Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
n°7
Florence Badol-Bertrand

Figures de rhétorique, double-entendre, intertextualité, couleurs, formes… : pour une interprétation des outils mozartiens d’expression du sens

Article
  • Résumé
  • Abstract

Notre ressenti, conditionné par l’analyse et notre connaissance du répertoire et de ses traditions, nous permet de transmettre une interprétation qui constitue ce que l’on pourrait nommer « ma manière de mettre l’œuvre au monde ». Dans un cheminement phénoménologique de « retour à », je propose de retrouver une simple sémiotique et « des oreilles chastes » (Berlioz) pour ouvrir d’autres champs d’interprétations.

Il est alors possible de revenir à l’analyse et à l’investigation musicologique par le biais des outils contextuels. Ainsi, j’identifie comme la figure de rhétorique aposiopesis/suspiratio l’ostinato demi-soupir/deux croches du Lacrimosa du Requiem de Mozart. Ce qui me permet de donner à ressentir la figuration des larmes : apnée, souffle court… J’enquête sur les conventions ponctuelles implicites avec le public – double-entendre – et cherche les moyens de les révéler aujourd’hui, je relie les citations et autocitations – intertextualité – pour en interpréter les parentés sémantiques et les partager… Incessamment relue, l’œuvre offre à relire incessamment son interprétation.

Texte intégral

Les restaurateurs de tableaux connaissent bien le processus : débarrasser l’œuvre des retouches apportées au fil des siècles, détecter les matières étrangères à la matière d’origine qui n’ont pas forcément vieilli au même tempo – les repeints désaccordés –, enlever les couches de vernis successives qui ont fait perdre la profondeur et le relief, remettre la toile au jour telle qu’elle est sortie de l’atelier du peintre, avant qu’elle ne soit devenue la proie de toutes ces interventions bien intentionnées.

À nous d’avancer dans le même sens pour les partitions que nous déposons sur nos pupitres ou nos tables, en allégeant l’œuvre de ses traditions d’interprétations musicales et bibliographiques et de nos propres interprétations antérieures, pour interroger « ma manière de la mettre au monde » dans un cheminement qui tient du lâcher-prise et conduit à questionner nos acquis et nos convictions. Il s’agit donc de retrouver des « oreilles chastes », pour paraphraser Berlioz, par un processus régressif – au sens de « retour à » – au bout duquel la partition, tel un oignon dont on enlève une peau après l’autre pour trouver le fruit, apparaît sous sa forme originelle – si tant est que cela soit possible. Le déchiffrement des notes et autres indications laissées par le compositeur relève alors de la quête d’une sémiotique plus que de celle d’une sémiologie. Mais la sémiologie, que nous nommons plus couramment expression dans le jargon musical, nous est vitale autant qu’elle l’est à l’œuvre. Chacun étayera donc son point d’ouïe de son interprétation et l’œuvre, redevenue ouverte, ouvrira en retour le champ des possibles pour lui donner son.

Pour enquêter sur les media1 d’expression dans l’œuvre de Mozart, j’utilise donc les outils contextuels – à remettre au jour par l’investigation que l’on peut globalement qualifier de musicologique – dans le but de m’approprier, au plus près, ses propres acquis. À ce titre, tous les outils sont bons à prendre, y compris ceux que nous fournissent d’autres disciplines qui invitent à faire feu de tout bois, en élargissant l’investigation, à l’instar des historiens antiquaires2. Ainsi, les codes d’expression du langage verbal, dans un contexte créatif lié à la théorie de l’imitation, peuvent-ils être appliqués à la musique. La prospection a montré comment l’époque baroque les a exploités et a permis d’en révéler également la signification dans la situation non verbale de la musique instrumentale. Or, il apparaît que Mozart est héritier de nombre de ces codes, qui, immanquablement, font sens.

Il ne saurait, par exemple, se passer des figures de rhétorique, codification actée et entendue par ses contemporains, au point qu’il en joue parfois pour créer l’équivoque. Cette « logique du sens »3 consiste à mettre en œuvre divers degrés significatifs à commencer par le double-entendre, pour reprendre la formule telle qu’on l’utilisait alors à Vienne en français. Il s’agit d’un deuxième niveau d’acception – comme un sens figuré implicitement et conventionnellement compris par le public de l’époque, éminemment efficace sur le plan dramatique. La technique permet, en particulier et à l’origine, d’éviter les références salaces trop concrètes dans l’opera buffa et crée l’humour dans le même temps. À nous de retrouver cette complicité en débusquant ses outils d’expression pour en fabriquer éventuellement de nouveaux, propres à être reçus à notre époque.

Les citations et autocitations me paraissent, elles aussi, signifiantes surtout si l’une des sources porte des paroles qui peuvent donner une clé de lecture, donc des clés d’interprétation pour les autres – ne serait-ce que phraséologiques et prosodiques. Le langage technique utilisé et ses références culturelles implicites, les formes et leur dramaturgie, les couleurs instrumentales et leur poétique… sont autant de messages. Ils n’en finissent pas de se décliner à tous les niveaux d’écoute dans un jeu multidimensionnel et nous invitent à nous rapprocher des « bons entendeurs salués » dans le contexte d’origine pour devenir, à notre tour, des passeurs de sens.

 

Figures de rhétorique : de la mimesis (imitation) à la communication non verbale, exemple de l’aposiopesis/suspiratio (réticence-soupir)

 

Ainsi, j’identifie l’aposiopesis/suspiratio qui figure les hésitations et les interruptions par des silences4 dans le Lacrimosa du Requiem où elle apparaît sous deux formes :

1°L’ostinato des violons 1, demi-soupir/deux croches s’appuyant sur une basse donnée sur le temps :

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comme dans l’accompagnement de l’Et incarnatus est de la Messe en si mineur de Bach

 

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et celui du Crucifixus en mi mineur sur la basse obstinée

 

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ou encore dans l’Été des Saisons, sur le début du premier quatrain où Vivaldi élude le temps fort :

Ecouter

« Dans la rude saison du soleil en feu, languit l’homme et le troupeau et le pin brûle »

 

Obsessionnelle et lancinante, souvent chromatique, elle est associée à l’expression de la peine, du labeur, de l’écrasement. Bach en fait un outil exégétique pour signifier l’idée que l’incarnation du Christ porte en elle-même la faute des hommes et mène à sa crucifixion, en la renforçant par le poids de sa courbe descendante en catabasis5. Vivaldi l’associe à la chaleur accablante et à l’économie de gestes et de vie qu’elle impose. Mozart reprend la figure pour accompagner ce thème, qu’il avait, à l’origine, en 1772, choisi de donner avec une verve galante pleine d’élan dans l’Allegro du Quatuor en sol majeur K. 156, où il l’utilise pour la première fois. La minorisation et l’expression de cet accompagnement radicalisent sa transformation :

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2° La fracture des mots, découpés en syllabes par des silences – suspiratio – pour figurer le fait que l’expression est brisée par des sanglots : « Qua re/sur/get ex fa/vil/la judicandus homo reus (où surgira de la poussière le pécheur pour être jugé) »

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comme on l’entend dans le monologue « Addio Roma » d’Ottavia dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi.

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Cette pièce est évidemment inconnue de Mozart mais la tradition de l’emploi s’est maintenue tout au long de l’époque baroque. On la trouve, par exemple, sous la plume de Haendel, dont il a longuement côtoyé de nombreuses œuvres conservées dans la bibliothèque de son ami Swieten, dans The Foundling Hospital Anthem, Blessed are they that considereth the poor HWV 268 (troisième partie : Comfort them, O Lord, mesures 2-3)

 

et, bien sûr, dans le célébrissime aria di dolore d’Almirena de Rinaldo « Lascia ch’io pianga » et ses pasticci.

Mozart lui-mêmeutilise l’aposiopesis dans ce sens tragique, associée à l’expression seria, par exemple dans l’air de Giunia de Lucio Silla « Parto, m’affretto », dans lequel elle prend la décision de quitter Rome. Cursif, allegro assai, il symbolise la panique de la fuite et l’angoisse de la mort : les aposiopeses saccadent la ligne et figurent l’essoufflement et l’extrême agitation de l’héroïne (mesures 46-49).

 

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Fixée, connue, identifiée, nommée… cette figure peut donc être traitée de manière parodique, comme Mozart s’y amuse dans le quintette « Di scrivermi » de Così fan tutte, au moment des adieux des deux couples qui se promettent de s’écrire tous les jours6.

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Par conséquent, cette mise en musique de la sémantique des pleurs peut également opérer sans verbe, par exemple pour le mouvement lent, Romanza, du Concerto en ré mineur K. 466, dans sa partie centrale en sol mineur dont l’aposiopesis hachure obsessionnellement les lignes. Elles sont enfermées par des barres de reprises qui semblent vouloir les redire à l’infini. Le piano trouve néanmoins la sortie en reprenant seul la réexposition puis en y invitant l’orchestre.

 

Au-delà de ces constats, la question du « partage du sensible »7pour paraphraser Jacques Rancière – se pose à l’interprète : apnée, souffle court, halètements, sanglots… ? Comment donner à ressentir les effets de l’aposiopesis à notre époque où l’auditoire n’en a plus la clé de lecture ? Faut-il forcer le trait, tronquer, occuper les silences comme on l’entend la plupart du temps lors des interprétations du Spectre de la rose8 où Berlioz l’utilise pour séparer les mots « mais/ne/crains/rien, je ne réclame ni messe ni De Profundis »… ?

 

Faut-il la détourner de sa sémantique d’origine en allongeant la première noire, ce qui est quasiment systématiquement fait au début du premier mouvement de la Quatrième Symphonie de Brahms ?

 

Le questionnement s’impose et nécessite une réflexion sur l’interprétation et la transmission.

 

 

Double-entendre : double-sens, sens figuré, sous-entendu, contresens, paradoxe, non-sens… « mise en série du sens9 »

 

On a démontré musicologiquement l’effet du double-entendre dans le cadre de l’opera buffa viennois10. L’expression en français renvoie au lexique du libertinage tel qu’il était utilisé à l’époque en Europe – la France faisant référence en la matière11. Bruce Allan Brown a mis le principe en évidence avec les jeux de double-sens cultivés dans l’opéra comique français et leur influence sur l’opera buffa12.

Mary Hunter a montré également comment le champ lexical du jardin cachait à demi-mot celui de l’amour et comment Da Ponte utilisait des tournures décalées et excessives dans les arie di furorequi venaient contredire le sens premier : Dorabella invoque les furies (« Smanie implacabili ») avec la violence musicale d’Elettra dans Idomeneo (« D’Oreste e d’Ajace »), d’une manière bien trop outrancière par rapport à la situation. Le public était donc en mesure de comprendre instantanément la parodie, présente également pour les airs de Fiordiligi13 avec plus de subtilité : la marche trop pompeuse et le style trop seria, eu égard aux circonstances, de « Come scoglio »14 et la prière du second acte, « Per pietà », dont l’intériorité et la profondeur d’expression sont déjouées par les galipettes incongrues des cors – symboles de tromperie. Cet effet de double-entendre était bien connu du public d’opera buffa, Mozart en a donné lui-même le sens dans le premier numéro des Noces lorsque Figaro et Suzanne mesurent leur chambre pour placer leur lit et que la sonnette de Madameest évoquée par les flûtes et hautbois, tandis que celle de Monsieur retentit aux cors et bassons. Figaro fait alors remarquer à Suzanne que le Comte l’enverra au fond du jardin pour profiter de son absence et abuser d’elle. De fait, dans une logique de « mise en série du sens », il semble difficile de considérer comme un hasard, que Beethoven, qui jugeait Cosìcomme amoral, ait choisi trois cors pour soutenir la fidélité et l’héroïsme de Leonore15 pour son grand air « Komm Hoffnung »– dès la première version de Fidelio, Leonore en 1805.

Cette référence et le détournement même qu’il en réaliseinvitent à repenser l’interprétation des concertos pour cor de Mozart16, d’autant qu’ils sont composés pour l’un de ses amis qu’il ne cessait de taquiner, le corniste Joseph Leitgeb17. Les autographes de Mozart, qui lui sont destinés, sont truffés de remarques et de plaisanteries vraisemblablement affectueuses18, que la dédicace du Concerto en mi bémol K. 417 résume bien : « Wolfgang Amadé Mozart hat sich über den Leitgeb Esel, Ochs, und Narr, erbarmt » (« Wolfgang Amadé Mozart a pris pitié de Leitgeb l’âne, le bœuf et le bouffon »). Le soliste pourrait donc être comparé à ces personnages d’opera buffa tenus par un basso buffo ou caricato, qui correspond aux voix de Figaro ou Leporello (la notion de baryton n’existe pas à l’époque ou du moins n’est pas nommée telle quelle), c’est-à-dire aux rôles de valets actifs et rusés, mobiles et drôles, qui pourraient inspirer le jeu des cornistes pour certains des mouvements alertes19. Les témoignages rapportés sur Francesco Benucci20, basso buffo parmi les plus appréciés, peuvent alors donner des clés d’interprétation21 : « Benucci chanta l’air de FigaroNon più andrai, farfallone amoroso’avec une animation et une puissance extraordinaire. Je me tenais près de Mozart, qui répétait sottovoce ‘Bravo ! bravo ! Benucci’ ; et quand Benucci en arriva au magnifique passage ‘Cherubino, alla vittoria, alla gloria militar’, qu’il lança d’une voix de stentor, l’effet fut comparable à celui de l’électricité, car tous les exécutants, sur la scène et dans l’orchestre, comme poussés par un même élan de plaisir se mirent à clamer ‘Bravo ! Bravo ! Maestro. Viva, viva grande Mozart !’ »22.

Cet emploi des voix de basso ouvre, à son tour, une autre série du sens puisque cette typologie vocale est aussi celle des rôles de maîtres. Ainsi, l’interchangeabilité des voix de Figaro et du Comte, de Leporello et de Don Giovanni, permet-elle les travestissements propres aux intrigues d’opera buffa, mais montre, dans le même souffle, que les maîtres, comme les valets, ne se sont que « donné la peine de naître ! »… double-entendre d’une efficacité redoutable jouant du non-dit pour respecter la censure joséphiste, qui avait interdit les représentations du Mariage de Beaumarchais, et, dans le même temps, la « mettre en pièces ».

Le rondo « Per pietà » est encore exemplaire d’une énième dimension de double-entendre si l’on considère les cors comme signifiants : il invite à envisager les instruments concertants des autres grands rondos23 comme signifiants eux aussi, en conjuguant les notions de forme et de couleur, en particulier la clarinette de « Parto » chanté par Sextus et le cor de basset de « Non più di fiori » chanté par Vitellia dans La Clémence de Titus. Les deux instruments furent joués par le même Stadler24 lors de la création à Prague en septembre 1791, l’ami dédicataire du Quintette et du Concerto. Ils interviennent au moment où chacun des protagonistes a décidé d’aller au-devant de la mort – ces instruments de prédilection de Mozart à la fin de sa vie peuvent donc être entendus comme les media du renoncement et de la sagesse. Par conséquent, ils ne sauraient s’exprimer en retrait puisqu’ils établissent une véritable interactivité avec le personnage auquel ils insufflent toute son énergie.

Le double-entendre n’en finit donc pas d’ouvrir les champs sémantiques et laisse chacun libre de faire sien l’un des possibles, ce qui motive la profusion bibliographique et la variété des interprétations – l’œuvre elle-même devenant mythe. Pour Don Giovanni, Mozart et Da Ponte jouent sans limite de ces conventions polysémiques culturelles, ponctuelles et même locales. Ainsi « Viva la libertà » du finale du premier acte a pu sonner pour les Pragois en 1787 comme une invitation à la rébellion et pour les Viennois en 1788 comme un hommage à la largeur d’esprit de Joseph II, à moins que cela ne soit le contraire… la superposition des danses qui suit, comme une confrontation volcanique des couches sociales ou comme le symbole du relais d’une culture européenne sous tutelle française – le menuet –, à l’affirmation de la germanité – la Teish25… Ce témoignage d’une Pragoise est, quant à lui, sans ambiguïté : « Les Tchèques sincères furent flattés de voir que monsieur Mozart pense toujours à eux… À la fin de l’opéra tous goûtèrent la grandeur du cimetière où repose le Commandeur. On y avait aussi peur que dans notre fameuse nécropole des Israélites »26. À Prague, ville peuplée de statues, la scène du cimetière ne peut que revêtir une acception particulière : le mythe du Commandeur n’y rappelle-t-il pas celui du Golem dont il se dit encore qu’il reprend vie certaines nuits de terreur pour protéger le quartier juif ? Les représentations données à partir du 29 octobre 1787, donc pendant le temps liturgique de la Toussaint, n’invitent-elles pas à s’interroger sur une sémantique liée au lieu et à la période, propulsant la fameuse scène du cimetière aux antipodes des interprétations romantiques… ? Et cette acception n’incite-t-elle pas à revisiter leur héritage sur le plan musical et scénographique pour mettre en avant l’aspect parodique ?

Mais par-delà cette ponctualité, l’ouverture prévient dès ses premières notes que le sens de cette intrigue battue et rebattue ne sera pas le sens habituel : Mozart lui donne l’ampleur d’un premier mouvement de symphonie27 et la laisse sonner dans ce mineur, véritable paradoxe à lui seul pour tout auditeur de l’époque puisque jamais une page d’une telle intensité n’a précédé un dramma giocoso – qui commence d’habitude in medias res28.

En outre, il faudrait bien plus qu’un sextuor en scena ultima convenue pour amortir les tensions insolubles de la scène du festin. Sa présence même ouvre une nouvelle « série du sens ». Car, indépendamment des conventions et des habitudes, c’est bien l’implication personnelle de Mozart dans l’œuvre qui en fait l’exception. Il utilise donc le double-entendre au-delà des effets habituels du seul genre de l’opera buffa, auquel ses contemporains le cantonnent, par les détournements de conventions qui font sens en eux-mêmes et dont le principe est transposable en musique instrumentale, religieuse, dans l’opera seria

 

 

Citations, autocitations… les enjeux de l’intertextualité

 

Les exemples de citations et d’autocitations sillonnent l’œuvre de Mozart. Le thème cité constitue un signifié dont il est intrigant de mettre au jour le signifiant. Si l’une de ses occurrences a porté des paroles, il apparaît alors tangiblement (encore qu’il puisse aussi être soumis au double-entendre !)… Mais donner sens à cette conjugaison indépendamment de références verbales me semble également possible par différents biais, si l’on admet que la démarche relève immanquablement de l’interprétation.

 

Citations empruntées au répertoire

Parmi de nombreux exemples possibles, revenons au Requiem, ultime expression fondée sur un réseau de citations et autocitations qui anéantit à lui seul toutes les prétentions de Süssmayer29, puisque Mozart n’y convoque rien moins que Haendel, Reutter, Gossec, Michael Haydn, Wilhelm Friedemann Bach, des mélodies du répertoire liturgique catholique et luthérien… et lui-même comme autant d’infra-textes.

La bibliographie de référence30 rattache traditionnellement l’incipit de l’Introït, bassons, mesures 1-2

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au choral Herr Jesu Christ, du höchstes Gut ! (Seigneur Jésus Christ, bien suprême) associé à la pénitence.

 

Pour ma part, j’entends plutôt chez Mozart la mélodie de la Séquence du jour de Pâques, Victimae Paschali laudesimmolent Christiani (Àla Victime Pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louanges), en premier mode.

 

ou plus précisément sa version luthérienne tonale, le choral Christ lag in Todesbanden (Le Christ gisait dans les liens de la tombe)

 

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Pour le moins, je propose donc de soulever l’ambiguité de ce double-entendre et d’envisager la possiblilité de placer le Requiem sous le signe de la résurrection pascale.

Or, l’analyse musicale permet de débusquer les nombreuses références à cet incipit sur la durée de l’œuvre, la plupart du temps en mineur :


	Dies irae, soprani, mesures 4-6.

Dies irae, soprani, mesures 4-6.

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	Agnus Dei, basses, mesures 2-9.

Agnus Dei, basses, mesures 2-9.

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La basse de l’Osanna en majeur semble également en découler,


	Osanna, basse, mesures 11-16.

Osanna, basse, mesures 11-16.

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et permet d’identifier plus concrètement que l’incipit du Recordare en est également issu :


	Recordare, cor de basset 2, mesures 1-3 (en fa).

Recordare, cor de basset 2, mesures 1-3 (en fa).

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Ce passage de l’Offertoire en est donc une transposition :


	Offertoire, basses, mesures 44-45.

Offertoire, basses, mesures 44-45.

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La prise de conscience de ce réseau confirme la sensation de profonde unité de l’œuvre et me fait soutenir l’idée, contraire à la tradition d’interprétation, que Mozart fonde son Requiem sur la notion de résurrection, refrain de sa correspondance et de son œuvre tant religieux que profane31. Lors d’une lecture-concert de la version pour quatuor àcordes du Requiem réalisée par Peter Lichtenthal, ponctuée de lettres et d’extraits de livrets d’opéra et de documents d’archives, j’ai donc demandé aux membres du quatuor d’arriver sur scène en chantant le choral Christ lag in Todesbanden afin d’en introduire la mélodie dans la mémoire des auditeurs et de teinter leur ressenti par le jeu de la réminiscence.

 

Autocitations

Fondé sur l’analyse musicale et l’enquête musicologique, le relevé des autocitations m’invite aussi à donner un sens qui, s’il n’a pas la prétention d’être le bon, repose sur une argumentation fournie et étayée. Je les envisage donc comme une famille de thèmes qui relient les œuvres les unes aux autres par-delà le temps et me positionne en tant qu’analyste-interprète de cette intertextualité.

Si je me permets d’énoncer, par exemple, que le refrain du rondo du Concerto pour hautbois K 314 de Mozart est symbolique de liberté, c’est en m’appuyant sur une étude qui en retrace toutes les apparitions que j’ai localisées au fil de son œuvre. C’est sur ce timbre que Blondchen – dont le pays d’origine, le Royaume-Uni, est alors un symbole européen d’avancée sociale et politique – revendique sa liberté dans L’Enlèvement au sérail, dans l’air « Welche Wohne, welche Lust ». C’est également lui qui sonne après la fuite de Papageno et Pamina au premier acte de La Flûte enchantée. Je m’autorise donc à lui donner cette clé de lecture pour interpréter le final du Concerto pour hautbois32. Il se trouve que Mozart le compose en septembre 1777, alors qu’il est dans la perspective de quitter Salzbourg où il étouffe. Mais sa première citation apparaît bien longtemps auparavant, dans le finale de la joyeuse et ludique Sonate à quatre mains K 19d composée à Londres, en 1765, pour sa sœur Nannerl et lui-même. Elle est donc liée à l’Angleterre et à la liberté qu’offraient les tournées d’antan, mais aussi aux rires de l’enfance forcément nés des croisements de mains acrobatiques que demande la partition.

Or, c’est justement cette œuvre que Mozart et sa sœur jouent lorsqu’ils posent durant l’automne 1780 pour le peintre Croce qui les représente mains croisées et que je ne puis que prendre en compte dans ma démarche antiquaire. La tristesse des vivants – le frère, la sœur, le père qui tient son instrument en retrait sans participer au jeu musical – évoque le souvenir – celui de la mère, morte à Paris en 1778. Représentée en médaillon, elle veille des hauteurs. Ces souvenirs sont multiples, de sa tendresse perdue à la culpabilité qui pèse sur les épaules de Mozart, accusé ouvertement par son père de ne pas avoir appelé le médecin à temps et d’être responsable de sa mort ; souvenirs de voyages… amenant denouveaux espoirs de liberté, alors que Mozart a justement  la perspective de quitter Salzbourg avec la commande d’Idomeneo pour la cour de Munich…

Cette liberté s’affiche avec la verve sonore la plus moderne lorsqu’il utilise une fois encore ce refrain à Vienne en 1784, pour le final de la Gran Partita K 361, dans l’effectif, alors inouï, de treize instruments à vent.

Au vu de ces récurrences, on peut d’ailleurs se demander si ce thème ne serait pas un timbre, antérieur à l’œuvre de Mozart, auquel l’idée de liberté pourrait être attachée. L’enquête musicologique n’a pas porté de fruits jusqu’à présent, mais je ne désespère pas de le reconnaître un jour dans l’œuvre d’un prédécesseur ou dans un répertoire populaire qui aura laissé des traces. L’intertextualité relevée dans ces différentes œuvres m’invite donc à les envisager comme une famille de signifiés au signifiant commun et offre une réflexion sur le tempo et l’articulation de ce refrain, sur la manière et les moyens de donner à ressentir aux auditeurs cette notion de liberté qui me paraît lui être inhérente et déclinable en thématiques de concert.

 

Le même processus me fait entendre le thème de l’aria d’Ilia « Se il padre perdei », au deuxième acte d’Idomeneo, comme un thème de pardon. Évoqué par Constance Mozart comme le passage favori de son époux, il montre Ilia demandant à Idomeneo de pouvoir trouver un nouveau père en lui. Aux antipodes de l’Ilione de Danchet dans l’Idomenée de Campra, et de son modèle, l’Erixène de Crébillon dans la tragédie du même titre, elle a relégué tout ressentiment à l’égard de celui qui fut ennemi des siens et porte le sang frais des Troyens sur les mains. C’est la tendresse d’un père qu’elle demande et celle d’une fille qu’elle apporte en même temps que son pardon. Or, Mozart a choisi d’en faire partager l’expression par le quatuor concertant d’instruments à vent : flûte, hautbois, basson et cor, les quatre solistes dédicataires de la Symphonie concertante en mi bémol majeur K 371, merveilleux musiciens et joyeux drilles à cause desquels sa mère avait décidé de l’accompagner à Paris pour lui éviter leur fréquentation qu’elle jugeait douteuse… Paris où elle meurt loin des siens et de sa terre natale, le 3 juillet 1778. En cet automne 1780, Mozart retrouve donc ces instrumentistes exceptionnels auxquels il redonne à jouer le thème des variations du troisième mouvement de leur symphonie concertante pour chanter le pardon et l’amitié aux côtés d’Ilia. Mélodie au souffle long portée par la luminosité chaleureuse de mi bémol majeur, elle n’a plus rien de la légèreté du printemps 1778, elle est devenue profonde et grave quand elle virevoltait joyeusement d’un instrument à l’autre, elle s’est parée des couleurs de la sérénité pour exprimer l’apaisement du pardon. Mais c’est bien elle, et cette seule référence apporte la preuve que la Symphonie concertante pour flûte, hautbois, basson et cor33 est bien l’œuvre de Mozart – ce qui est encore mis en doute, l’autographe ayant disparu – et invite à accentuer ces différentes expressions : la légèreté joyeuse, brillante, bavarde et individualiste du thème et variations, apanage de la symphonie concertante, le partage de l’ordre de l’intime dont l’interactivité nourrit la profondeur d’expression de l’aria.

 

De nombreux autres exemples d’autocitations pourraient être pris à témoin. J’en resterai au premier thème en fa majeur de la Romanza du Concerto pour piano en ré mineur, belle mélodie que Mozart réutilise deux ans et demi plus tard dans Don Giovanni, en lui confiant la prière des trois masques (Elvira/Anna/Ottavio) invités à la fête chez le personnage éponyme. Le texte porté par cette ligne est alors : « Protega il giusto cielo il zelo del mio cor » (« Que le juste ciel protège l’ardeur de mon cœur ») qui invite à entendre et à jouer la Romanza comme une prière. Évoquons aussi le thème du Lacrimosa,dont j’ai mentionné la source dans le Quatuor K 156, qui se conjugue avec celui du finale du Quatuor en ré mineur K 421 dont il pourrait bien être une énième et ultime variation34, etc.

 

Tels des Leitmotive sillonnant et unifiant l’œuvre, leurs récurrences me semblent fondées sur la mise en éveil de la mémoire, celle de Mozart, retrouvant des parentés de circonstances, de sens, d’expression ; la nôtre, sensibilisée par la reconnaissance – et par suite, curieuse de ces retours.

Au-delà de cette prise de conscience, qui peut donner une couleur particulière au jeu musical, j’ai proposé différents media, au long de deux décennies de questionnement : un CD-rom sur Così fan tutte intitulé Visite interactive d’un opéra de Mozart35, un livre-disque sur le Requiem intitulé Au cœur de l’œuvre ultime de Mozart36, des concerts-lectures plutôt didactiques et des lectures-concerts plutôt poétiques, un essai intitulé Mozart ou la vie37 qui utilise ces analyses sous forme romanesque, plusieurs spectacles musicaux… l’interprétation de l’investigation peut donc devenir création et la création, medium de partage du sensible, fondement du lien entre les interprètes et le public.

 

 

…et autres outils du sens sur lesquels je reviendrai dans un prochain article…

 

Cette notion d’un deuxième degré de lecture et d’interprétation au-delà des apparences me semble donc constituer un outil d’expression fréquemment exploité par Mozart. Ainsi la dimension formelle, l’écriture, l’instrumentation font sens elles aussi. Le Recordare, par exemple, est agencé dans une forme sonate dont la dramaturgie se conjugue au texte38 : la résolution des tensions apportée par la réexposition symbolise l’espoir du pardon et de la résurrection.

Dans cette même pièce, Mozart fait le choix de mettre en avant les cors de basset, associés à la modernité puisque l’instrument n’est alors joué qu’à l’état de prototype par quelques clarinettistes tels les frères Stadler. Pourtant, on y retrouve une expression qu’il a déjà liée à la supplication de la figure du Christ – comparable à celle du Christe de la Messe en ut mineur, par exemple – dans une luminosité qui tranche avec le reste de la partition. Le texte du Recordare peut d’ailleurs être entendu comme une longue glose développant les mots « Christe eleison ». La fluidité des cors de basset communique une impression de douceur ouatée et éveille le souvenir de celle de l’Et incarnatus est dans le Credo de cette même Messe : pour évoquer le bonheur de l’incarnation, Mozart enveloppe la voix de soprano avec les mélismes de la flûte, du hautbois et du basson concertants, dans le même ton de fa majeur – dit pastoral –, qui campent un décor de crèche. Le cor de basset rejoint la famille dans cette expression associée aux bois39 et la conjugue au jeu formel décrit plus haut pour dire la confiance et l’espoir. Le fait que Mozart ait eu l’occasion de dire qu’il tenait cette pièce en haute estime peut être également envisagé dans ce sens40. Les différentes associations de la mémoire offrent donc une lecture possible au-delà des mots et au-delà des notes.

Enfin, l’écriture musicale me semble également signifier par les références implicites qu’elle véhicule et que l’enquête musicologique invite à redécouvrir. Je prendrai un dernier exemple, témoin de l’investigation à mener, avec le trio « Soave sia il vento » de Così fan tutte : l’adieu aux fiancés chanté par les jeunes filles et Don Alfonso. L’action se passe dans la baie de Naples, tandis que leur voile s’éloigne – nous voilà donc au pied du Vésuve, lieu bien connu de Mozart lui-même. La dissonance étirée sur le mot désir nous donne à ressentir la fièvre bouillonnante de l’attente symbolisée par cette image connotée du volcan qui couve. Or Mozart écrit ce trio à la manière d’un choral, c’est donc implicitement une prière dont la référence est évidente pour l’auditoire de l’époque : les trois voix chantent verticalement « que suave soit le vent » en formulant des vœux pour que le voyage se passe bien – thématique réitérée dans la correspondance de Mozart au fil de ses nombreux voyages – ; l’accompagnement mélodique est joué par les cordes avec sourdines. L’équilibre est comparable à celui de pièces comme le Choral du veilleur ou Jesu bleibet meine Freude de Bach.

Le sens se révèle donc en différents niveaux d’expression et donne accès à l’ouverture de l’œuvre que l’on peut interroger dans ses multiples dimensions. Voilà pourquoi sa ponctualité l’ancre dans l’éternité : incessamment relue, elle offre à relire incessamment son interprétation. L’immanente modernité de l’œuvre de Mozart réside dans cette propriété et nous invite à une perpétuelle remise en question vivifiante et vitale.

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Notes

1Media employé comme pluriel de medium : intermédiaire.

2Cf. GINZBURG C., 2000, Le Fil et les traces, Vrai faux fictif, Paris, Verdier.

3DELEUZE G., 1969, La Logique du sens, Paris, Éditions de Minuit.

4Pour les figures de rhétorique, voir entre autres les ouvrages de BARTEL F., 1997, Musica Poetica : Musical-Rhetorical Figures in German Baroque Music, University of Nebraska Press, et TARLINGJ., 2004-2005, The Weapons of Rhetoric, a Guide for Musicians and Audiences, St. Albans, Corda Music.

5Catabasis : figure descendante symbolique de la chute, la mort, le péché…

6Parodique ou sincère, d’ailleurs, c’est la question que l’on peut se poser, lorsqu’on pense à toute l’expression personnelle de l’angoisse suscitée par chacun de ces derniers voyages des années 1789-1790 dont justement les lettres de Mozart à sa femme sont les témoins et qui nous donnent, elles aussi, une dimension interprétative. On pourra donc s’interroger sur l’expression à confier à ce quintette dans lequel Alfonso se retient d’éclater de rire quand les jeunes gens expriment leur désarroi sur différents plans, les filles étant supposées dans la douleur, les garçons, dans le mensonge mais aussi dans l’embarras au vu de cette douleur. L’aposiopesis rejoint alors les effets du double-entendre sur lequel je vais revenir.

7RANCIÈRE J., 2000, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique.

8Il l’utilise aussi de manière flagrante pour figurer l’essoufflement de Marguerite dans la Romance « D’Amour l’ardente flamme » de La Damnation de Faust sur les mots « je vais à ma fenêtre ».

9Cf. DELEUZE, op. cit., Septième série du sens, et autres paragraphes.

10Cf. HUNTER M., 1999, The Culture of Opera Buffa in Mozart’s Vienna: A Poetics of Entertainment. Princeton University Press, et WEBSTER J., 1997, Opera Buffa in Mozart’s Vienna, Cambridge University Press, en particulier l’article de Brown B. A., Lo specchio francese : Viennese opera buffa and the legacy of French theatre, pp. 50-81.

11L’expression double-entente est utilisée par CHODERLOS DE LACLOS dans Les Liaisons dangereuses, Lettre LXXXV, Pocket classique, 1989, p. 229.

12Pour ne citer que le duo « Troquons, troquons ! » de l’opérabouffon Les Troqueurs d’Antoine Dauvergne sur la thématique de l’échange des membres des couples, lui aussi.

13Liste à laquelle on pourrait ajouter le « trop sérieux » « Fuggi traditore » d’Elvira dans Don Giovanni, destiné à faire rire du fait que les plans du personnage éponyme viennent d’être – une fois de plus – déjoués. Ce qui est aussi une convention du comique de l’époque. Mozart connaît déjà lui-même cette situation dramatique pour l’avoir traitée dans le trio « Mandina amabile » K 480 ajouté pour les représentations de La villanella rapita de Bianchi et Bertati.

14Cf. HUNTER M., mai-juin 1990, « Cosìfan tutte et les conventions de son temps », in NOIRAY M., Così fan tutte, Avant-scène opéra n° 131-132, pp. 158-164 et HUNTER M., 1999, op. cit.

15À noter que Fiordiligi a revêtu un habit de soldat pour rejoindre Guglielmo à la guerre au moment où elle chante « Per pietà ». Leonore est également travestie en militaire pour chanter « Komm Hoffnung ». On peut se souvenir également que les trois cors sont les solistes du Trio de la Symphonie héroïque.

16Le Quintette en mi bémol majeur K 407 composé pour Giovanni Punto/Jan Wenzel Stich, 1746-1803, me semble relever d’une autre esthétique.

17Joseph Leitgeb ou Leutgeb, 1732-1811.

18Leitgeb restera l’un des très fidèles jusque dans les dernières heures.

19Voir également la tradition de Plaisanterie musicale (Galimatias musicum), par exemple K 522 chez Mozart.

20Francesco Benucci, 1745-1824. Il créa à Vienne les rôles de Figaro (Le Nozze di Figaro), le 1er mai 1786, Guglielmo (Così fan tutte), le 26 janvier 1790, reprit le rôle de Leporello dans la version viennoise de Don Giovanni (7 mai 1788) – pour laquelle Mozart ajouta le duo « Per queste tue manine » K 540c. Mozart voulait également lui attribuer le rôle de Bocconio dans Lo sposo deluso, opéra inachevé, 1783.

21Cf. RUSTON J., Buffo roles in Mozart’s Vienna : Tessitura and tonality as signs of characterization, in Opera Buffa in Mozart’s Vienna, pp. 406-425.

22KELLY M.,1826, Reminiscences of Michael Kelly, of the King’s Theatre, and Theatre Royal Drury Lane, including a period of nearly half a century, with original anecdotes of many distinguished persons, political, literary, and musical. New York.

23Le piano de « Ch’io mi scordi di te » K. 505 me paraît donc renforcer la signature personnelle de Mozart déjà appuyée par l’ex-libris « Pour Mademoiselle Storace et moi », s’il n’était pas suffisant qu’il en ait transposé lui-même les paroles d’après un passage du texte de Varesco pour Idomeneo.

24Anton Stadler/Stodla, 1753-1812.

25Teish, déformation du mot Deutsch renvoie donc à l’idée de danse allemande (Teish, Teisch, Teitsch, Teutsch, Deutsch).

26OLIVIER P., nov.-déc. 1979, « Autres éclairages sur la naissance d’un chef-d’œuvre », Avant-scène opéra n° 24, Don Juan, p. 15 citant le journal de Karla Farkacov.

27Cf. celui de sa Symphonie n° 38 dite « Prague », antérieure de quelques mois.

28Pour le Don Giovanni de Bertati et Gazzaniga, donné quelques mois auparavant : quinze mesures d’un Moderato en mi bémol.

29Je l’ai plus longuement montré dans l’article « Pour en finir avec Süssmayer, les enjeux de l’intertextualité dans la partition du Requiem de Mozart », Revue Musicale de Suisse Romande, n° 64-2, juin 2011.

30BLUME F., 1961, Requiem but no peace in Musical Quarterly, Oxford University Press,XLVII(2) pp. 47-169, BLUME F., 1963, Requiem und kein Ende, in Syntagma Musicologica, Cassel, pp. 714-734, NOWAK L., 1964, préface de l’édition critique du Requiem, Neue Mozart Ausgabe, Bärenreiter, Cassel et WOLFF C., 1991, Mozarts Requiem, Bärenreiter, Cassel.

31J’ai donné la liste de ces références dans 2006, Requiem, au cœur de l’œuvre ultime de Mozart, harmonia mundi, p. 67.

32Il faut également rappeler que le hautbois, encore à la fin du XVIIIe siècle, est par évidence un symbole français, dont l’étymologie est une analogie phonétique du français dans toutes les langues : oboe (italien, allemand, anglais…), ce qui concourt à symboliser « l’ailleurs ». Cf. ma thèse : 1996, Évolution de la pratique du hautbois, à Paris, de la fin du règne de Louis XV à la fin du Premier Empire, Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Université de Tours.

33Les dédicataires étaient Johann Baptist Wendling, 1723-1797, Friedrich Ramm, 1744-1811, Georg Wenzel Ritter, 1748-1808, membres de l’orchestre de Mannheim devenu orchestre de Munich à partir de l’été 1778, auxquels s’était joint le corniste Giovanni Punto.

34Dont j’ai proposé une lecture dans Requiem, au cœur de l’œuvre ultime de Mozart, pp. 124-130.

35Accompagnant l’enregistrement de René Jacobs, harmonia mundi, 1999.

36Avec l’enregistrement de Philippe Herreweghe, harmonia mundi, 2006.

372006, Mozart ou la vie, Paris, Séguier-Archimbaud.

38Cf. Requiem, au cœur de l’œuvre ultime de Mozart, pp. 68-69.

39J’ai étudié plus longuement ce rapport des bois et de la pastorale dans l’article : Deuxième semestre 2004-premier semestre 2005, « De la référence champêtre des origines à la palette berliozienne, le cheminement expressif du hautbois », in La Lettre du Hautboïste, n° 15, pp. 38-47, n° 16 et pp. 26-31.

40« Je fus heureux d’apprendre que j’avais vu juste en supposant que le Recordare (l’un des plus divins et enchanteurs mouvements jamais écrits) était aussi l’un de ses préférés », rapporte Vincent Novello dans son journal cité par LANDON H. C. R., 1991, La Dernière Année de Mozart, Paris, Fayard, p. 155.

Pour citer ce document

Florence Badol-Bertrand, «Figures de rhétorique, double-entendre, intertextualité, couleurs, formes… : pour une interprétation des outils mozartiens d’expression du sens», La Revue du Conservatoire [En ligne], Dossier notation et interprétation, La revue du Conservatoire, Le deuxième numéro, Contenus, mis à jour le : 14/06/2013, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=595.

Quelques mots à propos de :  Florence Badol-Bertrand

Florence Badol-Bertrand enseigne l’histoire de la musique au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et au Conservatoire de Saint-Étienne. Depuis ses études au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, elle cherche les moyens de mettre la musicologie au service de la musique et de ses interprètes avec lesquels elle collabore en permanence : ensembles Carpe Diem et Sylf, Quatuor Debussy, Emmanuelle Bertrand… Sa pratique de hautboïste et son attachement au monde des musiciens et des chanteurs conditionnent sa démarche de pédagogue et de chercheur. Sa thèse de doctorat[1] a d’ailleurs servi à remettre à jour un grand nombre de partitions oubliées et à en donner des clés d’interprétation. C’est pour faire découvrir cette musique qu’elle a fondé les éditions musicales Deux Croches/Noire, aux côtés du corniste Serge Badol, et l’a produite lors des nombreux concerts du Festival de Plateau Vivarais-Lignon et des stages de l’Académie internationale « Soufflez », dont elle a été fondatrice et directrice artistique pendant 12 ans. Invitée lors de colloques (Musicora, Oboe Blow-Out de New York), conférences et cycles de conférences (Opéra de Lyon, Orchestre national de Lyon, Cité de la musique), présentations de concerts (Festival Berlioz, Nouvel Orchestre philharmonique de Radio France, Orchestre national de France), émissions radiophoniques (France Musique, France Culture) ou télévisées (LCI, France 3, France 2), elle collabore régulièrement à des publications collectives (Cité musiques, publications du bicentenaire du Conservatoire, Buchet-Chastel, Dictionnaire Fayard, revue Analyse musicale, Revue musicale de la Suisse romande), plaquettes discographiques (Deutsche Grammophon, harmonia mundi) ou programmes de concerts (Festival d’Ambronay, Philharmonie du Luxembourg, orchestres de Radio France, Cité de la musique, Théâtre des Champs-Élysées)… Elle s’investit également auprès de publics qui ne fréquentent pas forcément les salles de concert sous forme de rencontres et d’échanges, d’où ses interventions auprès d’enfants des écoles primaires, secondaires ou des centres sociaux, d’élèves des grandes écoles, de cercles d’adultes… rejoignant parfois d’autres corporations (colloque psychiatrique de Mirecourt). C’est dans cette perspective de communication qu’elle s’est lancée dans l’aventure multimédia, dès ses débuts, en concevant les textes du CD-rom Così fan tutte, Visite interactive d’un opéra de Mozart (enregistrement de René Jacobs, Véronique Gens, Bernarda Fink… pour harmonia mundi), élu « Meilleure référence culturelle mondiale » lors des Macromedia People’s Choice Awards 2000 à San Francisco. Elle a également été chargée de la partie « Classicisme viennois » du site Internet de la Cité de la musique. En 2006, elle a publié une fiction intitulée Mozart ou la vie, aux éditions Séguier-Archimbaud, adaptée en concert-lecture pour le Théâtre du Marais (avec Daniel Mesguish, Marina Chiche, Philippe Giorgi…). Son dernier ouvrage Requiem, au cœur de l’œuvre ultime de Mozart accompagné de l’enregistrement de Philippe Herreweghe (harmonia mundi) a été salué unanimement par la critique. Il a également donné lieu à un concert-lecture avec le Quatuor Debussy et Christophe Malavoy. Fin 2011, elle a été reçue à l’Habilitation à diriger des recherches sur le sujet Pour une musicologie partagée, qu’elle a soutenue à l’Université de Lille 3. Membre fondateur de la fondation Genesium de Mons, elle rejoint en 2012 le groupe de recherche mené par Jacques Grandclaude sur la génétique des œuvres, dans le cadre duquel elle représente la musique.
[1]Évolution de la pratique du hautbois à Paris de la fin du règne de Louis XV à la fin du Premier Empire, CNSM, CNRS, ENS, Université de Tours, 1996.