Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
n°7
Sylvie Pébrier

Daniel Leech-Wilkinson, The Changing Sound of Music, Approaches to Studying Recorded Musical Performances

Article

Texte intégral

LEECH-WILKINSON Daniel, 2009, The Changing Sound of Music, Approaches to Studying Recorded Musical Performances (Le Son changeant de la musique, Approches pour l’étude de l’interprétation musicale enregistrée), Londres, Charm.

 

Daniel Leech-Wilkinson est professeur au King’s College de Londres1 et mène d’importants travaux de recherche avec le réseau de recherche auquel participe son établissement. Ce livre a été publié dans le cadre d’un programme intitulé CHARM, Center for the history and analysis of recorded music2, qui s’est déroulé de 2004 à 2009. Depuis 2009, au sein du Centre pour l’interprétation musicale comme pratique créative (CMPCP)3, Daniel Leech-Wilkinson travaille sur la perception par les interprètes de la musique comme forme.

 

Ce livre exploite le potentiel d’une édition en ligne en offrant la possibilité d’écouter, au fil de la lecture, les archives sonores conservées et numérisées par le King’s College. L’auteur place d’emblée son propos sous le signe de l’écoute, celle de l’auditeur, mais aussi de l’interprète et du compositeur. L’étude historique de l’interprétation conduit à considérer le caractère évolutif des valeurs attachées à la musique. Le livre s’ouvre par trois chapitres préliminaires : le premier présente le champ relativement nouveau des études de l’interprétation, le second examine les relations entre composition et interprétation d’une part, entre interprétation et enregistrement d’autre part, le troisième les changements intervenus en matière d’enregistrement. Daniel Leech-Wilkinson, se centrant sur l’évolution de l’interprétation, s’intéresse à la notion de « style » d’interprétation, que révèle l’enregistrement. Ce qui le conduit à réfléchir aux conséquences de ces variations :  « c’est une des choses les plus étranges à propos de la musique, car cela suggère que ce que nous considérons comme essentiel pour l’interprétation pourrait en réalité être assez différent et le sera dans le futur ». Les trois chapitres suivants regardent de près les changements de style dans l’interprétation : au XXe siècle pour le chant, le piano et le violon. Citons les analyses d’Elena Gerhardt, Adelina Patti, Lotte Lehmann ou George Henschel pour le chant, Joseph Joachim, Fritz Kreisler, Jascha Heifetz pour le violon avec des développements très intéressants sur le portamento et le vibrato dans la suite des travaux de Robert Philip, et pour le piano, Fanny Davies, Ilona Eibenschütz, Benno Moiseiwitsch ou Alfred Cortot. Le chapitre sept adopte un point de vue plus théorique et tente de comprendre, avec l’aide d’une visualisation informatique du son, comment ces changements ont lieu et pourquoi ils nous émeuvent. Le chapitre suivant traite de l’expressivité en général et des gestes expressifs en particulier et le dernier fait un point rapide sur les prochaines étapes de la recherche en proposant un élargissement à d’autres répertoires que ceux de la seule musique occidentale.

 

Ce précieux livre, qui mériterait une traduction en français qui le rende disponible pour les publics francophones, prolonge les travaux déjà engagés par Daniel Leech-Wilkinson. En renversant le traditionnel chemin qui va de la partition à la scène (from page to stage), il s’inscrit dans la continuité d’un article majeur de 2005 « Musicology and Performance », qui a marqué la littérature musicologique, en ce qu’il y considère que c’est l’étude de l’interprétation qui doit servir de base à l’étude des œuvres4, qui éclaire la partition (from stage to page, selon la formule de Nicholas Cook). On ne peut plus parler de musique, déclare-t-il, sans considérer la façon dont elle sonne et dont elle est ressentie : « j’espère vous convaincre que les interprétations constituent l’œuvre plus que la tradition ne l’a supposé, que les traditions d’interprétation influencent notre façon de penser les œuvres sur de longues périodes et que les interprètes ont des choses à nous apprendre sur les œuvres musicales qui sont aussi intéressantes et vraies que analyses et commentaires les plus subtils. »

 

Au-delà des habituelles catégories, il parle du geste musicien, non seulement pour les interprètes mais aussi pour les compositeurs, il invite à développer un travail pluridisciplinaire pour étudier les notions de perception et d’émotion, il suggère de rapprocher le critique et le mélomane. Plus généralement, il recommande de remettre en cause les catégories dont il considère qu’elles nous attachent à notre insu à des modalités de pensée passées. Il faut saluer ce fleuron de la recherche anglaise sur l’interprétation qui a produit des ouvrages majeurs depuis trente ans et souhaiter qu’une traduction en français soit rapidement disponible pour en permettre le rayonnement dans l’espace francophone. La seule réserve que j’émettrai, à titre personnel, concerne la volonté d’aborder l’émotion par le biais des neurosciences et du cognitivisme. Il ne s’agit pas de dénier la richesse scientifique de cette démarche mais elle fait trop peu de place à la question de la subjectivité, subjectivité qui est pourtant la matière vive du travail de création et d’interprétation.

Notes

2 Cf. Charm

3 Le CMPCP réunit le King’s College, l’Université d’Oxford et l’Université de Londres Royal Holloway, et associe la Guildhall School of Music & Drama et le Royal College of Music de Londres.

4 Cf. Daniel Leech-Wilkinson, “Musicology and performance”, communication dans le cadre du colloque organisé par le RILM à New York en 2005, Music’s Intellectual History: Founders, Followers and Fads.

Pour citer ce document

Sylvie Pébrier, «Daniel Leech-Wilkinson, The Changing Sound of Music, Approaches to Studying Recorded Musical Performances», La Revue du Conservatoire [En ligne], La revue du Conservatoire, Le premier numéro, Kiosque International, mis à jour le : 08/02/2013, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=511.

Quelques mots à propos de :  Sylvie Pébrier

Sylvie Pébrier, professeure associée d’histoire de la musique au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Plus d'informations