à étudier ce qu’il peut étudier dans son art auprès du célèbre chef d’orchestre et compositeur milanais Arrigo Perollo » (extrait du Tagesbots du 28 juillet 1936. Cet article de presse est reproduit dans : À Bruno Maderna, 2007, vol. 1, p. 460).

5 D’après la lettre de Bruno Maderna envoyée à Vérone à Irma Manfredi le 13 aout 1941 (correspondance avec la dame qui l’avait adopté, reproduite dans : À Bruno Maderna, 2007, vol. 1, p. 474-475). Voir également les informations provenant des propos de Maderna tenus en janvier 1970 et reproduits dans : Fearn, 1990, p. 299.

6 Au début des années 1960, Bruno Maderna a déjà « la réputation d’être le digne successeur de Scherchen », lit-on dans Bernard, 1963, p. 1474-1475. De même, Antoine Goléa écrit que le chef d’orchestre italien « a joué pour la génération d’après 1945, exactement le rôle de Scherchen pour celle d’après 1910 » (Goléa, 1977, p. 809).

7 Stone G. et Stout A., « Entretien radiophonique avec Bruno Maderna », WEFM Chicago, 23 janvier 1970 (in Bruno Maderna / Heinz Holliger, 1991, p. 21).

8 « Quelques exemples : en 1911, création de Pierrot lunaire de Schönberg ; en 1924, création des premiers extraits de Wozzeck de Berg ; en 1936, le Concerto pour violon du même auteur ; en 1943, Variations op. 30 de Webern ; en 1954, Déserts de Varèse ; en 1957, Pithoprakta de Xenakis. » (Mâche, 2000, p. 46).

9 En 1966, Bruno Maderna est directeur musical de la Deutsche Oper à Berlin. Grâce à l’entremise de Luciano Berio, son assistant est Carlos Roqué Alsina. Bruno Maderna est le compositeur auquel il doit le plus et qu’il a le plus aimé. « Cet homme était un ange, et c’est à Darmstadt qu’il a dirigé ma musique, à la tête de son merveilleux Ensemble », raconte le pianiste compositeur d’origine argentine (cf. Galpérine, 2011, p. 51).

10 Les rencontres donneront naissance à une revue baptisée Incontri, fondée sur le modèle de la revue allemande Die Reihe (dirigée par Herbert Eimert avec la collaboration de Karlheinz Stockhausen).

11 Bruno Maderna a été fait « citoyen d’honneur » de la ville de Darmstadt en 1970.

12 Lettre reproduite dans : Bruno Maderna / Heinz Holliger, p. 30-33. Pour des visées complémentaires, prière de consulter les propos de Gianfranco Vinay, Pierre Albert Castanet et Paul Méfano tenus lors de la journée d’étude internationale intitulée Aimer Bruno Maderna (Paris, Centre de Documentation de la Musique Contemporaine, 3 février 2011 –communications orales en ligne sur le site du CDMC). Complété et augmenté à souhait, le présent article émane de ce colloque parisien.

13 Dans un texte intitulé « Pour Marino Zuccheri » daté d’août 1986, Luigi Nono, un brin amer, a posé cette question : « Pourquoi Bruno Maderna est-il aujourd’hui presque ou tout à fait oublié ? » (Nono, 1993, p. 467). À noter également que, curieusement, dans l’Histoire concise de la musique moderne (Paris, Fayard, 1978), Paul Griffiths ne cite à aucun moment le nom de Maderna.

14 Dans ce même volume, un autre texte intitulé « Musique et resistenza » qualifie Maderna de « pivot du renouveau de la situation musicale italienne » (p. 237).

15 Second violoncelliste à La Scala de Milan, Arturo Toscanini (1867-1957) a notamment participé en tant qu’instrumentiste à la création d’Otello de Giuseppe Verdi. Pour l’anecdote, Hermann Scherchen (1891-1966) était altiste dans l’Orchestre Blüthner avant d’être engagé, à l’âge de 20 ans, en tant que chef de l’Orchestre Philharmonique de Berlin ; Pierre Boulez était ondiste auprès de la compagnie Renaud-Barrault à Paris…

16 On peut voir Bruno Maderna faire répéter Déserts d’Edgard Varèse dans le film Hommage à Edgar Varèse réalisé en 1965 par Gérard Patris et Luc Ferrari (DVD Les Grandes répétitions, Paris, INA / K. Films, 2010). Voir également Maderna chef d’orchestre sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=6VOSVVelpH0

17 À noter que Pierre Boulez a écrit en 1974-1975 Rituel – in memoriam Bruno Maderna pour orchestre en huit groupes, commande de la BBC (Londres).

18 Voir les différents enregistrements maderniens récoltés par Roberto Giuliani dans : « Politica culturale e musica d’avanguardia : la presenza di Bruno Maderna nella RAI degli anni Cinquanta » (Bruno Maderna, Studi et testimonianze, 2004,p. 66-105). Prière de consulter : Verzina, 2003, p. 373-392. Lire aussi la discographie annotée par Maurizio Romito dans À Bruno Maderna, vol. 2, p. 587-623.

19 « Je voudrais me souvenir de sa grande générosité, mais aussi –et ce fut pour moi vraiment fondamental – de la manière complètement différente qu’il avait de vivre la musique », énonce Luigi Nono, « Une autobiographie de l’auteur racontée par Enzo Restagno » (Nono, 1993, p. 24).

20 Ashman, BBCL 4179-2, p. 12.

21 Compositeur que Maderna considérait comme un « tout culturel » (cf. Deliège, 2003, p. 540).

22 Cf. l’enregistrement extraordinaire de la Neuvième symphonie de Gustave Mahler dirigé par Bruno Maderna dont nous avons reproduit la pochette (cf. « BBC Legends » BBCL 4179-2). La prise de son date du 31 mars 1971 au Royal Festival Hall de Londres.

23 Propos cités par Ashman, BBCL 4179-2,p. 13.

24 Colin Bradbury cité par Ashman, BBCL 4179-2, p. 12.

25 Cadieu, 1992, p. 76.

26 Pour mémoire, Paul Méfano a composé en 1974 une partition pour violoncelle solo, ensemble instrumental et bande magnétique intitulée A Bruno Maderna.

27 Luciano Berio a aussi arrangé des pièces de Monteverdi, Purcell, Boccherini…

28 Gian Francesco Malipiero lui a fait découvrir – entre autres – la musique d’Antonio Vivaldi. On sait que Maderna a ensuite activement participé à la préparation des éditions de la musique du « Prêtre roux ».

29 Rappelons que dans les années 1950, les concerts parisiens du Domaine Musical de Pierre Boulez programmaient aussi des partitions de Machaut, Dufay, Gesualdo, Monteverdi ou Dowland.

30 Cathy Berberian raconte qu’elle a eu un jour un désaccord avec Bruno Maderna à propos de l’interprétation des Pribaoutki et des Berceuses du Chat d’Igor Stravinsky (cf. la lettre de Cathy Berberian envoyée à Roman Haubenstock-Ramati et datée du 4 juillet 1963 dont un extrait est reproduit dans : Vila, 2003, p. 137).

31 En compagnie de Luigi Nono, Bruno Maderna a étudié dès 1947 d’une manière comparée le chromatisme de Béla Bartók, d’Arnold Schoenberg et des anciens contrapuntistes flamands (cf. Nono, 2007, p. 489).

32 George Stone et Alan Stout, « Entretien radiophonique avec Bruno Maderna », WEFM Chicago, 23 janvier 1970 (texte reproduit dans : Bruno Maderna / Heinz Holliger, 1991, p. 23).

33 Cette année là, Roland de Candé perçoit Bruno Maderna comme l’un des chefs de file de la jeune école italienne qui « s’est engagé sur la voie tracée par Webern » (Candé, 1964, p. 144). À cette même époque, Marius Constant – compositeur et chef d’orchestre – avoue à Martine Cadieu qu’il « admire » Bruno Maderna (Cadieu, 1992, p. 43).

34 En dehors de la programmation signée par ses soins, Bruno Maderna dirigera néanmoins ses propres partitions tant en Italie qu’à l’étranger : à la Biennale de Venise, à la Biennale de Zagreb, à la RAI de Milan ou de Rome, à Vérone, Darmstadt, Cologne, New York, Rochester, Londres, au festival de Royan ou au festival de Hollande… entre autres (Serenata, Cantata da camera « 4 lettere », Concerto pour piano, Concertos pour hautbois n°2 et n°3, Hyperion, Stele per Diotima, Quadrivium, Grande Aulodia, Venetian Journal, Biogramma, Satyricon…). Consulter par exemple : Besançon H., 2007.

35 Lettre de Bruno Maderna reproduite dans Studi su Bruno Maderna, 1989, p. 72-73.

36 Cette même année 1961, Daniel Charles note dans l’Encyclopédie de la musique que Bruno Maderna poursuit « une carrière remarquable, et très vite internationale, de chef d’orchestre » (1961, tome 3, p. 126).

37 À noter que Maderna avait monté avec Nono la bande magnétique de la première scène de la deuxième partie de cette action scénique militante, bande-son réalisée bien entendu au studio de phonologie de Milan qu’il dirigeait conjointement avec Berio.

38 De concert, Maderna et Berio ont partagé « le même enthousiasme pour un éventail encyclopédique de musique, passée et présente, et un scepticisme joyeux à l’égard des polémiques doctrinaires qui s’étaient rapidement développées autour de la « Nouvelle Musique » » (Osmond-Smith,1989, p. 12).

39 Terme d’Antoine Goléa paru dans « Quand le voile se déchire », Domaine musical n° 1 – Bulletin international de musique contemporaine, 1954, p. 147.

40 Cf. Dalmonte, 1996, p. 199-205. Prière de lire aussi : Fearn, 1987.

41 Admiratif quant aux différents styles embrassés, Luigi Nono avouait que « Bruno Maderna faisait des miracles » (Nono, 1993, p. 456).

42 Il s’agit premièrement d’un ensemble instrumental dirigé par Bruno Maderna en janvier 1961, à Rome – durée : 2’01 (cf. La nuova musica, CD Stradivarius, STR 10028, volume 6) et deuxièmement de l’Ensemble du Domaine Musical dirigé par Pierre Boulez en octobre 1962, à Paris – durée : 1’20 (cf. Pierre Boulez, Le Domaine musical, coffret de CD Accord n°476 92 09, volume 1 ou CD Adès 14.073-2 de 1964). Prière de consulter également la version dirigée par Maderna sur http://www.youtube.com/watch?v=zvWBiox8Hd8

43 Précepte venant de l’enseignement d’Hermann Scherchen qui préconisait que « l’apprentissage de l’élève-chef doit être accompagné d’un enseignement pratique des plus intensifs à propos de la composition [...] » (Scherchen, 1986, p. 22-23).

44 Lettre de Bruno Maderna à Irma Manfredi datée du 19 décembre 1939.

45 « La souplesse, tant dans la composition que dans la direction, a toujours été un trait dominant de son comportement », résumait à sa manière Célestin Deliège (Deliège, 2003, p. 533).

46 Partition que le compositeur polonais emporte avec lui au Berkshire Music Center de Tanglewood où il est professeur invité de composition en 1962 ; Maderna y séjournera dix ans plus tard…

47 Cette partition est conçue pour opposer deux chefs d’orchestre qui imaginent chacun une tactique musicale en fonction des règles édictées par l’autre. Le public qui sert d’arbitre déclare in fine l’ensemble vainqueur. À la création au festival de Venise (23 avril 1963), la phalange orchestrale menée par Bruno Maderna a gagné la joute sur celle conduite par Konstantin Simonovic.

48 Pour information : cette partition a été enregistrée dans un CD 2e2m collection, n°1007, publié en 1996. Compositeur-chef d’orchestre, Paul Méfano était considéré à l’époque comme « l’enfant terrible du Conservatoire » de Paris. À consulter l’article de La Tribune de Lausanne daté du 31 janvier 1965 et intitulé « Paul Méfano, le jeune homme doux qui met les instrumentistes en colère », nous pouvons nous rendre compte que l’heure était au scandale, la partition de Paraboles étant considérée comme une injure faite aux instrumentistes. Passant outre le chahut fomenté par le chef et les musiciens, le compositeur échappa de justesse à la police. Ayant eu vent de l’échauffourée via Olivier Messiaen, Pierre Boulez – dont Paul Méfano était aussi l’élève à Bâle – décida de faire jouer correctement cette œuvre le 20 janvier 1965, sous la direction de Bruno Maderna (cf. Aguila, 1992, p. 301-303).

49 Sur la pensée « archipélique », prière de lire : Glissant, 1997, p. 31. Par ailleurs, dans ce sillage rappelant la manière d’invention madernienne, le poète écrit que la pensée analytique est « invitée à construire des ensembles, dont les variances solidaires reconstituent la totalité du jeu. Ces ensembles ne sont pas des modèles, mais des échos-monde révélateurs. La pensée fait de la musique. » (Glissant, 1990, p. 107).

50 Martine Cadieu raconte qu’un jour Boucourechliev évoqua « les secrets de La Grande Aulodia de Maderna qu’il semblait avoir composée lui-même, tant il la connaissait de l’intérieur, dans un tel amour. » (in Poirier, 2002, p. 35).

51 Cf. Sandro Cappelletto, « Une vie de héros entre hasard et fébrilité », Le Monde du 12 septembre 1991.

52 Expression d’Antoine Goléa qui dira également que Bruno Maderna a été le « véritable Scherchen de la nouvelle génération » (Cf. Goléa, 1962, p. 84). En outre, italien de souche, Maderna est mort à Darmstadt, naturalisé allemand.

Pour citer ce document

Pierre Albert Castanet, «Bruno Maderna, un chef d’orchestre ouvert sur le « Tout-monde »», La Revue du Conservatoire [En ligne], Contenus, Le deuxième numéro, La revue du Conservatoire, Dossier notation et interprétation, mis à jour le : 14/06/2013, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=650.

Quelques mots à propos de :  Pierre Albert Castanet

Compositeur et musicologue, Pierre Albert Castanet est professeur à l’université de Rouen (Département de musicologie) et professeur associé au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Directeur du département des Métiers de la culture (université de Rouen), il est aussi directeur de collection musicologique pour les éditions Michel de Maule, Basalte, Ina-GRM, Millénaire III, Les Cahiers du CIREM… Il a enseigné dix ans dans le cadre de la formation doctorale « Musique et Musicologie du XXe siècle » (IRCAM, ENS, EHESS – Paris) et intervient depuis 2004 comme conférencier au sein du Collège de la Cité de la musique à Paris. Spécialiste de musique contemporaine, il a signé des centaines d’articles à travers l’Europe et publié une dizaine de livres. Parmi ses publications, Tout est bruit pour qui a peur Pour une histoire sociale du son sale a reçu le Prix des Muses en 2000. Quand le sonore cherche noise – Pour une philosophie du bruit a obtenu un coup de cœur de l’Académie Charles-Cros en 2009 (deux ouvrages publiés chez Michel de Maule à Paris).