Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
n°7
Manuel Cornejo

Colloque Roland-Manuel (novembre 2016) | Repères sur Roland-Manuel

Article
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Brève biographie de Roland-Manuel (1891-1966), élève de Maurice Ravel, compositeur, critique musical, musicologue, pédagogue et homme de radio. Avec bibliographie et catalogue des œuvres de Roland-Manuel. En annexe, texte d’Hélène Jourdan-Morhange sur Roland-Manuel.

Texte intégral

Repères biographiques

 

Roland-Manuel, pseudonyme de Roland Alexis Manuel Lévy, est né à Paris le 22 mars 1891 et mort à Paris le 1er novembre 1966.

Il fut compositeur, musicologue, critique musical, professeur d’esthétique musicale, homme de radio français.

Il étudia le violon à Liège, puis, à la disparition de son père en 1905, vint s’installer à Paris avec sa mère. Il poursuivit ses études musicales à la Schola Cantorum, auprès de Vincent d’Indy, Auguste Sérieyx et Albert Roussel. Présenté par Erik Satie à Maurice Ravel en octobre 1911, Roland-Manuel en devint d’emblée un des très rares élèves ainsi qu’un ami très proche, le premier biographe en 1914 et le transcripteur de l’Esquisse autobiographique de 1928. La mère de Roland-Manuel, Mme Fernand Dreyfus, fut marraine de guerre de Maurice Ravel, qui lui adressa une abondante correspondance en 1916-1917. Marié en 1916 à Suzanne Roux, pianiste, romancière, décoratrice à l’Opéra-Comique, Roland-Manuel recevra souvent chez lui et son épouse de nombreux artistes, écrivains (dont Michel Leiris, cousin par alliance de Roland-Manuel) et musiciens de leur temps, rue de Chazelles puis, à partir de 1921, rue de Bourgogne. Dans l’Eure, la villa « Le Fresne » de Lyons-la-Forêt, résidence secondaire de la mère et du beau-père de Roland-Manuel, accueillera Maurice Ravel à plusieurs reprises. Celui-ci y composa même de la musique, achevant en 1917 Le Tombeau de Couperin commencé en 1914, puis achevant en 1922 l’orchestration des Tableaux d’une exposition de Moussorgski et composant (en une journée) la Berceuse sur le nom de Fauré pour piano et violon dédiée à Claude Roland-Manuel, fils de Roland et Suzanne Roland-Manuel. Suzanne Roland-Manuel, qui fabriquait d’originales poupées en chiffon, en a offert une à Maurice Ravel, toujours présente sur son piano au Belvédère de Montfort-l’Amaury, représentant Adélaïde (clin d’œil au ballet Adélaïde ou le langage des fleurs, orchestration des Valses nobles et sentimentales). Elle avait également conçu avant 1923 une poupée représentant Maurice Ravel, aujourd’hui non localisée.

Roland-Manuel est surtout connu comme critique musical (L’Œil de veau en 1912, L’Éclair de 1919 à 1925, La Revue musicale d’Henry Prunières, Revue Pleyel, Combat en 1944-1945, etc.) et comme musicologue ; il devint membre de la Société française de musicologie en 1937. Roland-Manuel fut l’un des premiers critiques musicaux à s’intéresser, par exemple, à des musiciens tels qu’Alexandre Tansman ou Arthur Honegger. Il joua un rôle important dans la rédaction de la Poétique musicale d’Igor Stravinsky, récemment rééditée par Myriam Soumagnac.

Bon orateur et prolifique conférencier, Roland-Manuel se distingua comme homme de radio après la Deuxième Guerre mondiale, au cours de laquelle il s’illustra dans la Résistance : de 1944 à 1961, il anima, avec Nadia Tagrine, l’émission « Plaisir de la musique » (dont un certain nombre d’entretiens ont été publiés en quatre volumes – épuisés –  parus au Seuil de 1947 à 1955). L’INA conserve de nombreux enregistrements radiophoniques de Roland-Manuel.

Parallèlement, Roland-Manuel fut professeur d’esthétique musicale à la Sorbonne ainsi qu’au Conservatoire de Paris de 1947 à 1961.

Parmi ses nombreuses fonctions au service de la musique, Roland-Manuel fut président du Conseil international de la musique à l’UNESCO (1945-1952) et membre de l’Académie Charles-Cros.

Cependant, il est trop méconnu que Roland-Manuel, de la même génération que les membres du Groupe des Six, était également un compositeur de talent, dont l’œuvre mériterait d’être redécouvert. Roland-Manuel n’occupe sans doute pas aujourd’hui la place qu’il mérite et le regretté Jean Roy est l’un des très rares musicologues à lui avoir consacré quelques textes. Sans doute, peu savent que Ravel, le « cher maître » de Roland-Manuel, l’a aidé dans ses premières œuvres, non seulement par ses conseils, mais aussi par la relecture et correction de manuscrits comme Le Harem du vice-roi, poème symphonique (1917) inédit et dont le manuscrit n’est pas localisé.

 

 

Publications de Roland-Manuel

 

Maurice Ravel et son œuvre, Paris, Durand, 1914 (1re édition), 1926 (2e édition revue et augmentée) (dédié à Michel-Dimitri Calvocoressi et Émile Vuillermoz).

Erik Satie, causerie à la Société Lyre et Palette, 18 avril 1916 (plaquette).

Arthur Honegger, Paris, Maurice Senart, 1924 (plaquette).

Maurice Ravel et son œuvre dramatique, Paris, Librairie de France, 1928 (dédié à Maurice Delage).

Manuel de Falla, Paris, Cahiers d’Art, 1930.

Tableau du XXe siècle 1900-1933. Les Arts. La Musique et la Danse, Paris, Denoël, 1933 (avec Pierre du Colombier).

À la gloire de Ravel, Paris, Nouvelle Revue Critique, 1938 (dédié à l’abbé Léonce Petit) (rééditions sous le titre de Ravel : Paris, Gallimard, 1948 ; préface et postface de Jean Roy, Paris, Mémoire du Livre, 2000).

Plaisir de la musique, Paris, Seuil, 1947-1955, 4 vol. (avec la collaboration de Nadia Tagrine ; vol. I : Les Éléments de la musique ; vol. II : La Musique jusqu’à Beethoven, 1950 ; vol. III : De Beethoven à nos jours, 1951 ; vol. IV : L’Opéra).

Frédéric Chopin, Unesco, 1949.

Réflexions sur l’art musical, Lausanne, Éditions Rencontre Lausanne, 1957 (dessins et aquarelle de Raoul Dufy).

Sonate que me veux-tu ? Réflexions sur les fins et les moyens de l’art musical, Lausanne, Editions Mermoz, 1957 (réédition : Paris, Editions Ivrea, 1996).

Histoire de la musique, Paris, Gallimard (Encyclopédie de La Pléiade), 1960-1963, 2 vol. (ouvrage sous la direction de Roland-Manuel) (réédition : Paris, Gallimard (Folio Essais), 2001).

 

 

Bibliographie sélective sur Roland-Manuel

 

« Hommage à Roland-Manuel », Musica. Journal musical français, janvier 1967.

Le Corf Philippe et Georges Piris, Plaisir de la musique : d’après les inédits de Roland-Manuel (thèse d’esthétique du CNSMDP, 1984)

Jourdan-Morhange Hélène « Roland-Manuel », Mes amis musiciens, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1955, p. 178-191.

Ravel Maurice, Lettres à Roland-Manuel et à sa famille, préface et notes de Jean Roy Quimper, Calligrammes, 1986 (épuisé).

Roy Jean, « Préface », « Postface », « Œuvres principales de Roland-Manuel », « Écrits de Roland-Manuel », dans Roland-Manuel, Ravel, Paris, Mémoire du Livre, 2000, p. 9-17 et p. 199-210.

 

Catalogue de la vente aux enchères du 14 mai 1986 (commissaire-priseur Me Paul Renaud, Librairie Charavay, Librairie de l’Échiquier, experts Michel et Maryse Castaing), Hôtel Drouot (salle no 7).

Catalogue de la vente aux enchères du 24 mars 2000 (commissaire-priseur Me Paul Renaud, expert Thierry Bodin), Hôtel Drouot (salle no 2).

 

 

Catalogue (non exhaustif) d’œuvres de Roland-Manuel

 

Orchestre

Le Harem du Vice-Roi (1917-1919), inédit (création en 1919 aux Concerts Pasdeloup sous la direction de Rhené-Baton).

Tempo di Ballo (hiver 1923) (audition le 25 février 1926 sous la direction de Vladimir Golschmann) (© Heugel, 1925).

Canarie, de l’œuvre collective L’Éventail de Jeanne, petit ballet pour enfants (© Heugel, 1929 ; création privée le 16 juin 1927 chez Mme Jeanne Dubost ; création publique le 4 mars 1929 à l’Opéra de Paris sous la direction de J.-E. Szyfer) ; enregistrement : CD French Ballet Music, L’Éventail de Jeanne. Les Mariés de la Tour Eiffel, Geoffrey Simon, Philharmonia Orchestra, label Chandos, 1992 et 2006, titre no 4.

Concerto en ré majeur pour piano et orchestre(Allegro, Larghetto, Tempo justo) (1938 ; création le 6 février 1939 par Marcelle Meyer et l’orchestre de chambre de la Société Philharmonique de Paris sous la direction de Manuel Rosenthal aux concerts du Triton ; © Nouvelles Éditions Méridian, 1957) ; enregistrements : Orchestre Symphonique de Paris, Eugène Bigot, Janine Dacosta, 3 mars 1954, INA notice no PHD86056726 ; Orchestre du Südwestfunk, Hans Rosbaud, INA notice no PHD89019835.

Peña de Francia (Entradilla, Cantiga, Charradas), suite pour orchestre, inédite (création en 1938 – avant le 1er avril – par le St. Louis Symphony Orchestra sous la direction de Vladimir Golschmann).

Une des sept pièces de La Guirlande de Campra (1953 ; variation sur un thème de Camille, opéra de Campra ; commande de Marc Pincherle pour le Festival d’Aix-en-Provence, six autres pièces par Arthur Honegger, Daniel Lesur, Germaine Tailleferre, Francis Poulenc, Henri Sauguet, Georges Auric).

 

Orchestrations

Prélude de La Porte héroïque du ciel d’Erik Satie.

La Vocation, Prélude du 1er acte du Fils des étoiles et Incantation, Prélude du 3e acte du Fils des étoiles, wagnérie kaldéenne du Sâr Péladan d’Erik Satie (© Salabert). (il est parfois affirmé que le 1er Prélude aurait été orchestré par Maurice Ravel mais comme il est avéré que Roland-Manuel orchestra ce 1er Prélude, y aurait-il confusion avec le 2? La supposée orchestration par Ravel n’est pas localisée)

2e Gymnopédie d’Erik Satie (© Rouart).

Trois Pièces (1. Allegro, 2. Adagio, 3. Allegrissimo (La Chasse)) de Scarlatti (création sous la direction de Vladimir Golschmann le 20 janvier 1921 ; édité par Serge Koussevitzky).

Danse de Bach (audition le 13 mai 1936 par l’Orchestre Symphonique de Paris sous la direction de Pierre Monteux)

Divertissement romantique en un acte, musique de Franz Schubert, inédit (création 12 octobre 1951 à l’Opéra-Comique, chorégraphie de Jean-Jacques Etchevery, décors et costumes de Francine Gaillard-Risler).

Cinq pièces en forme de Suite en ut mineur (1. Sarabande, 2. Canaries, 3. Pavane, 4. Branle, 5. Passacaille) de Couperin (audition le 17 mai 1942 sous la direction de Charles Munch) ; enregistrement : Eugène Bigot, 20 novembre 1952, INA notice no PHZ05008017.

Aria de Didon et Enée de Purcell.

 

Opéras

Isabelle et Pantalon, opéra bouffe sur un livret de Max Jacob (© Heugel, 1922 ; première audition le 7 janvier 1922 de la seule Barcarolle, par Mme Romanitza et l’Orchestre Colonne sous la direction de Gabriel Pierné ; création le 11 décembre 1922 au Trianon-Lyrique ; première représentation à l’Opéra-Comique le 22 mai 1959, mise en scène de Paul-Émile Deiber, chorégraphie de Jacques Chazot, décors de Jean-Pierre Ponnelle, costumes de Suzanne Roland-Manuel) ; enregistrements : Éric Cohen, Lucien Lovano, Willy Clément, René Lenoty, 13 décembre 1944, INA notice no PHD89024043 ; extraits d’une représentation aux Fêtes musicales de Quimper, 5 octobre 1994, INA notice no 00747522.

Le Diable amoureux, opéra-comique sur un livret de Roger Allard d’après Cazotte (1929, création d’extraits sous la direction de Pierre Monteux à la tête de l’Orchestre Symphonique de Paris le 8 janvier 1933), inédit.

 

Ballets

Le Tournoi singulier, d’après le Débat de Folie et d’Amour, de Louise Labé, et La Fontaine, chorégraphie de Jean Borlin, décors et costumes de Fujita (© Heugel, 1924 ; création le 19 novembre 1924 aux Ballets Suédois ; création d’une suite tirée du ballet le 27 janvier 1927 aux concerts Walter Straram avec Marthe Bréga, épouse de Maurice Jaubert, comme soliste).

L’Écran des jeunes filles, ballet en deux tableaux de Jacques Drésa, chorégraphie de Léo Staats – dont ce fut le dernier ballet réglé pour l’Opéra de Paris – (© Heugel, 1929 ; création le 15 mai 1929 à l’Opéra de Paris ; le ballet a également été joué en concert, par exemple le 12 octobre 1930 sous la direction de Pierre Monteux à la tête de l’Orchestre Symphonique de Paris).

Elvire, ballet de Mme de Brimont sur des thèmes de Domenico Scarlatti, chorégraphie d’Albert Aveline, décors et costumes d’après des maquettes de Sigrist (1931, création le 8 février 1937 à l’Opéra de Paris sous la direction de François Rühlmann).

 

Musique de scène

Jeanne d’Arc, musique de scène, texte de Charles Péguy (création à la Comédie-Française en décembre 1955).

 

Chœurs

Trois Chansons (1. Aurore, 2. Beau cavalier, 3. Faulcette confite) pour voix et chœur, inédites (créées le 15 juin 1920 par Mme Vinaucourt à la Société Musicale Indépendante).

Litanie nocturne, chœur sans paroles (1930).

Jeanne d’Arc, oratorio pour chœur et orchestre, paroles d’Edmond Fleg (1937, création le 25 février 1938 par l’Orchestre National) ; enregistrements : 14 mai 1950, INA notice no PHD98048505 ; Orchestre national de la RTF, Manuel Rosenthal, INA notice no PHD89037683 ; CD Concert du 14 juin 1960, Orchestre National de la RTF, Manuel Rosenthal, INA Archives, 2015.

Benedictiones (La Lune, La Rosée, La Neige, Les Étoiles), chœur pour voix d’enfants ou de femmes a cappella (1938) (création le 14 mars 1938 aux concerts du Triton) (© Eschig) ; enregistrements : 26 octobre 1976, INA notice no PHD96002455 ; CD Ensemble féminin de musique vocale de Lausanne, Marie-Hélène Dupard Genton, Evasion Music, 1992.

Cantique de la Sagesse, pour contralto, chœur et orchestre (1951) (création, 22 avril 1954, André Cluytens, direction) ; enregistrements : Orchestre philharmonique de la RTF, Chœurs de la RTF, Jean Clergue, Irma Kolassi, 17 août 1962, INA notice no PHD89022403 ; Pierre Dervaux, Yvonne Gouverné, 16 novembre 1966, INA notice no PHD99280742.

Trois Chansons populaires françaises(1. Je suis Robert, 2. Gentils gallans de France, 3. C’est la petit’fill’du prince), transcrites et harmonisées pour chœur à trois voix (© Éditions Françaises de Musique, 1952).

Stella Maris, cantate.

 

Musique de chambre

Trio (1. Allègrement, 2. Sarabande, 3. Ronde) pour violon, alto et violoncelle (© Maurice Senart, 1919 ; création le 11 avril 1919 par Hélène Jourdan-Morhange, Sigismond Jarecki et Félix Delgrange à la Société Musicale Indépendante), dédié à Maurice Ravel ; enregistrements : Jacques Murgier, Jean Deré, Jacques Serre, 2 mars 1960, INA notice no PHL06055529 ; CD Works by Fauré, Ravel and Roland-Manuel, French Delights, Manchester Music Festival (25th Anniversary), 1999, titres no 5-7.

Romance sans paroles, pour violoncelle et piano (© Heugel, 1926).

Suite dans le goût espagnol (Entradilla, Villancico, Melodrama, Final), pour hautbois, basson, trompette et clavecin, musique de scène pour Violante d’Henri Géon sur un thème de Tirso de Molina (première représentation le 22 février 1933 au Théâtre du Vieux-Colombier), inédite (première audition en concert le 12 avril 1937 par Myrtil Morel, Fernand Oubradous, M. Adriano et Madeleine Grovlez aux concerts du Triton à l’École Normale de Musique) ; enregistrements : Ruggero Gerlin, clavecin, Robert Casier, hautbois, Maurice Allard, basson, Roger Delmotte, trompette, 1963, disque 45 tours, Résonances (collection Musique de Notre Temps) (disque numérisé par la BnF sur le site Gallica) ; Maurice Bourgue, Amaury Wallez, Roger Delmotte, Huguette Dreyfus, 16 novembre 1966, INA notice no PHD99280742 et 15 avril 1967, INA notice no PHD86075484.

Fantaisie pour hautbois et piano (© Salabert, 1962) (morceau de concours au Conservatoire de Paris) ; enregistrement : André Chevalet, Ina Marika, 15 avril 1967, INA notice no PHD86075484.

 

Piano

Menuet sur le nom de RAVEL (1912), inédit (création mondiale le 10 septembre 2016 par Paul Beynet à Lyons-la-Forêt, concert organisé par l’association Les Amis de Lyons).

Hommage funèbre(1914), inédit, créé par Ricardo Viñes (1919).

Hommage à Ravel ou la Soirée de Viroflay(1916), inédit, créé par Ricardo Viñes (1919). (premier enregistrement mondial et radiodiffusion en direct le 3 mai 2016 par Vanessa Wagner, dans le cadre de la journée #FreeBolero de France Musique ; première audition publique depuis 1919 le 18 novembre 2016 par Florent Nagel, concert des Amis de Maurice Ravel)

Idylles (1. Hommage à La Fontaine, dédié au pianiste Ricardo Viñes, 2. Clarisse ou l’Hommage indiscret, valse composée en 1916, dédiée au poète René Chalupt) (© Durand, 1919 ; création en 1919 par Ricardo Viñes).

Moria Blues, extrait du Tournoi singulier (© Heugel, 1925).

Nocturne (Interlude), extrait de L’Écran des jeunes filles (© Heugel, 1929).

Nocturne, extrait de L’Écran des jeunes filles (© Heugel, 1929 ; publié aussi en supplément de Le Ménestrel, 17 mai 1929).

Canarie, de l’œuvre collective L’Éventail de Jeanne, petit ballet pour enfants (© Heugel, 1929 ; réduction pour piano à 2 mains).

Partir (© Choudens, 1932).

Pluie sur la ville (© Pierre Noël, 1944).

 

Deux pianos

Le Harem du vice-roi, inédit, transcription de l’œuvre d’orchestre (création le 21 avril 1917 par Ricardo Viñes et Suzanne Roland-Manuel (épouse de l’auteur) à la Société Musicale Indépendante).

 

Mélodies pour voix et piano

Trois Poèmes (1. Arbre, 2. Collier, 3. Septembre), inédits (création le 18 mai 1914 par Suzanne Vallin-Hekking).

Farizade au sourire de rose. Sept Poèmes de Perse (1. La Précaution vaine, 2. Le Danseur farouche, 3. La Jalousie, 4. La Comparaison amoureuse, 5. La Rose de Mossoul, 6. Dans le silence mouillé du soir, 7. Les Pantoufles de cristal), [poèmes de Roland-Manuel], recueil dédié à Jane Bathori-Engel (1914 ; © Durand, 1918) ; enregistrement : Reine Aubier, Jane Bathori, Nadia Tagrine, 30 mai 1948, INA notice no PHD85025340.

Deux Rondels de Péronnelle d’Armentières (1362)(© Durand, 1920 ; création le 30 mars 1920 par Jane Bathori et Germaine Tailleferre à la Société Nationale de Musique).

Delie object de plus haulte vertu. Trois poèmes de Maurice Scève (© Durand, 1923).

Trois romances de P.-J. Toulet (1. En Arles, 2. Géronte, 3. Le Temps d’Adonis) (création le 14 mars 1924 par Odette Talazac et un orchestre sous la direction d’Albert Wolff ; © Durand, 1924 ; En Arles publié aussi en supplément de Le Ménestrel, 3 juin 1932) ; enregistrement : Simone Rist, Irène Aïtoff, 15 avril 1967, INA notice no PHD86075484.

Sonnet de Ronsard, « Dedans les prés... », une des huit pièces du recueil collectif Tombeau de Ronsard édité en supplément de La Revue Musicale par Henry Prunières (© Heugel, 1924 ; création le 7 mai 1924 par Marcelle Gerar et Madeleine d’Aleman à la Société Musicale Indépendante).

Quatre Chants de troubadours, transcrits et harmonisés par Roland-Manuel.

Trois Chansons, poèmes de Paul Valéry.

 

Mélodies pour voix et flûte

Deux élégies pour soprano avec accompagnement de flûte (1. Charmant rossignol, de François Maynard, 2. Chanson, de Jean Pellerin) (© Heugel, 1928 ; création privée en février-mars 1927 par Mlle Laval et Marcel Moyse au domicile de Paul et Denyse Bertrand ; création publique de la Chanson de Jean Pellerin le 19 mars 1927 par Jane Bathori).

 

Musiques de films

La Petite Lise, de Jean Grémillon (1930).

Le Rêve, de Jacques de Baroncelli (1931).

L’Ami Fritz, de Jacques de Baroncelli (1933).

Roi de Camargue, de Jacques de Baroncelli (1934) (musique écrite en collaboration avec Arthur Honegger).

Crainquebille, de Jacques de Baroncelli (1934).

Lourdes ville sainte, film documentaire de Jean Loubignac (1934) (© Pathé).

La Bandera, de Julien Duvivier (1935) (musique écrite en collaboration avec Jean Wiéner).

Les Jumeaux de Brighton, de Claude Heymann (1936).

Naissance de Vénus, d’Alexandre Alexeïef (1936) (court-métrage publicitaire pour les crèmes Simon).

Tiré à quatre épingles, d’Alexandre Alexeïef (1937) (court-métrage publicitaire pour les vêtements Sigrand).

L’Étrange Monsieur Victor, de Jean Grémillon (1938) (© Filmatone).

Palette d’artiste, d’Alexandre Alexeïef (1938) (court-métrage publicitaire pour la société Balatum).

Étude sur l’harmonie des lignes, d’Alexandre Alexeïef et Claire Parker (1939) (court-métrage publicitaire pour les gaines J. Roussel).

CENPA, d’Alexandre Alexeïef (1939) (court-métrage publicitaire pour les emballages CENPA).

Le Bien de maître Lemercier(1938-1939) (film publicitaire du Syndicat Professionnel de l’Industrie des Engrais Azotés).

Remorques, de Jean Grémillon (1941).

Les Inconnus dans la maison, d’Henri Decoin (1942).

Cant de Leleto (chanson populaire), dans L’Arlésienne, de Marc Allégret et Jacques de Baroncelli (1942).

Lumière d’été, de Jean Grémillon (1943) (orchestre dirigé par Roger Désormière).

Lucrèce, de Léo Joannon (1943). (© Noël Pierre)

L’École de Barbizon, de Marco de Gastybe (court métrage).

Le ciel est à vous, de Jean Grémillon (1944).

Callisto, la petite nymphe de Diane, dessin animé d’André-Édouard Marty (1944). (musique écrite en collaboration avec Arthur Honegger) (© Noël Pierre) [https://vimeo.com/119062945].

 

 

Annexe : « Roland-Manuel », par Hélène Jourdan-Morhange1

 

Est-ce le titre d’élève de Ravel qui l’empêcha de se mêler au groupe des « Six » ? Au moment où les « Six » furent inventés par le journaliste Collet, Roland-Manuel était mobilisé ; de plus, l’esprit « Six » était antiravélien. Enfin, il faut bien le dire : Roland-Manuel n’aimait pas les groupes.

Né à Paris en 1891, il était le fils de M. Paul Lévy, ingénieur des mines, fou de musique, jouant piano, violoncelle, composant même à ses heures. Roland[-Manuel] vivait donc dans un bain de musique : Schumann, Massenet, Saint-Saëns et Mozart. De par sa profession d’ingénieur, son père prospectait beaucoup de pays. Ainsi, Roland[-Manuel] passa trois ans en Floride. Mais la patrie qui restera celle du petit garçon, c’est Liège, où il vécut de six à quinze ans. « Notre patrie, c’est notre enfance », a écrit Fargue. « Liège, c’est la patrie de mon âme », dit Roland[-Manuel].

À Liège, il commence le violon avec un excellent professeur, M. Robert, élève de Thomson. On peut dire que tout l’art moderne du violon vient de Belgique, la vie musicale étant entièrement axée sur le violon et le quatuor à cordes. Il n’y avait pour ainsi dire pas de musique au théâtre, les abonnés aux Concerts du Conservatoire entendaient le même concerto de violon répété dix fois par Kubelik, Kreisler, Ysa[ÿ]e, Enesco, Thibaud. La seule musique entendue couramment était celle, traditionnelle, de violon depuis Vitali, Corelli, Vivaldi jusqu’à Vieuxtemps ! Plus, les quatuors de Mozart et de Beethoven. « J’ai été élevé là-dedans, me dit Roland[-Manuel], et dans tout ce que j’écris, il y a un vieux fond « congénital » de classique italien de violon… L’idée de composer m’est venue sans que je m’en aperçoive… »

Ses premières compositions étaient de grands adagios, des arias mélodiques. Pour lui, c’était ça la musique. Son père était féru des romantiques : Berlioz, Meyerbeer, Wagner, et quand le jeune Roland[-Manuel] cherchait, au piano, des suites de quintes qui lui tiraient des larmes de joie, le père sursautait : « Tu cherches avec délices tout ce qu’il ne faut pas faire ! » Jusqu’au jour où, vers 1900, le professeur de violon apporte quelques pièces de piano d’un Russe inconnu : Borodine. Borodine avait été reçu quelque temps à Liège chez la comtesse de Mercy-Argenteau, grande égérie des Cinq Russes. C’est ainsi que sa musique, non jouée encore en France, trouva le chemin de Liège pour rejoindre le petit garçon… M. Lévy déchiffre le cahier et Roland[-Manuel] est subjugué. « Tu es un crétin ! » déclare son père pour qui Borodine n’était que fautes d’harmonies. « J’ai pris la partition, avoue Roland[-Manuel], et je l’ai cachée. Je la jouais quand j’étais seul à la maison… »

Révélation de la sensibilité musicale pour l’enfant qui ne cherchait qu’à s’évader des classiques… Les seuls modernes connus de lui étaient Saint-Saëns et Brahms et, dans la ville de César Franck, il ignorait même César Franck ! Cette musique de Borodine fut, pendant des années, le fruit défendu : « C’était comme si j’avais commis un vol », dit Roland[-Manuel] encore troublé par ce souvenir d’enfant.

En 1905, M. Lévy meurt d’une crise cardiaque. Roland et sa mère reviennent à Paris pour préparer le baccalauréat. Il a quatorze ans. Perdu à Paris, la musique le déçoit, il trouve que tous les violonistes jouent mal. Il reprend des leçons avec un violoniste de l’école de Liège : Droeghmans.

Mais voici l’événement qui devait axer toute sa vie : il entend, à l’Opéra-Comique, Pelléas et Mélisande. Anéanti par cette nouvelle musique, il ne sait pas au juste de quoi il s’agit, il n’y comprend rien, mais rentre chez lui si bouleversé qu’il est obligé de se coucher avec 40° de fièvre et des troubles nerveux produits par le choc debussyste ! Revenu à lui quelques jours plus tard, il affirme sa volonté d’être musicien et, avec beaucoup de difficulté, se fait offrir la partition de Pelléas. Droeghmans lui donne des leçons d’harmonie et de contrepoint et tout en préparant ses examens, Roland-Manuel garde le dimanche pour se délasser dans des bains d’accords de neuvième !

Il commence à suivre les concerts et entend pour la première fois du Ravel : La Rapsodie espagnole. Il trouve cela intéressant, curieux, mais Debussy reste son dieu. Plus tard, Ma mère l’Oye et les Valses nobles et sentimentales le rapprochent de Ravel. C’est peut-être pour cela qu’il considère encore aujourd’hui ces deux œuvres comme capitales dans la production ravélienne.

En feuilletant le dictionnaire musical Riemann, Roland-Manuel voit que Debussy a orchestré les Gymnopédies d’Erik Satie, le musicien de la Rose-Croix. Sa dévotion à Debussy lui suggère que Satie ne pouvait être qu’un « type épatant », puisque Debussy orchestrait ses œuvres… En 1910, personne ne connaissait Satie. C’est par Paulette Darty, qui chantait sa valse, Je te veux, au « Chat Noir », que Roland[-Manuel] put l’approcher. Elle l’invita à déjeuner avec Satie, et l’entrevue fut plus que troublante pour le jeune garçon, Satie le pétrifia : Comment un artiste évolué pouvait-il ressembler à ce point à un petit fonctionnaire de sous-préfecture, avec sa barbiche, son lorgnon, son chapeau melon et son parapluie ? Et de plus, quand Roland[-Manuel], avant toute chose, lui demanda : « Connaissez-vous Debussy ? » il lui répondit : « Il n’y a plus que deux musiciens : Ravel et Roussel ». Ce qui ne laissa point de troubler notre jeune debussyste !

Toujours affable avec les jeunes, Satie vint souvent déjeuner chez Roland[-Manuel], apportant Gymnopédies, Sarabandes, Morceaux en forme de poire, etc. Un jour, il dit à son jeune ami : « Il faut que vous travailliez la composition avec Ravel et le contrepoint avec Roussel ».

« Ce que je fis, dit Roland-Manuel, mais la première entrevue avec Ravel m’a beaucoup décontenancé : l’air froid, le côté « dandy » de Ravel m’inquiétaient. Pour moi, l’artiste d’avant-garde était moins élégant ! »

Bref, surmontant sa timidité, Roland-Manuel lui demanda de le prendre comme élève. Chose curieuse, Ravel accepta à la seule condition que les leçons seraient gratuites (il voulait rendre à Roland le cadeau que Gedalge lui avait consenti à lui-même).

Les premières leçons furent des catastrophes : Roland[-Manuel], ayant bien travaillé, pensait lui apporter des devoirs merveilleux. Il les démolissait aussitôt : « De deux choses l’une, lui disait-il, ou vous voulez chambarder les lois de la musique en instaurant un monde nouveau et ça ne casse rien, ou bien, vous croyez faire de la musique selon les traditions établies et dans ce cas-là, j’aime mieux vous dire que c’est mal fichu… Vous ne savez rien, il faut apprendre votre métier, mais on n’apprend pas son métier, on apprend celui des autres ! Copiez, imitez, faites des pastiches, si vous n’avez rien à dire, ça vaut mieux ; si vous avez quelque chose à dire, vous aurez beau copier, votre personnalité se fera jour… Regarder les copies de Delacroix si elles ne sont pas du Delacroix ! »

Roland[-Manuel] était navré. Il demandait à Ravel les mots d’ordre de la révélation musicale et se trouvait devant un musicien qui lui en rendait la quintessence : « Alors, me raconte Roland[-Manuel], je sortais de mes gonds… j’alléguais sa propre musique mais il me démontrait facilement que sa musique obéissait aux lois les plus traditionnelles et les plus classiques. Avec une astuce machiavélique, il m’opposait les arguments qu’il prenait chez les musiciens que je n’aimais pas. Massenet, par exemple. Il trouvait d’admirables exemples de modulations dans Manon et me disait sérieusement : « Prenez-en de la graine ! »

« Ravel m’a rendu un immense service en tuant en moi une facilité déplorable. Mais son enseignement de la composition était plutôt négatif ».

Avant 1914, les premières compositions publiées de Roland-Manuel furent un essai d’orchestration joué à la SMI pour la Porte héroïque du ciel, de Satie, puis, sept poèmes de Perse pour chant et piano : Farizade au sourire de rose, musique encore ravélienne et influencée aussi par les Poèmes hindous de Maurice Delage, autre élève de Ravel : subtilité des harmonies, recherches du climat « vitrail ». Jane Bathori, la fée des jeunes, chante ses mélodies.

Et voici la guerre de 1914, terrible coupure pour les jeunes musiciens qui finissaient leur service militaire : sept ans d’inaction intellectuelle. Roland-Manuel part comme volontaire pour l’expédition des Dardanelles. Il revient terriblement fatigué, obligé de se soigner entre 1915 et 1916. À ce moment, il compose des mélodies, un poème symphonique et des pièces pour piano. Est-ce exactement l’époque où j’eus le plaisir de créer à la SMI son joli Trio à cordes avec l’altiste Jarecki et la violoncelliste Lucienne Radisse2 ? Toujours est-il que c’est ainsi que je fis sa connaissance, ne me doutant pas que nos liens d’amitié, deviendraient des « câbles » avec les années…

Et comment ne pas associer à cette amitié sa fidèle compagne Suzanne Roland-Manuel ? C’est une artiste, elle aussi, ses dons et son esprit nous enchantent dans ses manifestations les plus multiples, depuis le spirituel tableau fait d’étoffes et de matériaux inusités3 jusqu’aux décors de théâtre dont L’Heure espagnole de Ravel, à l’Opéra-Comique, et L’Astrologue d’Henry Barraud, à l’Opéra, furent ses plus récents succès. Sa finesse et son humour lui ont dicté aussi de savoureux romans.

Une des plus belles réussites de Roland-Manuel est son opéra bouffe, Isabelle et Pantalon, dont le livret est de Max Jacob. Extrêmement bien monté au Trianon-Lyrique par Masson, ce fut un énorme succès. André Caplet avait voulu diriger et avait mené les répétitions avec un fraternel dévouement. Isabelle et Pantalon est une œuvre gaie, vivante, jamais triviale et qui devrait avoir sa place au répertoire de l’Opéra-Comique. André Messager, alors critique au Figaro, fit un grand éloge de l’ouvrage et devint, par la suite, un grand ami de l’auteur.

Après ce succès, Roland-Manuel compose de plus en plus. En 1933, il écrit une Suite dans le goût espagnol pour hautbois, basson, trompette et clavecin, qui est l’œuvre la plus jouée de son répertoire ; des ballets : Tournoi singulier, pour les Ballets suédois, L’Écran des jeunes filles, à l’Opéra. Elvire, ballet joué à l’Opéra en 1937, adapté de Scarlatti, est resté au répertoire.

L’Exposition de 1937 nous valut une œuvre de grande envergure : Jeanne d’Arc, donnée dans un spectacle présenté par « Mai 36 ». C’était une des fresques musicales qui reliaient les tableaux inspirés par « l’Histoire du peuple de France » à quinze littérateurs connus. La partie musicale la plus complète était la Jeanne d’Arc de Roland-Manuel sur un très beau poème d’Edmond Fleg. C’est une œuvre. Elle est, dans sa petite dimension, si proportionnée qu’elle rejoint en intensité les plus grand opéras : architecture des chœurs, mouvement des foules, musique et chants donnent une atmosphère de ferveur mystique qui s’harmonise au mieux avec le beau tableau de Fleg.

En février 1939, il donne son Concerto pour piano et orchestre, que Marcelle Meyer a merveilleusement présenté. Voici deux artistes que la probité rassemble ; ils ne trichent jamais : l’interprétation de Marcelle Meyer était toute soumission artistique et reflétait les moindres sensations de l’auteur. L’œuvre de Roland-Manuel est pensée, sentie, bien écrite. C’est un Concerto qui ne cherche pas à s’évader de la coupe classique des trois mouvements, extrêmement pianistique, orienté vers Scarlatti, un des dieux de Roland, et baigné d’ondes ravéliennes. Que d’influences pensez-vous ? Mais Ravel ne décelait-il pas dans sa propre musique l’influence de Chabrier ? Roland-Manuel n’est entamé par aucune préférence. Il reste Roland-Manuel ; son inspiration fraîche est bien à lui. Ce Concerto nous démontre l’attirance des compositeurs vers « le retour à la simplicité » dont on a tant parlé : on reprend les grandes traditions en y apportant sa sensibilité et ses dons d’harmoniste.

Parmi ses grandes œuvres, citons aussi les Benedictiones. Elles nous éclairent sur la ferveur mystique de Roland-Manuel. Ici, nous devons nous arrêter un moment. Quoique ce livre ne soit pas un livre de biographies, il faut que chacun y retrouve tout ce qui a compté pour l’artiste, tout ce qui a tissé sa personnalité humaine.

Le côté mystique de Roland-Manuel est une partie de sa vie. Dans son enfance il eut une curiosité intense pour tout ce qui touchait à la vie spirituelle et à la liturgie de l’Église romaine. Cette curiosité était d’autant plus développée qu’elle restait secrète : sa mère, catholique, son père, israélite, ne l’ayant jamais initié à aucune religion. Roland allait donc en cachette à l’église : « J’ai toujours eu, me dira-t-il, dès mon enfance, une oreille naïvement accordée à la musique modale et il est naturel que la musique modale m’ait fait chercher sa source qui est la musique grégorienne ». La découverte de Debussy accentua cette tendance. « La même tendance modale, je la retrouvais aussi chez Ravel qui, ajoute-t-il en riant, ne s’en doutait pas ! »

C’est Maurice Brillant qui dévoila l’abbaye de Solesmes à Roland[-Manuel] : dom Mocquereau, le grand théoricien, en était le maître des chœurs. Le jeune musicien y resta d’abord une semaine, puis, il y retourna maintes fois, ayant trouvé là, non seulement la musique, mais l’apaisement qu’il cherchait déjà dans son jeune âge. Il était entouré de religieux extrêmement larges d’esprit qui lui donnèrent une culture philosophique étendue. Et c’est pendant la guerre de 1914 qu’il n’hésita plus… Seul, entre ciel et terre aux Dardanelles, il choisit la religion de sa mère et se fit chrétien. Jacques Maritain fut son parrain.

Dans la musique spirituelle de Roland-Manuel, les Benedictiones ont une place particulière. Elles ne lui ont pas posé de problème religieux ou mystique ; quand il rencontra le texte de la communion des enfants, il pensa : « Comme cela se prêterait bien à la musique ». Cette idée lui plut pour la musique et aussi pour la Communion, c’est pourquoi il rêve de les faire chanter par des voix juvéniles. C’est d’un esprit liturgique très libre. Roland-Manuel essaye d’y rejoindre la pureté d’une prière d’enfant.

Écrites pour chœurs a ca[p]pella et trois voix de femmes, elles sont extraites du Parnasse séraphique du père Martial de Brive, religieux franciscain du XVIIe siècle (1600). Les paroles en sont d’une poésie candide et lumineuse qui pouvait tenter un musicien sensible. Féru de la musique religieuse du XVe siècle, Roland[-Manuel] s’en est inspiré dans ces pages : sa pensée claire s’exprime clairement et son émotion contenue n’en est que plus émouvante. Ce qu’on aime, dans cette musique, reconnue de tous, n’interdit pas à la musicalité d’éclore fraîche et spontanée. La dernière pièce se terminant selon l’usage liturgique par le Psaume 150, lui a suggéré une montée vraiment céleste, un crescendo pénétrant où le thème obstiné s’impose et se cristallise en la mémoire. « Si j’écrivais de la musique sans commandes, me dira Roland plus tard, je n’écrirais jamais que de la polyphonie vocale. C’est pour moi la plus belle musique ».

Il ne devait pas se contredire puisqu’en avril 1954, il donnait à la Radio, avec l’Orchestre National dirigé par Cluytens, le Cantique de la sagesse, ouvrage commencé depuis plusieurs années.

On a l’impression, en écoutant cette œuvre sobre et pensée, que le compositeur a trouvé là le résultat de toutes ses expériences passées. Peu de musique exprime aussi bien ce qu’elle veut dire. Les paroles de ce Cantique pour contralto, chœurs et orchestre, sont du huitième chapitre du livre des proverbes de Salomon. Roland-Manuel a voulu rénover l’expérience tentée au XIe siècle : les chœurs chantaient en latin alors que le soliste s’exprimait en français, ainsi, les fidèles comprenaient le texte. La gravité du début apporte cet élément de sérénité qui enveloppe l’œuvre entière, interrompue un moment par la « Danse de la sagesse devant l’Éternel », d’un rythme plus dur et d’une harmonie plus dépouillée.

L’effet de la voix grave du contralto contrastant avec les voix aiguës des chœurs est une trouvaille. C’est une œuvre réussie avec ce que cela comporte d’inspiration et d’innovation dans l’écriture orchestrale. Le Cantique finit dans un murmure de voix. La quiétude heureuse qui s’en dégage est bien le climat de la sagesse.

Si courte soit-elle, il faut parler aussi de cette page succulente, pochade faisant partie de la Guirlande de Campra par sept compositeurs contemporains, écrite à l’instigation de Marc Pincherle pour le Festival d’Aix-en-Provence (1953). Après les harmonies rudes de ses confrères, Roland-Manuel nous prouva que l’harmonie subtile (pas morte) trouve encore des oreilles assez fines pour la concevoir.

Dans les œuvres inédites, il nous promet un second Concerto pour piano, un autre pour violon, une Suite d’orchestre ; enfin, la Comédie-Française vient de lui commander la musique de scène pour la Jeanne d’Arc de Péguy.

Comme je m’étonnais qu’il recommençât une suite de Jeanne d’Arc, il me dit : « Jeanne de Péguy est d’un aspect moins mystique que celle de Fleg, l’élément surnaturel y est sous-jacent, c’est la vie de Jeanne sur la terre. C’est un texte rude qui enserre le musicien dans des limites impossibles à déborder. Ce qui compte pour le musicien n’est pas la méditation, c’est le contact avec la matière et comme le dirait Alain : c’est en se faisant que l’œuvre se fait ».

Roland-Manuel croit que l’inspiration n’existe pas : « C’est une émotion qui accompagne la découverte des éléments musicaux que l’on portait en soi ». C’est pour cela qu’il considère la technique comme le point essentiel : « Le reste ne dépend pas de nous, dit-il, je cherche les éléments en me promenant dans la rue, quand je les ai trouvés, je me mets au travail comme un type qui ferait des chaussures devant un établi. Au bout d’un temps très court, je suis obligé de m’interrompre et l’expérience m’a prouvé que le seul délassement valable était un divertissement abstrait. N’étant pas mathématicien, je n’ai trouvé que trois choses : faire un mot croisé, lire un chapitre de roman policier ou un bouquin de métaphysique. Après la détente, je me remets au travail. La récompense, le « gâteau », ce qui paye de tout, c’est d’orchestrer. Finie l’inquiétude ! On travaille dans la matière, comme un orfèvre… »

Il est impossible de camper la figure de Roland-Manuel sans parler de ses écrits. Plusieurs livres sur Ravel ont fait de lui son historiographe le plus complet. Peu de musiciens peuvent se targuer d’avoir son style, son aisance et sa mesure et n’oublions pas les dimanches de la Radio qui nous apportent à tous « Plaisir de la musique », avec sa charmante partenaire, la pianiste Nadia Tagrine. Nous y avons appris ses goûts (toute la musique y est commentée). Nous savons qu’il est antiromantique : « Ils ont trop tiré sur la corde ». Ses premières amours furent Vivaldi et les grands Italiens, ses premières antipathies : Wagner et Gluck. Gluck, pour lui, c’est la froideur, le manque de participation à la vie : « Gluck est un musicien qui cherche à traduire des idées générales ».

S’il se détache du germanisme wagnérien, il aime les grands classiques parce qu’ils sont presque tous autrichiens. Wagner est antiviennois. Roland-Manuel place au-dessus de tous Schubert et Mozart : « Même les œuvres les moins réussies de Schubert ont la générosité, la chaleur humaine de ses lieder ». Quant à Mozart, c’est, pour lui, « la plénitude de la joie ». « Musique du divin même quand il joue aux billes », dit-il avec amour. Il aime Purcell, Debussy et Ravel pour leur sensibilité modale.

Quand on connaît bien Roland[-Manuel], on l’aime autant pour ses paradoxes que pour son pertinent savoir. C’est toujours une chose inattendue qui répond à la question posée ; par exemple, si vous lui demandez quel poète il préfère mettre en musique, il vous répondra avec un grand sérieux que plus un compositeur a le sens du lyrisme, plus il sera attiré vers le mauvais poème. « Ainsi, suis-je comblé, me dit-il en riant, par mon premier recueil de mélodies : Le sourire de Farizade dont le poème, avoue-t-il humblement, est de moi ! » Le lyrisme de Toulet l’attire, mais il s’est brisé contre l’obstacle Mallarmé.

Roland-Manuel a pris une place prépondérante comme critique et pédagogue. Sa classe d’esthétique musicale au Conservatoire de Paris est très suivie, et l’Opéra, même, a eu recours à sa science aimable pour éduquer musicalement les petits rats et les étoiles. Roland-Manuel évolue dans tous ces milieux avec l’aisance des élus mais, dit-il, « la vie vous mange… pour faire normalement son métier il faudrait s’entretenir dans une espèce de « tempo musical ». »

L’ami qu’il est pour moi fut toujours incomparable et je dois dire que j’aime autant ses sarcasmes polis que ses compliments. Sa façon de parler, si particulière, m’amuse en m’instruisant : il semble toujours méditer ce qu’il va dire et vous offre ses paradoxes avec le même sourire entendu que le grand cuisinier qui, ayant mitonné un plat de sa façon, vous en découvre la succulence… Il est difficile d’évoquer Roland-Manuel sans le situer dans une grande discussion avec quelqu’un : les cheveux gris étonnent car l’œil, largement ouvert quand il veut convaincre, a tout de l’enfant illuminé ! Sa bouche pleine et sensuelle est un indice de bonté qui tempère son ironie intellectuelle. Simplement, quand il sourit, réfléchit, et vous guette : attention !

Notes

1 Chapitre XIV de Mes amis musiciens, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1955, p. 178-191.

2 Le souvenir Hélène Jourdan-Morhange est ici approximatif : c’est le 11 avril 1919 qu’elle créa à la SMI le Trio de Roland-Manuel dédié à Maurice Ravel, avec Sigismond Jarecki et Félix Delgrange.

3 Citons par exemple une exposition de « poésies chiffonnées » de Suzanne Roland-Manuel à la galerie Art Contemporain, 135 boulevard Raspail, du 2 au 15 avril 1927.

Pour citer ce document

Manuel Cornejo, «Colloque Roland-Manuel (novembre 2016) | Repères sur Roland-Manuel», La Revue du Conservatoire [En ligne], Actualité de la recherche au Conservatoire, Le septième numéro, La revue du Conservatoire, mis à jour le : 24/05/2019, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=2078.

Quelques mots à propos de :  Manuel Cornejo

Manuel Cornejo est chercheur sur Maurice Ravel,éditeur scientifique de l’ouvrage Maurice Ravel, L’Intégrale, Correspondance (1895-1937), écrits et entretiens, Paris, Le Passeur Éditeur, 2018 (https://www.le-passeur-editeur.com/les-livres/documents/l-int%C3%A9grale) et président-fondateur des Amis de Maurice Ravel (http://boleravel.fr)