Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
n°7
Guillemette Prévot

Du littéraire au musical : transposition des méthodes d’analyse. L’exemple de Pulcinella d’Igor Stravinsky

Article
  • Résumé
  • Abstract

Entre recréation, réécriture et recomposition de textes musicaux du premier XVIIIe siècle – notamment de Giovanni Battista Pergolesi –, Pulcinella de Stravinsky doit selon nous être soustraite aux définitions de pastiche et d’œuvre néoclassique auxquels elle est souvent réduite. En prenant appui sur certains concepts de l’analyse littéraire développés par la linguistique structurale et sur le principe énoncé par Philippe Sollers pour la littérature et transposé à la musique selon lequel « un texte s’écrit avec des textes et non pas seulement avec des phrases ou des mots », cet article proposera une analyse de Pulcinella de Stravinsky en trois temps : l’examen de la structure formelle en lien avec la théorie de l’hypertextualité développée par le théoricien et critique littéraire Gérard Genette, l’étude des matériaux harmonique et mélodique en lien avec la théorie du « dialogisme » élaborée par le formaliste russe Mikhaïl Bakhtine et l’analyse de l’orchestration en lien avec les théories de l’intertextualité développée par Julia Kristeva, Philippe Sollers ou Antoine Compagnon.

Texte intégral

Introduction

 

Pulcinella, ballet composé par Igor Stravinsky entre 1919 et 1920 sur une chorégraphie de Serge Diaghilev et des décors de Pablo Picasso, aurait été écrit « d’après des musiques de Giovani Battista Pergolesi ». Pourtant, selon les études de sources réalisées par Barry S. Brook1 ou Maureen A. Carr2, seuls dix des vingt et un fragments arrangés et orchestrés par Stravinsky sont du maître italien. Pulcinella doit les autres pièces à Domenico Gallo, Carlo Monza, Alessandro Parisotti et Unico Wilhelm Van Wassenaer.

À l’étude comparée de Pulcinella et des pièces de Pergolèse, Gallo, Monza, Parisotti et Wassenaer que nous avons pu nous procurer3, deux constats s’imposent. À de rares exceptions près, les mélodies et les basses – soit l’essentiel du matériau – sont reprises telles quelles. Pourtant, le style stravinskien transparaît à tout instant. Le paradoxe pourrait être formulé dans les termes suivants : comment le style stravinskien peut-il s’exprimer dans une architecture prédéfinie, dans une structure prédéterminée, dans une texture aux matériaux préchoisis ? Quel espace reste-t-il pour l’invention, l’innovation, la création artistique ? Comment cet espace est-il dégagé, révélé, créé ? Comment est-il investi ?

En nous inspirant des théories de l’intertextualité4 et notamment du principe énoncé par Philippe Sollers pour la littérature et transposé à la musique selon lequel « un texte s’écrit avec des textes et non pas seulement avec des phrases ou des mots »5, nous procéderons à une analyse de Pulcinella en trois temps : l’examen de la structure formelle en lien avec la théorie de l’hypertextualité de Gérard Genette, l’étude des matériaux harmoniques et mélodiques en lien avec la théorie du dialogisme de Mikhaïl Bakhtine et l’analyse de l’orchestration en lien avec diverses théories de l’intertextualité6.

 

 

Transformations formelles et intertextualité

 

Si la catégorie générale d’intertextualité désigne pour Gérard Genette la « présence effective d’un texte dans un autre »7, la sous-catégorie d’hypertextualité désigne plus spécifiquement « toute relation unissant un texte B [que Gérard Genette appelle hypertexte] à un texte antérieur A [qu’il appelle hypotexte] »8 et résultant d’une opération de transformation qu’il appelle « dérivation »9.

Si ces catégories nous semblent parfaitement transposables à la musique, c’est qu’elles portent moins sur des contenus que sur des relations de contenus, moins sur des énoncés que sur des contextes d’énonciation. De ce fait, notre propos pourra rester à l’écart du débat ouvert dans les années 1970 et jamais refermé depuis sur les différences, similitudes ou proximités sémantiques et syntaxiques des textes littéraires et musicaux, sur l’identité de nature entre langage et musique. Il se contentera de décrire, analyser et spécifier les liens qui unissent ces multiples hypotextes datant pour la plupart du premier tiers du XVIIIe siècle et l’hypertexte stravinskien de la seconde période, dite néoclassique.

La relation hypertextuelle la plus évidente est celle qui agit sur la forme : en la trans-formant, en la re-formant, en la dé-formant ou en la ré-formant, autrement dit en la simplifiant, en l’altérant ou en l’enrichissant.

 

Réduction

La plus visible des transformations formelles effectuée par Stravinsky est sans doute la réduction, définie par Gérard Genette comme une transformation « purement quantitative »10 d’abrègement. Dans le cas de Pulcinella, nous avons identifié trois procédés de réduction : par « sélection », par « excision » et par « condensation »11.

 

Réduction par sélection

La légende veut que Diaghilev, songeant à un spectacle sur des fragments manuscrits de Pergolèse découverts dans la poussière des conservatoires italiens et complétés dans les bibliothèques de Londres, ait fait appel à Stravinsky pour écrire la musique d’un ballet12. Stravinsky ayant accepté « la tâche délicate d’insuffler une vie nouvelle à des fragments épars et de construire un tout avec des morceaux détachés »13 selon ses propres mots, s’attelle entre 1919 et 1920 à un double travail de sélection et de recomposition.

Les morceaux retenus par le compositeur sont de différentes natures : extraits de la cantate Luce degli occhi miei et des opéras Il Flaminio et Lo frate ‘nnamorato de Giovanni Battista Pergolèse, mouvements isolés des Douze sonates en trio de Domenico Gallo, extraits des Arie antiche d’Alessandro Parisotti, des Pièces modernes pour le clavecin de Carlo Monza et des Sei concerti armonici de Unico Wilhelm Van Wassenaer. Pour la clarté de l’étude, nous reproduisons ci-dessous une partie de la table des correspondances entre les pièces élaborée par Barry S. Brook dans son article « Stravinsky’s Pulcinella, The ‘‘Pergolesi’’ sources »14 :

 

Mouvements de Pulcinella

Sources de Pulcinella

 

Ouverture

Gallo, Trio Sonata I/i

Scène I

Serenata (Tenor)

Pergolesi, Il Flaminio I/i

Aria (Polidoro)

Scherzino

Gallo, Trio Sonata II/i

[Poco] Più vivo

Pergolesi, Il Flaminio III/x

Canzona (Checca)

Allegro

Gallo, Trio Sonata II/iii

Andantino

Gallo, Trio Sonata VIII/i

Scène II

Allegro

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato I/xvii

Aria (Vanella)

Allegretto [Ancora poco meno] (Soprano)

Pergolesi, cantata Luce degli occhi miei

Aria « Contento forse vivere »

Allegro assai

Gallo, Trio Sonata III/iii

Scène III

Allegro [alla breve] (Basso)

Pergolesi, Il Flaminio I/v

Aria (Bastiano)

Scène IV

Andante [Largo assai]

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato III/iii

Aria (Nina) - Introduction

[Andante] (Soprano, Tenor, Basso)

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato III/v

Arioso (Ascanio)

Andante

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato III/iii

Aria (Nina) - Introduction

Larghetto (Tenor)

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato II/vii

Canzona (Vanella)

Allegro (Soprano, Tenor)

Idem

Presto (Tenor)

Idem (middle section)

Larghetto [Andante (Tempo 1°)]

Idem (ending)

Allegro [alla breve]

Gallo, Trio Sonata VII/iii

Tarentella

Wassenaer, Concerto II/iv from Concerti Armonici [Ricciotti/Chelleri Concertino nº VI/iv]

Scène V

Andantino (Soprano)

Parisotti, « Se tu m’ami » from Arie antiche

Allegro [Toccata]

Monza, Pièces modernes pour le clavecin [First Suite] in E, Air

Scène VI

Gavotta con due variazioni

Monza, Pièces modernes pour le clavecin [Third Suite] in D, Gavotte

Scène VII

Vivo

Pergolesi, Sinfonia [Sonata] for Cello and Basso

Scène VIII

Tempo di minue [Molto moderato] (Soprano, Tenor, Basso)

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato I/ii

Aria (Don Pietro)

Allegro assai

Gallo, Trio Sonata XII/iii

 

Finis

 

 

 

La sélection est un premier travail de réduction en tant que l’hypotexte est décomposé – au sens littéral où ses composantes musicales sont séparées les unes des autres – et dé-composé – au sens figuré où l’édifice musical d’origine est déconstruit, débâti. Ainsi, Stravinsky ne retient de l’acte I de l’opéra Il Flaminio que l’aria « Con queste paroline » de Bastiano et la canzona « Mentre l’erbetta » de Polidoro, et de l’acte III que la canzona « Benedetto Maledetto » de Checca. L’opération de sélection est donc bien une opération de réduction en tant qu’elle soustrait à, qu’elle retient à l’exclusion de, qu’elle tronque en creux. Conséquemment, l’opération de sélection soumet les morceaux à un procès de « délinéarisation »15 qui, en les isolant de leurs trames musicale et narrative d’origine, les prive du sens que leur conféraient leurs positions respectives dans des ensembles plus vastes.

L’opération de décomposition implique l’opération corollaire de recomposition – au sens littéral de re-formation d’un tout par l’assemblage de composantes diverses – et une re-composition – au sens figuré de re-création d’une cohérence musicale. Trois facteurs contribuent selon nous à cette cohérence réinventée :

1) l’homogénéité plus grande de l’effectif instrumental (qui permet d’éviter à Pulcinella le hiatus entre l’effectif de grand opéra de l’aria de Don Pietro et celui de la sonate en trio de Domenico Gallo qui lui succède, par exemple) ;

2) la cohérence du parcours tonal ;

Ainsi, dans la Scène I, Stravinsky utilise l’un à la suite de l’autre la canzona de Checca extraite de l’opéra Il Flaminio de Pergolèse et le troisième mouvement de la Sonate en trio nº 2 de Domenico Gallo :

Mouvements de Pulcinella

Sources de Pulcinella

Sc. I

[Poco] più vivo

Ré / La

Sol / Ré

Pergolesi, Il Flaminio

Canzona (Checca)

Allegro

La

Si bémol

Gallo, Trio sonata II/iii

 

La tonalité de la majeur, commune à la seconde partie du Poco più vivo et à l’Allegro qui lui succède, favorise l’enchaînement d’une pièce à l’autre. À très petite échelle, l’opération de transposition permet donc de compenser l’incohérence structurelle que produirait la seule juxtaposition des pièces et de conférer, par la tonalité, une logique à leur enchaînement et une stabilité tonale à la scène.

Dans la Scène IV, Stravinsky reprend de Lo frate ‘nnamorato l’aria de Nina, l’arioso d’Ascanio et la canzona de Vanella :

 

Mouvements de Pulcinella

Sources de Pulcinella

Sc. IV

Andante [Largo assai]

Mi bémol

Mi bémol

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato III/iii

Aria (Nina) - Introduction

[Andante] (Soprano, Tenor, Basso)

Mi bémol

Mi bémol

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato III/v

Arioso (Ascanio)

Andante

mi bémol

Mi bémol

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato III/iii

Aria (Nina) - Introduction

Larghetto (Tenor)

mi bémol

Pergolesi, Lo frate ‘nnamorato II/vii

Canzona (Vanella)

Allegro (Soprano, Tenor)

mi bémol / Sol bémol

/ Fa

ré / Fa

Idem

Presto (Tenor)

Idem (middle section)

Larghetto [Andante (Tempo 1°)]

mi bémol

Idem (ending)

 

Dans ce second exemple, Stravinsky altère le parcours tonal de plusieurs façons : en substituant à la reprise de l’aria en mi bémol majeur sa reprise au ton homonyme et en transposant en mi bémol mineur la canzona de Vanella. Ces deux transpositions lui permettent d’unifier l’Andante et le Larghetto par la tonalité de mi bémol mineur, lui offrant la possibilité d’un tuilage de leurs matériaux respectifs :


	Pulcinella – « Chi disse ca la femmena »

Pulcinella« Chi disse ca la femmena »

Le matériau issu de l’aria de Nina peut être ainsi répété aux cordes bien après que celui de la canzona de Vanella a commencé au ténor et au hautbois.

Stravinsky commence donc la canzona de Vanella en mi bémol mineur (Larghetto) et choisit de se soumettre à la contrainte stylistique du XVIIIe siècle qui veut qu’une pièce s’achève dans la tonalité où elle a commencé (Larghetto [Andante (Tempo 1°)]). Pourtant, une brutale bifurcation de sol bémol majeur vers les tonalités de fa majeur et mineur fait « dérailler » le parcours tonal, déraillement que justifieraient la volonté de « dépolariser » la scène IV des tons de mi bémol majeur et mineur et/ou le choix d’accompagnement orchestral de toute la première partie du Presto par des pizzicati en triples ou quadruples cordes, qu’une armure de six bémols rendrait impossible à réaliser. Qu’il réponde à une logique tonale ou à des contraintes organologiques, le choix des tonalités fait donc indiscutablement partie du travail de réécriture (au même titre que la composition des transitions sur laquelle nous reviendrons dans la partie consacrée à l’augmentation).

 

3) l’argument ;

Bien qu’il tienne plutôt de l’archétype ou du code que de l’histoire16, l’argument17 issu de la commedia dell’arte et la linéarité narrative qui en procède participent de la perception de Pulcinella comme totalité signifiante. Pour autant, ni l’argument ni le texte ne sont des vecteurs d’unification à proprement parler, ce que met parfaitement en évidence l’aria de Bastiano « Con queste paroline » qui, de support musical à une scène de réconciliation amoureuse dans Il Flaminio, devient celui d’une scène d’assassinat dans Pulcinella, la musique semblant n’avoir partie liée avec aucun de ces arguments littéraires. Cet exemple justifie à lui seul le peu de cas que cette étude fera du texte et de ses transformations, l’opération de délinéarisation participant de la perte de signification sémantique des hypotextes littéraires. Malgré la distance qu’elle entretient avec la musique, l’intrigue crée néanmoins une sorte d’unité superficielle que l’on pourrait presque qualifier de sur-unité ou de méta-unité en ce qu’elle unifie le texte musical au-delà de lui.

Il convient toutefois de ne pas se méprendre sur cette démonstration. Dans la mesure où ils ne possèdent pas le caractère de ce qui n’est ou ne fait qu’un, les mouvements qui composent Pulcinella ne sont pas indivis et ne forment pas une unité à proprement parler. Non seulement de nombreuses pièces sont juxtaposées sans autre forme de raccord, comme l’Ouverture et la Serenata ou le « Chi disse ca la femmena » et la Tarentella pour ne prendre que ces deux exemples, mais Stravinsky semble s’être volontairement refusé à maquiller les discontinuités liées à ce travail d’artisanat revendiqué comme tel18 de découpage, collage, combinaison et composition au sens que lui donne le latin classique de placer ensemble. Sans doute a-t-il « construit un tout avec des morceaux détachés » mais en désignant comme telles les attaches à l’auditeur. Il nous semble donc plus juste de parler d’ensemble cohérent cimenté par des rapports logiques que d’unité reconstituée.

 

Réduction par excision

Un second niveau de sélection réside dans ce que Gérard Genette appelle « l’excision », « suppression pure et simple »19 dont le critique littéraire précise qu’elle est « le procédé réducteur le plus simple, mais aussi le plus brutal et le plus attentatoire à la structure et à la signification [du texte] ». Stravinsky met en œuvre l’excision « par amputation »20 (« massive et unique »21) en tronquant la partie B et le da capo de l’aria « Contento forse vivere », les 42 dernières mesures et la reprise al segno de l’aria « Con queste paroline » ou encore l’aria de Vanella à l’exception de sa seule introduction. Dans les deux premiers exemples, l’excision par amputation brise la symétrie musicale, privant l’hypotexte de sa logique structurelle. Dans le troisième exemple, elle lui retire sa fonction structurelle d’introduction.

À l’échelle de la microstructure enfin, Stravinsky procède à des excisions par ce que Gérard Genette appelle « élagage »22 ou « émondage dispersé »23. Dans l’aria « Con queste paroline », Stravinsky élimine deux mesures après le chiffre 92, quatorze mesures à la mesure précédant le chiffre 100, vingt mesures au chiffre 102 et les quarante-deux mesures finales, ce qui lui permet, sans supprimer aucune partie thématiquement significative, d’alléger la pièce de ses très nombreuses répétitions. Dans ce cas, les catégories de « réduction par excision » et de « réduction par concision »24 définies et différenciées par Gérard Genette se confondent : l’élagage permet non seulement d’alléger l’aria mais de le rendre à la fois plus concis, plus dense en événements et plus lisible dans sa structure. Quelque part, ce travail très particulier auquel Stravinsky se livre sur la trame de l’hypotexte lui permet de produire un équivalent musical du résumé littéraire. Les opérations de réduction, bien loin de n’affecter l’hypotexte que dans sa longueur, l’affectent donc également dans sa structure. Comme l’indique Gérard Genette : « Réduire ou augmenter un texte, c’est produire à partir de lui un autre texte, plus bref ou plus long, qui en est la dérive, mais non sans l’altérer de diverses manières »25.

 

Augmentation

Si les opérations de transformation formelle par réduction ne sont visibles qu’en creux, par l’étude comparée attentive de l’hypotexte et de l’hypertexte, les opérations de transformation formelle par augmentation sont beaucoup plus facilement identifiables et riches d’enseignements pour qui s’intéresse aux procès de réécriture.

 

Augmentation par extension

En reprenant la définition de Gérard Genette, nous appellerons « extension » toute « augmentation par addition »26, c’est-à-dire tout passage composé par Stravinsky sans base hypotextuelle. La liberté de composition et d’invention procédant de l’absence totale de contrainte structurelle, harmonique ou mélodique font de ces extensions le point de départ naturel d’une compréhension de la stylistique stravinskienne dans ce cadre très particulier de l’intertextualité contrainte.

Une première catégorie d’augmentation est l’extension que nous appellerons libre ou sans contrainte externe. Elle peut être constituée de quelques notes seulement, comme :

- le jet de flûtes sur le temps qui fait la jointure entre la Serenata et le Scherzino, à la levée du chiffre 9 :


	Pulcinella – liaisonSerenata / Scherino

Pulcinella – liaisonSerenata / Scherino

- le relais des bassons et flûtes soutenu par de discrètes basses27 entre l’Allegro et l’Andantino, au chiffre 34 :


	Pulcinella – liaison Allegro / Andantino (Scène I)

Pulcinella – liaison Allegro / Andantino (Scène I)

Dans chacun de ces cas, Stravinsky compose une transition ou une levée qui tranche avec les marqueurs stylistiques du classicisme : superposition de quintolets de triples-croches et de septolets de triples-croches sur une échelle de doubles-croches dans l’exemple 2, énonciation avec fragmentation timbrique d’un mode myxolydien sur do, débouchant sur une pédale de dominante en harmoniques dans l’Andantino suivant dans l’exemple 3. C’est donc tout d’abord dans les interstices de la structure générale que se déploie de façon démonstrative la stylistique stravinskienne, dans ces espaces exempts de règles, libres de contraintes.

L’extension peut aussi être de dimensions beaucoup plus vastes, comme le mettent en évidence les dix premières et les quinze dernières mesures de l’Allegro assai (chiffres 68 à 69 et 89 à 91). La stylistique stravinskienne y est là encore manifeste : stase en homophonie et homorythmie sur un accord ambigu pouvant être compris comme le renversement d’un accord de tonique avec 6te majeure ajoutée ou comme accord du VIe degré altéré avec 7e ; disposition large avec prégnance des suraigus, doubles ou triples cordes non arpégées dans la nuance fortississimo ; rythmes obstinément répétés pour le passage qui sert d’introduction à la pièce (de 68 à 69) et faisant entendre une contraction de la carrure pour le passage qui lui sert de conclusion (de 89 à 90).

Chacun de ces paramètres pris séparément aurait suffi à rompre l’équilibre stylistique préclassique. Leur conjonction introduit une violence comparable à celle de la « Glorification de la victime » ou de « L’évocation des ancêtres » du Sacre du printemps, violence que l’on a pu qualifier de tribale ou de primitive en ce que son immobilisme harmonique faisait de chaque accord un impact rythmique signifiant pour et par lui-même, une percussion privant l’harmonie de sa nécessité structurelle. Dans cette perspective, les passages susmentionnés pourraient être perçus comme anti- plutôt que comme néoclassiques dans la mesure où ils renient les fondements mêmes du classicisme : son essence tonale, ses règles de conduite harmonique, son équilibre structurel. Mais dans la mesure où Stravinsky joue davantage sur l’alternance que sur la confrontation des époques, où l’écriture par blocs lui permet de maintenir étanche la frontière entre les siècles, l’intertextualité est réduite et l’influence réciproque d’un style sur l’autre limitée. L’augmentation par extension relève alors moins du dialogue que du face-à-face, permettant à l’auditeur d’identifier la dualité de l’écriture.

Paradoxalement, l’augmentation par extension prenant appui sur l’hypotexte remplit la même fonction, comme le mettent en évidence les inserts :

- de l’Ouverture (deux mesures après III) :


	Pulcinella – Ouverture

Pulcinella Ouverture

- de la fin de l’Andantino (une mesure après 60) :


	Pulcinella – Andantino (Scène I)

Pulcinella Andantino (Scène I)

- des deux mesures faisant office de transition entre le « Sento dire no’nce pace » et le « Chi disse ca la femmena » (chiffre 112) :


	Pulcinella – liaison « Sento dire » / « Chi disse ca la femmena »

Pulcinella – liaison « Sento dire » / « Chi disse ca la femmena »

Dans l’exemple 4, l’insert fait entendre l’un des motifs secondaires du 1er mouvement de la Sonate en trio no 1 de Domenico Gallo au premier violon et un accompagnement en syncopes au second violon. Tout concourt à faire entendre ces deux mesures comme un insert : l’isolement des deux violons solos par la réduction brutale de la masse orchestrale ; la suspension de la basse continue, difficilement envisageable dans le contexte stylistique préclassique ; l’incongruité de la référence populaire. Mais le tour de force de Stravinsky est d’avoir fait entendre comme insert et donc comme élément étranger à l’hypotexte le motif du second violon, alors qu’il n’apparaît sous sa forme initiale qu’à ce seul moment (toutes les versions précédentes et suivantes ayant été soumises à des mutations d’intervalles ou des déplacements rythmiques).

Dans l’exemple 5, l’extension relève de la réminiscence : seule la ligne brisée et la récurrence des intervalles d’octaves rappellent de façon explicite le thème de l’« Aria di Vanella » issu de Lo frate ’nnamorato de Pergolèse. Mais les marqueurs stylistiques sont bien stravinskiens en ce qu’ils dérogent à toutes les règles du contrepoint à deux voix tel qu’il était pratiqué à l’époque de Pergolèse : ambitus excessivement large, complémentarité rythmique limitée, présence de nombreux intervalles d’octaves (y compris directes) que le XVIIIe siècle percevait comme « pauvres », de septièmes non préparées qu’il considérait comme « dures », etc. Là encore, l’augmentation par extension souligne le dedans et le dehors de l’hypotexte.

Dans l’exemple 6, comme nous l’avons déjà observé, Stravinsky reprend la deuxième partie de l’introduction à l’air « Suo caro e dolce amore » pour en faire une transition avec l’air « Chi disse ca la femmena ». Cette réutilisation du matériau semble avoir été anticipée par la complète rupture de caractère que Stravinsky avait artificiellement introduite entre la première et la seconde partie de l’introduction par des changements d’orchestration, de mode de jeu et de rythme au chiffre 107. L’anti-naturalité de cette rupture est amplifiée au chiffre 112 par l’arbitraire de la reprise. Peut-être est-ce là l’exemple le plus flagrant de la pratique de découpage et de collage pratiquée par Stravinsky qui, comme Pablo Picasso ou Georges Braque le faisaient avant la Première Guerre mondiale, comme Michel Leiris le ferait après la Seconde, peut pour construire, « tailler à coups de ciseaux, rogner, badigeonner, appliquer bien à l’équerre une surface sur une autre surface »28 sans gommer les heurts produits par la rencontre entre les matériaux de différentes natures, laissant à découvert son mode d’élaboration et le travail qui lui est lié.

Les augmentations par extension, qu’elles soient libres ou composées d’après l’hypotexte, partagent donc une même propension à signaler la co-écriture comme telle. S’intercalant dans les espaces libres de la trame narrative comme les blocs caractéristiques de la stylistique stravinskienne, dans une conception quasiment spatiale de la composition musicale, elles génèrent des ruptures propres à faire ressortir la nature hypertextuelle de Pulcinella.

Elles nous permettent par ailleurs d’avancer d’un pas dans la définition de cette œuvre ambiguë et multiforme qu’est Pulcinella : dans la mesure où certains passages échappent totalement à l’imitation stylistique ou à la fidélité mimétique et où la juxtaposition des styles souligne leurs différences bien plus que leurs similitudes, Pulcinella doit selon nous être soustraite à la définition de pastiche que lui attribuent certains musicologues29.

 

Augmentation par expansion

L’augmentation par expansion relève du prolongement de certaines structures ou de certains matériaux par ce que Gérard Genette appelle une « dilatation stylistique »30. Comme l’insert, l’augmentation par expansion est composée à partir de matériaux de l’hypotexte. C’est le cas à l’échelle de la microstructure dans l’Ouverture (chiffre V) :


	Pulcinella – Ouverture

Pulcinella Ouverture

ou à plus grande échelle à la fin du « Contento forse vivere » (chiffre 67).

Dans l’exemple 7, la « dilatation » du motif par l’ajout d’un temps est particulièrement visible en tant qu’elle n’altère que l’un des membres de la marche. De ce fait, l’augmentation par expansion déforme et déséquilibre un pattern fondé sur le principe de répétition rythmique, déséquilibre que Stravinsky est amené à compenser par un tuilage de carrures au chiffre VI. Dans le dernier exemple, Stravinsky élargit le « Contento forse vivere » par une coda. La dislocation du tissu orchestral sur pédale et la fragmentation du thème en unités toujours plus petites rappellent le procédé romantique que Schoenberg avait appelé la « liquidation »31. Ainsi, que ce soit à l’échelle microstructurelle ou macrostructurelle, les augmentations par expansion travaillent, modèlent, altèrent la forme hypotextuelle de l’intérieur (et non de l’extérieur comme les augmentations par extension le faisaient).

 

Altération du temps

Au-delà des nombreuses extensions, expansions, ellipses et troncatures, Stravinsky peut être amené à altérer le temps pergolesien. Il est à cet égard frappant de comparer l’Allegro de la Scène I avec le 3e mouvement de la Sonate en trio no 2 de Domenico Gallo : outre le choix du tempo, les fusées en triolets de triples-croches, la superposition des formes originale et monnayée d’un même motif, les interminables lignes de mélismes ornementaux en doubles-croches, la micro-pulsation interne de chaque son par les trilles, les tremolos et les pizzicati créent, malgré le tempo (noire pointée à112), le sentiment d’une vitesse vertigineuse qui était totalement absente du final de la Sonate en trio no 2 de Domenico Gallo.

Stravinsky intensifie l’alacrité de la pièce par trois procédés :

- la contraction du temps par tuilage des carrures (chiffre 69) :


	Pulcinella – Allegro assai (Scène II)

Pulcinella Allegro assai (Scène II)

- la contraction du temps par réduction des carrures (chiffre 86) :


	Pulcinella – Allegro assai (Scène II)

Pulcinella Allegro assai (Scène II)

- l’accélération du temps par introduction et rapprochement artificiel de nouveaux temps forts se surimposant aux temps forts de l’hypotexte (à la trompette, chiffre 79)32 :


	Pulcinella – Allegro assai (Scène II)

Pulcinella Allegro assai (Scène II)

Dans l’exemple 8, le chevauchement des motifs, en rompant la régularité du rythme établie dans l’introduction, joue sur un mécanisme d’anticipation pour provoquer l’effet d’une micro-ellipse temporelle33. Dans l’exemple 9, les ostinati des violons et des violoncelles, le premier fondé sur les quatre notes de tête du motif, le second sur un motif en arsis/thésis symétrique de huit notes (superposé à sa forme en diminution aux altos) créent un double conflit métrique en tant qu’ils sont fondés sur des divisions binaires (4 et 8) et inscrits dans une mesure impaire (3/8). L’effet produit est une compression temporelle, une précipitation du discours. Dans l’exemple 10, le fait que la trompette ponctue à trois, puis à deux (surimposant ses hémioles à la mesure à 3/8) provoque là encore une accélération du débit musical. Ainsi, la volonté de créer un sentiment d’extrême vitesse, voire de précipitation, conduit Stravinsky à utiliser des procédés d’écriture qui déforment la structure formelle.

Nous pourrions conclure avec Antoine Compagnon que :

« Le travail de l’écriture est une réécriture dès lors qu’il s’agit de convertir des éléments séparés et discontinus en un tout continu et cohérent, de les rassembler, de les comprendre (de les prendre ensemble), c’est-à-dire de les lire : n’est-ce pas toujours le cas ? Récrire, réaliser un texte à partir de ses amorces, c’est les arranger ou les associer, faire les raccords ou les transitions qui s’imposent entre les éléments mis en présence : toute écriture est collage et glose, citation et commentaire. »34

Cette définition de l’écriture comme « collage et glose, citation et commentaire » postule en fait une équivalence entre écriture et réécriture ou pour le dire autrement, entre « composition » (au sens artistique) et « com-position » (au sens artisanal). Si, comme l’affirme Antoine Compagnon, toute création est effectivement et par nature intertextuelle, la singularité de Pulcinella ne repose plus sur une différence de nature mais sur une différence de degré. Ainsi nous pourrions affirmer avec Philippe Sollers que dans Pulcinella comme dans n’importe quel texte, « tout est écrit : la constitution du texte, sa structuration, ses niveaux de sens, ses ellipses, ses silences, ses suspensions, ses intervalles, ses jonctions, sa trame »35. D’un point de vue strictement formel, les opérations de réduction par sélection, excision et condensation, d’augmentation par extension et expansion, de juxtaposition de blocs, de collage de « surfaces textuelles », d’altération de la temporalité hypotextuelle feraient donc de Pulcinella une création absolue. En la comparant à celle des suites de danses à l’époque baroque, des pièces instrumentales des époques classique et romantique et même de certaines pièces de la Seconde École de Vienne, l’inventivité formelle de Pulcinella – soustraite à l’impératif de variation plus ou moins subtile d’une forme fixe – apparaît même comme beaucoup plus grande. Elle fonctionne néanmoins selon des modalités très différentes : l’interdépendance du matériau et de la forme qui devient la règle à l’époque classique y est beaucoup moins forte, le premier ne conditionnant la seconde qu’à la marge ; l’idée de déploiement de la forme à partir d’une ou plusieurs cellules que le discours développerait lui est étrangère. Quelque part, il n’est pas fortuit que le choix de Stravinsky se soit porté sur des pièces dont la forme était plutôt fondée sur des procédés de répétition et de variation que de développement. L’identité de Pulcinella repose donc aussi sur la proximité des principes de construction formelle de l’écriture préclassique et du style stravinskien.

 

 

Surimpression et dialogisme

 

Stravinsky a travaillé à même les partitions de Pergolèse, Monza ou Gallo « comme s’il corrigeait d’anciens travaux »36, selon sa propre expression. En ce sens, les ajouts hypertextuels sont comme surimprimés entre les lignes hypotextuelles, que ce soit dans les harmonies ou dans le contrepoint.

 

Harmonie

Si à de rares exceptions près Stravinsky maintient telles quelles les basses des hypotextes, les harmonies sont largement recomposées dans le sens d’une érosion par l’intérieur de l’équilibre harmonique et de l’unité tonale.

Stravinsky appose ses marqueurs stylistiques de plusieurs façons :

- en retravaillant l’étagement des accords dans le sens de l’inversion de la hiérarchie de leurs composantes ou de la mise en valeurs d’éléments hiérarchiquement secondaires, comme le met en évidence le passage au chiffre 116 de « Chi disse ca la femmena ». Dans ce passage, non seulement Stravinsky fait entendre l’accord – inouï à l’époque de Pergolèse – de 9e de dominante majeure, mais les voix de bassons et les pizzicati de cordes, accentuant la double 5te dans le grave, indiquent que la 9e de dominante est comprise comme étagement de 5tes (plus 7e) plutôt que comme étagement de 3ces. Ce « miroir grossissant »37 dirigé sur la double 5te permet à Stravinsky de générer un bourdon, sans presque rien changer de l’harmonie initiale de Pergolèse.

- en retravaillant l’étagement des accords dans le sens d’un déséquilibre des tessitures, comme le met en évidence l’entrée du ténor dans la Serenata (chiffre 3) :


	Pulcinella – Serenata

Pulcinella Serenata

Par contraste avec le début de la Serenata dont l’ambitus était restreint et le registre concentré dans le médium grave, la disposition de l’accord de l’exemple 11 permet un gain de basse et d’aigus. L’accord n’en est pas moins doublement déséquilibré, à la fois parce que le registre médium est déserté au profit des fréquences aiguës et graves et parce que les fréquences aiguës sont surreprésentées par rapport aux fréquences graves. En ce sens et comme l’avait relevé André Boucourechliev dans son ouvrage Igor Stravinsky, la redisposition de l’accord permet le déplacement de la perspective sonore38.

- en retravaillant la disposition des accords dans le sens de leur défonctionnalisation, comme nous pouvons l’observer dans la Serenata (chiffre 5) :


	Pulcinella – Serenata

Pulcinella Serenata

La comparaison de ce passage avec l’air « Mentre l’erbetta » de l’opéra de Pergolèse Il Flaminio nous permet d’analyser cet accord comme un Ier degré de mi bémol majeur avec 6te et 9e ajoutées. Mais la broderie du violon 2 du ripieno nous fait également entendre la 7e majeure et même la 7e mineure pendant quatre temps, sortes de broderie et de « broderie de la broderie » qui irisent l’harmonie, y introduisant, à l’échelle du battement du trille, des microvariations de nature à opacifier la fonction de premier degré.

Stravinsky peut par ailleurs altérer l’harmonie autrement que par des opérations de redisposition des accords :

- en y insérant sans préparation des dissonances telles que 4tes, 6tes et 9es ajoutées39 ;

- en dérogeant aux règles classiques de conduite des voix : sensibles40, 7es et 9es non résolues41, 5tes parallèles42, suite de 4tes parallèles43, suite de 9es parallèles44 ;

- en affaiblissant la tension dominante/tonique : par superposition de la tonique à la sensible45 dans les accords de dominante, par superposition des harmonies de tonique et de dominante, par évacuation de la sensible remplacée par la tonique46 ou par une note modale47 dans les accords de dominante. À cet égard, on se référera au premier temps de la troisième mesure après le chiffre 116, représentatif des hiatus générés par l’écriture par strates, la mélodie suggérant l’accord de tonique tandis que l’accompagnement reste sur l’accord de dominante.

Le diatonisme intégral, l’intégration de modes48 et l’omniprésence de la tonique dans les pédales49, les stases50 et les ostinati51 participent également de l’affaiblissement de la hiérarchie et de l’alternance, structurelles dans le système tonal, de la tonique et de la dominante.

Partout, nous constatons donc l’infime présence de la stylistique stravinskienne dans les harmonies classiques, Stravinsky ayant procédé par touches délicates, sculpture discrète et minutieuse des harmonies de l’intérieur, les basses et les mélodies hypotextuelles ayant été préservées de toute altération. Mais considérer que le style de Stravinsky s’insère ou s’immisce dans une harmonie fonctionnant indépendamment de lui comme totalité, c’est déjà reconnaître la dualité de l’écriture de Pulcinella.

Si nous reconnaissons maintenant que les modifications introduites par Stravinsky, en portant atteinte à ses fondements, minent de l’intérieur le système tonal – et par voie de fait l’esthétique classique –, parler de Pulcinella comme d’une œuvre néoclassique pose problème. Car si le principe même de néoclassicisme implique le réinvestissement de l’esthétique classique, il devient difficile d’admettre qu’une écriture qui en fissure la structure, qui en mine l’armature, qui en ronge la charpente en contrevenant à chacun de ses principes de hiérarchisation et de différentiation des fonctions harmoniques, de conduite des voix et de progression tonale, puisse être qualifiée de néoclassique. L’une des voix de Pulcinella est indéniablement classique, l’autre indéniablement moderne. Mais procéder en esthétique comme en mathématique, par opération d’addition du nouveau et de l’ancien, du moderne et du traditionnel, du néo et du classique pour faire de Pulcinella une œuvre « néoclassique », c’est selon nous méconnaître son essentielle structure dialogique52.

 

Matériau mélodico-harmonique

 

Anticipation d’un arrière-plan sur l’hypotexte

Stravinsky anticipe parfois l’arrière-plan du discours sur son début. C’est notamment le cas du « Contento forse vivere » (chiffre 61) :


	Pulcinella – « Contento forse vivere »

Pulcinella« Contento forse vivere »

ou de l’Andante (chiffre 104) :


	Pulcinella – Andante (Scène IV)

Pulcinella Andante (Scène IV)

L’insertion de matériau mélodico-harmonique prend alors la forme d’une anticipation d’un arrière-plan composé sur l’hypotexte. Dans l’exemple 13, l’ostinato introduit par les altos, violoncelles et contrebasses du ripieno avant d’être pris en charge par le seul violoncelle du concertino est composé de trois croches (la3 – fa3 – la2). Le fait de s’inscrire dans une mesure à 4/4 lui confère une irrégularité métrique structurelle. Lorsque le hautbois entre mesure 3 sur la mélodie fondamentalement binaire du « Contento forse vivere », un conflit métrique éclate, sans doute accru par l’élimination de la basse continue et des contre-chants d’une part, par l’ajout d’un écho de la tête du thème décalé dans la mesure qui déstabilise une carrure déjà fragilisée d’autre part. De fait, cet écrin confectionné par Stravinsky dans lequel la mélodie de Pergolèse ne s’insère qu’après coup infléchit son écoute, comme si le brouillage de la carrure par le violoncelle contaminait la mélodie du hautbois, déséquilibrait sa structure, ébranlait ses assises.

Dans l’exemple 14, Stravinsky anticipe de quatre mesures le début de l’introduction de l’air « Suo caro e dolce amore » extrait du IIIe acte de Lo frate ‘nnamorato de Pergolèse. Dans ces quatre mesures, une pédale de contrebasses tenuto et des entrées successives de pupitres de cordes sur pédales en tremolo sul tasto tissent un tapis sonore d’où émerge la mélodie du violon solo. La substitution du registre grave au médium privilégié par Pergolèse, le remplacement de l’accompagnement rapide et léger en rythme demi-soupir – croche – croche par des notes longues et tenues, le son assourdi lié au jeu sur la touche et pour le violon solo sur la corde de sol et enfin la nuance piano changent totalement l’atmosphère de ce qui était initialement un Andante amoroso. Les longues tenues et la vibration irrégulière de ces fonds d’orchestre réinventent la sonorité de l’orgue ; l’élargissement de la carrure par l’ajout d’une mesure à la septième mesure de 10453 et les entrées progressives des cordes, en modifiant insensiblement le volume sonore, ouvrent sur des effets d’écho et de profondeur qui rappellent la réverbération du son sur les parois d’une église ; autant de transformations à la marge de l’hypotexte qui permettent à Stravinsky de métamorphoser l’initiale déclaration d’amour en prière.

La rencontre synchronique – et non plus diachronique – de l’hypotexte et de l’hypertexte fonctionne selon des modalités comparables aux strates évoluant indépendamment les unes des autres dans L’Oiseau de feu ou Le Sacre du printemps. Dans le cas de l’anticipation d’un arrière-plan sur l’hypotexte, cette rencontre présente néanmoins plusieurs spécificités. Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, Gérard Genette définit la relation hypertextuelle comme « présence effective d’un texte dans un autre »54 ou présence d’un hypertexte (second) dans un hypotexte (premier). Dans les exemples 13 à 15, le déroulement des événements musicaux a une incidence sur la perception que l’auditeur a des rapports hypertextuel et temporel. En effet, l’hypotexte (premier) semble introduit dans l’hypertexte (second), comme si Pergolèse était postérieur à Stravinsky. Cette inversion du rapport d’antériorité de l’hypotexte et de l’hypertexte a pour corollaire l’inversion de la forme habituelle de l’anachronisme : ce n’est plus le texte stravinskien mais le texte pergolesien qui sonne comme étranger, issu d’une autre époque, sorti d’un autre contexte stylistique. Le procédé renvoie alors à l’hétérodiégèse ou transposition diégétique que Hélène Maurel-Indart définit comme « changement de cadre spatio-temporel »55. Si nous pouvons transposer le concept littéraire d’hétérodiégèse à la musique, c’est du fait de l’équivalence possible entre accompagnement musical et « cadre spatio-temporel », en tant qu’ils sont tous deux des arrière-plans en interaction avec une « action », qu’elle soit dramatique ou musicale. Ainsi, l’inversion des rapports hypertextuel et temporel serait la condition de possibilité que le texte pergolesien soit perçu comme hétérodiégétique.

 

Surimpression de strates dans le tissu hypotextuel

La surimpression de matériau mélodico-harmonique peut également prendre la forme de strates glissées dans le tissu hypotextuel. Ce matériau est le plus souvent une pédale, comme dans la Serenata (voir l’exemple 11) ou dans l’Allegro de la Scène II (chiffre 46 à 47) :


	Pulcinella – Allegro (Scène II)

Pulcinella Allegro (Scène II)

Ce peut être également un ostinato (comme au début du « Contento forse vivere » présenté dans l’exemple 13), ou un contre-chant comme dans l’Allegro de la Scène I (chiffres 27 à 32).

Dans le passage de la Serenata présenté à l’exemple 11, sa seule position dans l’accord donne à la pédale de flûte en harmonique ajoutée par Stravinsky une position de premier plan. La flûte, seul bois à jouer dans la partie supérieure de l’ambitus, faisant sonner la note la plus aiguë de l’accord avec une régularité mécanique que soulignent son timbre métallique et le son détimbré si particulier de l’harmonique, est dans ce passage l’instrument structurellement le mieux perçu. Entendu comme l’opposé ou le complémentaire naturel de la voix de ténor, son timbre fait en négatif ressortir la chaleur de la voix, sa fixité rythmique et mélodique, la souplesse et la rondeur de la ligne vocale.

La pédale de basson surajoutée de l’exemple 15 remplit la toute autre fonction de fond d’orchestre, permettant l’éclatement de la ligne initialement vocale du « Gnora credetemi » extrait de l’opéra de Pergolèse Lo frate ‘nnamorato. Le fait d’être introduite presque à découvert, puis isolée dans le grave à deux octaves de la voix de cor et à quatre octaves de la voix de hautbois la donne néanmoins à entendre comme matériau thématique. Au sens où elle opère le recouvrement des fonctions de fond et de thème – voire de thème timbrique –, cette pédale est introduite dans l’hypotexte comme un anachronisme orchestral. Dans ce même exemple, la comparaison des premières mesures de l’Allegro de la Scène II avec celles du « Gnora credetemi » de l’opéra de Pergolèse révèle l’intercalation par Stravinsky d’une formule au basson 2, écho ornementé de la deuxième partie du thème initial. Il s’agit là de l’un des innombrables contre-chants glissés par le compositeur dans l’hypotexte, comme l’auraient été en littérature une glose ou un commentaire. Mais la particularité de celui-ci réside dans le fait que l’auditeur qui a en tête l’hypotexte ou qui connaît les conventions d’écriture des carrures du début du XVIIIe a comme la sensation que ce contre-chant « bouscule » les barres de mesures ou « retarde » la suite du discours. Ainsi, le thème qui aurait dû reprendre sur le premier temps de la septième mesure reprend comme un temps trop tard. Cette incidence structurelle de l’insertion de contre-chant dans l’hypotexte dément ainsi le caractère décoratif ou superflu des opérations de surimpression hypertextuelle.

Dans l’Allegro de la Scène I (chiffres 23 à 26 et 27 à 32), c’est toute la partie de violon solo (prise en relais par celle de l’alto solo du chiffre 27 au chiffre 28) qui est incorporée à l’hypotexte, se présentant successivement comme contre-chant (chiffres 23 à 24), doublure ornementale de la voix principale (chiffres 24 à 25), voix principale (chiffres 25 à 26) puis véritable partie soliste du chiffre 28 à la fin, avec reprise de gestes idiomatiques du violon évoquant les grands concertos du XIXe siècle : doubles cordes, arpèges, fusées, etc. Par cette opération de surimpression d’une partie instrumentale au 3e mouvement de la Sonate en trio no 2 tel que l’avait écrit Domenico Gallo, Stravinsky déplace non seulement le centre de gravité thématique de l’œuvre, mais aussi, progressivement, son contexte musical de référence. Pour le dire autrement, en introduisant dans la pièce de Domenico Gallo la virtuosité violonistique propre aux concertos du XIXe siècle, c’est le romantisme que Stravinsky fait surgir dans le concerto grosso.

Ces exemples révèlent selon nous que les opérations de surimpression telles que les pratique Stravinsky ne se résument pas au « procédé » ou à l’« effet » que veut y voir Pierre Boulez56. Elles participent pleinement de ce trait de la stylistique stravinskienne qu’est l’écriture par étagement de strates, la spécificité de Pulcinella résidant dans l’écart stylistique et temporel de ces deux catégories de strates que sont les hypotextes et les hypertextes et dans la (ou les) signification(s) expressive(s) que prend cet écart, étant entendu que la signification émerge là où s’articulent les différences. De ce point de vue, le contrepoint intertextuel pourrait être envisagé comme un dérivé ou une variante de l’écriture par strates. À ce stade de la réflexion, il convient d’analyser plus précisément la nature de cette texture que Mikhaïl Bakhtine qualifie indifféremment et non fortuitement de dialogique, polyphonique, plurivocale ou contrapuntique57.

L’écriture duelle de Pulcinella crée, en même temps qu’une polyphonie musicale, une polyphonie de styles. Mais peut-être faut-il introduire une nuance entre la langue de Stravinsky, que ses caractéristiques identifiables58 et son « écart par rapport au contexte » musical de l’entre-deux-guerres permettent de définir comme style, selon les critères qu’en a donné Robert Martin lors du colloque « Qu’est-ce que le style ? » en 199159, et la langue de Pergolèse, Monza, Gallo, Parisotti et Wassenaer que Le Degré zéro de l’écriture de Roland Barthes nous invite à envisager comme « écriture » en tant que ces auteurs « pratiquent un langage chargé d’une même intentionnalité, [qu’]ils se réfèrent à une même idée de la forme et du fond, [qu’]ils acceptent un même ordre de conventions, [qu’]ils sont le lieu des mêmes réflexes techniques, [qu’ils] emploient avec les mêmes gestes »60. Pour le dire autrement, la composition telle qu’on la pratiquait au XVIIIe siècle résidait dans la variation plus ou moins subtile et plus ou moins virtuose de conventions partagées ; tandis que la composition telle que la pratiquaient les avant-gardes à l’époque de Stravinsky résidait dans l’invention par chaque compositeur de ses règles, de sa langue, en bref de son « style ». De ce point de vue, Pulcinella serait non seulement une polyphonie de « langues » au sens large (polyphonie d’une « écriture » et d’un « style »), mais une polyphonie de modèles socio-esthétiques : celui que l’on commence au début du XXe siècle à renvoyer du côté de l’académisme et celui des avant-gardes. En laissant de côté les débats sur la corrélation entre emprunt stylistique et restauration sociale61 ou déchéance morale62 qui pouvaient faire sens dans les années 1950-1960 mais sans doute plus guère à l’époque postmoderne qui est la nôtre, ne pourrions-nous alors pas envisager Pulcinella comme une authentique œuvre d’avant-garde, non pas au sens où elle serait essentiellement ou ontologiquement d’avant-garde, mais au sens où elle reprendrait des principes et des valeurs de l’avant-garde des années 1920, en particulier cet attribut du « style » qui la « situe hors de l’art, c’est-à-dire hors du pacte qui lie l’écrivain à la société »63 ? Car si l’avant-garde peut se définir par sa propension à transgresser l’« écriture » commune par le « style » au sens de « solitude »64 que lui donne Roland Barthes, que fait Stravinsky sinon précisément confronter son « style » à l’« écriture » classique ? Que fait-il sinon transgresser de façon radicale, intégrale, absolue un système qui valait au XVIIIe siècle comme totalité, comme horizon indépassable, voire comme Nature ? À une époque où l’idée même de langue commune avait volé en éclats, le potentiel de subversion de Pulcinella semble bien supérieur à celui d’œuvres d’avant-garde contemporaines, dont le caractère de transgression était limité à l’un ou l’autre des segments d’un champ artistique divisé. Pour le dire autrement, Stravinsky n’a pu concrétiser cette utopie des avant-gardes qu’était la transgression absolue que parce qu’il est passé par le biais détourné de l’époque classique. Précisons par ailleurs que s’il n’y a pas, selon nous, de contradiction entre « solitude » avant-gardiste et intertextualité, c’est parce que l’avant-garde est par essence (et par omission) intertextuelle : composer contre « l’écriture », c’est composer avec elle en creux. Réduire l’autre au silence ne le rend pas absent. Ainsi, il ne nous semble pas absurde de repenser la place de Pulcinella dans le paysage divisé de l’entre-deux-guerres, dans le sens d’une interprétation radicalement opposée à celles de Leibowitz, Adorno, Stockhausen ou Boulez.

Une polyphonie d’époques et de temps émerge donc de cette texture musicale qui accumule et croise des techniques, des matériaux, des conventions, des « langues » distants de deux siècles. Ce que l’histoire donnait comme successif devient contemporain (au sens étymologique de présent dans le même temps) ou pour le dire comme Julia Kristeva, « la diachronie se transforme en synchronie »65, ce qui génère ces « écarts » non plus horizontaux mais verticaux d’où émergent les significations expressives : la transgression comprise comme telle mais aussi l’hétérodiégèse, l’anachronisme, l’invention hypertextuelle. La condition de possibilité de ces « écarts » et donc d’un dialogisme compris comme tel, c’est ce que Mikhaïl Bakhtine appelle l’« objectalité »66 des voix – ou leur univocité de sens –, garante de l’hétérogénéité des discours et des niveaux de discours. La confrontation permanente de ces deux strates que sont l’écriture hypotextuelle et l’écriture hypertextuelle déplace alors le centre de gravité de la signification de l’hypotexte à la frontière de l’hypotexte et de l’hypertexte, et conséquemment « relativise »67 la portée et la signification de chacun des systèmes68. C’est sans doute la raison pour laquelle certains ont pu penser que la stylistique du Sacre du printemps avait été évacuée dans Pulcinella, alors qu’elle n’était que « relativisée » par la coexistence (et la concurrence) d’une écriture autre. Nous avons en effet pu observer que les augmentations par extension continuaient à relever de l’écriture par blocs qu’Edward T. Cone avait définie comme caractéristique de la période dite russe69, que les superpositions de lignes hypo- et hypertextuelles dérivaient pour large part de l’écriture par étagement de strates, que les stases et les formes non-développantes que Richard Taruskin avait relevées dans Le Sacre du printemps70 étaient toujours présentes dans Pulcinella, tout comme les procédés de bitonalité non fonctionnelle ou d’hybridation locale d’échelles. Ainsi, si l’on considère que Pulcinella fonctionne moins par intégration, appropriation ou syncrétisme que par plurivocalité et dialogisme, la stylistique stravinskienne ne perd rien de sa singularité ou de sa puissance novatrice.

Il faudrait néanmoins nuancer cette définition de Pulcinella comme œuvre unilatéralement dialogique. Il n’est tout d’abord pas rare que certains hypertextes comme les fonds d’orchestre ou les doublures soient extrêmement discrets. D’autres, notamment des contre-chants ou des formules d’accompagnement, peuvent reprendre les codes d’écriture de l’hypotexte et n’être par conséquent plus perceptibles comme hypertextes. Enfin, les hypotextes et les hypertextes peuvent être entremêlés ou enchâssés au point que l’oreille ne puisse pas les distinguer. Le degré de visibilité de la construction dialogique est donc variable. Mais si, comme le rappelle Mikhaïl Bakhtine, les frontières entre les voix sont parfois « intentionnellement mouvantes et ambivalentes »71, elles sont la plupart du temps suffisamment nettes pour que les voix soient perçues comme des « strates » (terme indifféremment utilisé par Mikhaïl Bakhtine pour parler de la littérature et par Stravinsky pour parler de sa technique compositionnelle) séparées et non solidaires.

 

 

Orchestration et altération

 

Si les interventions sur les matériaux harmonique et mélodique faisaient de Pulcinella un tissu dialogique, les interventions sur l’orchestration sont de nature à altérer ou à évacuer l’hypotexte.

 

Utilisation non conventionnelle des instruments

 

Nomenclature atypique

La seule nomenclature de Stravinsky est anachronique pour un concerto grosso :

2 flûtes (/ 1 piccolo)

2 hautbois

2 bassons

2 cors en fa

1 trompette en ut

1 trombone

Concertino (1 premier violon, 1 second violon, 1 alto, 1 violoncelle, 1 contrebasse)

Ripieno (4 premiers violons, 4 seconds violons, 4 altos, 3 violoncelles, 3 contrebasses)

1 soprano

1 ténor

1 basse

Si cette nomenclature instrumentale reprend pour l’essentiel celle du concerto grosso – avec son quintette de cordes solistes –, elle n’en comporte pas moins plusieurs écarts. Un compositeur du XVIIIe siècle aurait tout d’abord utilisé un cor naturel, propre à renforcer les toniques et les dominantes, à jouer quelques notes bouchées dans les passages modulants mais impuissant à interpréter des solos comme celui que joue le cor chromatique en fa au début du Scherzino, solo qui requiert la complétude de la gamme, une justesse égale et une force égale des émissions sonores.

Si l’usage de la trompette dans les concerti grossi était assez rare, les Concerti grossi op. 3 de Francesco Barsanti prouvent que sa présence n’était pas non plus inenvisageable. La facture instrumentale du XVIIIe siècle n’aurait néanmoins pas permis qu’une trompette en ut (et a fortiori une trompette en ut chromatique) joue dans une pièce en mi majeur tel que l’Allegro de la Scène IV.

Le timbre du trombone était à l’époque de Pergolèse réservé à la musique religieuse ou aux passages infernaux du répertoire opératique. Son utilisation en doublure de la voix comme dans le « Con queste paroline » était impensable avant le « Tuba mirum » duRequiem de Mozart.

Le piccolo enfin, exceptionnel avant le dernier tiers du XVIIIe, cantonné après son apparition et pour plusieurs décennies aux musiques révolutionnaires, fait également figure d’anachronisme dans cette nomenclature instrumentale.

 

Anachronismes orchestraux

Dans cette perspective, la seule orchestration des hypotextes relève déjà de l’anachronisme, ce que confirme l’analyse de la Serenata. Si Pergolèse construit la totalité de l’accompagnement de l’air de l’opéra Il Flaminio « Mentre l’erbetta » sur le rythme noire – croche. Stravinsky en donne de nombreuses variantes aux violoncelles et aux violons (chiffres 1 à 3) :


	Pulcinella – Serenata

Pulcinella Serenata

aux cordes et flûtes (chiffres 3 à 4) :


	Pulcinella – Serenata

Pulcinella Serenata

aux violoncelles, altos et violons (chiffres 4 à 5) :


	Pulcinella – Serenata

Pulcinella Serenata

à la totalité des pupitres de cordes (chiffre 5) :


	Pulcinella – Serenata

Pulcinella Serenata

aux flûtes, cor 1, violoncelles et contrebasses (de trois mesures après le chiffre 5 jusqu’au chiffre 6) :


	Pulcinella – Serenata

PulcinellaSerenata

etc.

Nous observons successivement une première orchestration du rythme par le son percussif et mat du saltato « a punta d’arco » (« à la pointe de l’archet ») sur doubles cordes en harmoniques, rappelant le son lointain d’un tambourin médiéval (exemple 16) ; une seconde orchestration qui souligne l’attaque de la croche par les pizzicati en harmoniques et la résonance par la flûte dans l’aigu, le flautando des violons et la nuance pianississimo entourant la partie vocale d’un halo sonore à la fois diffus et doux (exemple 17) ; une troisième orchestration qui réattribue la noire aux cordes aiguës arco et la croche aux seuls alto et violoncelle solos en harmoniques, brisant l’équilibre sonore au profit de la noire pour donner plus d’allant au passage (exemple 18) ; une quatrième orchestration qui amplifie la précédente par la vibration que donne le trille à la noire et la brutalité que donnent à la croche les pizzicati sforzando en doubles et triples cordes du concertino et les staccato et staccatissimo du ripieno (exemple 19) ; une cinquième orchestration qui divise la noire entre les flûtes, les cors et le violoncelle solo en trilles et qui confie la croche aux contrebasses (exemple 20), etc.

Stravinsky réinvente donc en permanence le contexte orchestral dans lequel est entendu le thème de la Serenata, façon de renouveler par le timbre l’intérêt d’une canzona de facture assez simple. Par l’invention de modes de jeu (exemple 16) ou de combinaisons instrumentales faisant surgir des timbres inouïs (exemple 17), par des effets donnant à chaque son une vie interne que nous pourrions qualifier d’ « infra-rythmique » (exemple 20), par des jeux de déplacement ou d’inversion dans la hiérarchie des appuis rythmiques (exemple 19) et le réagencement permanent de la configuration timbrique, Stravinsky fait du timbre un paramètre du son à part entière – ce qu’il n’était pas à l’époque de Pergolèse. En prenant de façon littérale sa définition du timbre comme « base même de la matière sonore »72, nous pourrions même avancer que Stravinsky en fait – tout au moins dans Pulcinella – « le » paramètre premier du son.

Nous pourrions également conclure de cette analyse de la Serenata que Stravinsky invente le concept de variation rythmique par le timbre. Si nous nous référons à la définition initiale de la Klangfarbenmelodie comme variation d’une note unique par son timbre73, la variation timbrique telle que Stravinsky la met en œuvre dans la Serenata en est le strict équivalent pour le rythme. Cette orchestration de la Serenata, bien loin de se résumer à une recherche de combinaisons ou de couleurs, en divisant des sections que Pergolèse envisageait comme indivises, en dessinant des reprises ou des retours là où Pergolèse n’en avait pas placé, etc., crée par la seule « juxtaposition des timbres » ce que Stravinsky appelle « un dynamisme »74. Pour le dire autrement, elle surimprime une forme à l’hypotexte, composant un contrepoint de structures : l’une hypotextuelle de forme binaire à reprises, l’autre hypertextuelle de forme hybride, au croisement du « thème et variations » et de la forme lied. Les nombreuses incidences sur la forme de ce que nous avons appelé la variation rythmique par le timbre la rapprochent ainsi tout autant de la Klangfarbenmelodie – qu’elle rejoint par le travail du timbre – que du « thème et variations » – à laquelle le traitement formel l’apparente.

Dans les anachronismes orchestraux, certains d’entre eux procèdent de la défonctionnalisation des parties instrumentales. Ceux-ci sont nombreux et manifestes dès la première mesure de Pulcinella :


	Pulcinella – Ouverture

Pulcinella Ouverture

D’après les usages en vigueur au début du XVIIIe siècle et en admettant qu’il n’ait pas écrit cette pièce pour un effectif de sonate en trio mais de concerto grosso, il est probable que Domenico Gallo :

- aurait simplement porté la mention continuo sans distinguer les parties de contrebasses et de violoncelles ;
- n’aurait probablement pas recouru au procédé d’octaviation entre altos et violons 1, qui n’avait commencé à devenir courant que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ;

- n’aurait pas écrit la partie de violon 2 du ripieno en doubles et triples cordes (d’autant plus rares avant Mozart et Haydn que les esthétiques baroque et pré-classique exigeaient la fixité du nombre de voix – cadences exceptées) ;

- aurait composé des parties de cors pouvant être interprétées par des cors naturels ;

- aurait utilisé les parties de bassons en doublure de la basse d’archet du continuo et non à l’octave, dans une partie indépendante ;

- aurait écrit le hautbois colla parte avec le violon 1 et non en doublure allégée comme dans la tradition d’orchestration moderne.

D’emblée, Pulcinella introduit donc dans les hypotextes des pratiques d’orchestration qui leur sont totalement étrangères, la plus intéressante étant certainement la rupture de l’équivalence entre timbre et fonction qui prévalait au XVIIIe siècle.

Cette rupture est particulièrement tangible lorsque Stravinsky orchestre des passages dans le sens d’une hyperindividualisation des parties instrumentales comme dans l’Allegro de la Scène II ou au contraire dans le sens de leur hyperhomogénéisation comme dans le Tempo di minuetto75, dans le « Con queste paroline » (de la quatrième à la septième mesure du chiffre 92) :


	Pulcinella – « Con queste paroline »

Pulcinella« Con queste paroline »

ou encore dans le « Sento dire » de la Scène IV (chiffre 110).


	Pulcinella – « Sento dire »

Pulcinella« Sento dire »

 

Dans l’Allegro de la Scène II, les premières mesures de l’aria de Vanella extrait de Lo frate ‘nnamorato sont éclatées entre le duo cor/hautbois, le basson, le duo trompette/hautbois et le duo trompette/violon, tout allant dans le sens d’une segmentation extrême du timbre. Dans le « Con queste paroline » au contraire, ce sont des groupes (de bois et de cordes) qui deviennent solistes, indépendamment de la place qu’ils occupent dans le ripieno ou dans le concertino. De même dans le passage du « Sento dire » reproduit dans l’exemple 23 qui désingularise la partie de soprano en la doublant non seulement au ténor et à la basse mais à tous les pupitres de cordes (contrebasses exceptées). L’indifférenciation des parties est d’autant plus manifeste que Stravinsky indique en tête de chaque partie de cordes « e ben canto », unifiant toutes les parties dans un geste orchestral lyrique, uniformément vocal76.

Qu’elle aille dans le sens d’une hyperindividualisation ou d’une hyperhomogénéisation des parties, la défonctionnalisation des parties instrumentales permet à Stravinsky d’utiliser l’orchestre comme un ensemble à géométrie variable et de réattribuer en permanence les rôles de ripieniste et de soliste. Aussi la référence au concerto grosso est-elle maintenue mais perpétuellement remise en question par la défonctionnalisation des timbres, la remise en cause de leur hiérarchie et la mobilité perpétuelle de la répartition ripieno/concertino.

 

Effets d’accentuation

Dans un texte intitulé « Écriture et révolution », Philippe Sollers affirme :

 

Tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur.77

 

Il s’agit maintenant d’insister sur les effets d’ « accentuation » par l’orchestration d’éléments de l’hypotexte, qui peuvent toucher un motif, une carrure ou un caractère. Ce peut être le cas au niveau microscopique pour une note ou pour un motif, comme dans le Scherzino (quatre mesures après le chiffre 10). Dans cet exemple, la doublure du violon solo par les violons 1 du ripieno, le basson 1 et la flûte 1 met en relief la formule conclusive par le renforcement des aigus, sélection qui amène Stravinsky à modifier l’équilibre de la phrase au profit de sa conclusion.

Au niveau intermédiaire, l’orchestration de Stravinsky souligne les articulations des phrases ou des carrures, ce que mettent en évidence les variations timbriques de la Serenata (de l’exemple 16 à l’exemple 20) ou l’architecture orchestrale du « Con queste paroline ». Comme cet extrait de la version de Pergolèse le montre, les motifs segmentent fortement la structure :


	Pulcinella – Aria di Bastiano « Con queste paroline »

Pulcinella Aria di Bastiano « Con queste paroline »

 

L’orchestration de Stravinsky renforce chacune des césures par des pauses structurelles, des variations soudaines d’effectifs instrumentaux, des contrastes de volume orchestral, de dynamiques ou de modes de jeux.

Ainsi, l’unisson des cordes à la quatrième mesure de 92 (voir exemple 22) a un rôle d’autant plus structurel que l’orchestration l’isole du reste de la pièce. En admettant la thèse de Schoenberg selon laquelle la musique occidentale s’est construite sur les principes de complexification croissante de l’harmonie et d’intégration progressive d’harmoniques de plus en plus éloignées, thèse dont procède la définition de l’unisson comme appauvrissement non seulement de l’harmonie mais de l’édifice sonore tout entier78, nous devrions pouvoir déduire de l’unisson de cordes du « Con queste paroline » qu’il produit un affaissement de l’architecture hypotextuelle – affaissement d’autant plus important que la densité harmonique de la coda de l’Allegro assai et le principe de mélodie accompagnée sur mouvement motorique de l’introduction du « Con queste paroline » en font par contraste ressortir la simplicité harmonique. Seulement, Stravinsky compense le déficit d’harmoniques par un effet de convergence et de concentration d’énergies, et l’image frappante d’un chorus a cappella. Ainsi, le changement d’effectif et l’unisson non seulement accusent la césure structurelle, mais donnent une identité esthétique à l’hypotexte ainsi transformé.

Dans le même ordre d’idée, la soudaine fermeture de l’effectif sur les bassons et les cors (deux mesures avant le chiffre 94) souligne la fonction structurelle de la formule de clôture, lui donnant par ailleurs une ampleur et une majesté que la tradition orchestrale de ces instruments seule ne pouvait lui conférer. D’autre part, le cor ayant souvent une fonction d’« appel » au début du XVIIIe siècle, l’introduction de son timbre transforme naturellement cette formule conclusive en levée de la période suivante. Le timbre souligne donc, mais aussi déplace la structure.

Nous pourrions conclure de ces exemples que l’orchestration peut suggérer ou proposer d’autres lectures formelles ou esthétiques de passages choisis, lectures qui sont non exclusives, non exhaustives et non substituables à celles des hypotextes. La structure dialogique permet donc là encore de mettre en valeur l’autre ligne mélodique, l’autre combinaison orchestrale, l’autre choix dynamique, l’autre équilibre structurel ou formel par une complémentarité non pas de rythmes ou de hauteurs comme dans un contrepoint traditionnel, mais d’esthétiques musicales.

Après avoir constaté comment l’orchestration accusait, soulignait ou renforçait certains éléments hypotextuels comme le motif ou la structure, il nous reste à montrer qu’elle peut jouer un rôle comparable d’accentuation ou d’outrance du caractère. Toujours dans le « Con queste paroline », Stravinsky accentue par l’orchestration le caractère à la fois séducteur et roublard de Bastiano. L’entrée de la basse (chiffre 95) est ainsi accompagnée par la contrebasse, le trombone et les bassons, qui ponctuent pesamment le début de l’air par une pédale de tonique, interrompue par une dominante sans sensible lourdement accentuée sur temps faible dans la nuance forte. Le tempo à la blanche, la dynamique, l’inélégance de ce décrochage de la ligne et la lenteur d’émission de ce trio d’instruments à l’ambitus grave donnent à l’hypotexte une maladresse et une épaisseur qu’il n’avait pas dans Il Flaminio.

Cet exemple nous permet d’observer un double mouvement : un mouvement de l’hypotexte vers l’hypertexte et une rétroaction de l’hypertexte sur l’hypotexte. Le mouvement de l’hypotexte vers l’hypertexte réside dans l’orchestration – que la définition de « sélection des timbres à des fins expressives ou esthétiques déterminées »79 qu’en donne Christian Goubault nous permet d’envisager comme interprétation ; le second mouvement tient à la propension de l’interprétation à rétroagir sur l’hypotexte, à infléchir ou à orienter son sens80. C’est en vertu de ce second mouvement que l’orchestre semble « doubler » le personnage, le doter d’une démarche, d’un comportement, d’une psychologie. Le recouvrement des registres de la partie vocale et de l’accompagnement orchestral facilite l’effet de rétroaction, la facture grossière, l’inélégance et la gaucherie du second étant perçues comme des attributs de la première.

De la même façon à la fin du mot « paroline » (cinq mesures après le chiffre 95), les violoncelles et les contrebasses jouent à découvert, avec accents et dans la nuance fortissimo, ce qui devrait n’être qu’un conduit discret :


	Pulcinella – « Con queste paroline »

Pulcinella « Con queste paroline »

La « couture » mise en valeur par l’unisson dans les graves devient ainsi démonstrative et maladroite. Là encore, le manque de finesse de l’accompagnement orchestral ne reste pas circonscrit aux quatre croches : son sens se propage à l’ensemble du passage – le personnage de Bastiano compris – qu’il empreint de la massivité de l’unisson, de la pesanteur des graves, de la lourdeur des accents successifs. Il y a là un équivalent musical de ce que Julia Kristeva, à la suite de Mikhaïl Bakhtine, a appelé pour la littérature une « ambivalence »81. La critique littéraire suggère que « l’auteur [puisse] se servir du mot d’autrui pour y mettre un sens nouveau, tout en conservant le sens que le mot avait déjà. Il en résulte que le mot acquiert deux significations, qu’il devient ambivalent. »82 On pourrait objecter à cette transposition de concept d’un domaine artistique à l’autre que dans l’exemple 25, il s’agit davantage d’une adjonction de signification à une fonction (de conduit) plutôt qu’à une autre signification. La mise en série de conduits pourrait néanmoins révéler que les attributs de légèreté, de discrétion et d’élégance peuvent souvent leur être associés. Ainsi, il y a bien superposition d’une signification hypertextuelle à cette signification hypotextuelle dérivée d’une fonction et par conséquent une « ambivalence » provoquant ce conflit de significations propre à la parodie. L’effet de lourdeur est d’autant plus frappant que l’écart de l’écriture hypertextuelle avec les codes de l’écriture hypotextuelle est grand.

Au chiffre 96, l’hétérophonie de la voix et du trombone procure à l’auditeur le sentiment d’un retard de la partie vocale sur la partie de trombone83 :


	Pulcinella – « Con queste paroline »

Pulcinella « Con queste paroline »

Le décalage provoqué par l’hétérophonie, le legato exigé par le mélisme et le repos de la ligne sur la voyelle « i » donnent à la vocalise – et par ricochet au personnage de Bastiano – l’air poussif de ce qui est « à la peine », ce que l’articulation des bois souligne en creux à la mesure suivante. Le portamento a cappella sur une octave (à la levée de 97) achève le portrait du personnage : outrancièrement vulgaire, il ôte au personnage ce qui lui restait de crédibilité. Ainsi, loin d’être à la périphérie du sens, l’orchestration semble au contraire au service de sa définition la plus fine, la plus précise, la plus personnelle aussi, au sens où l’orchestrateur engage son interprétation de l’hypotexte.

 

 

Un second exemple d’outrance du caractère d’une pièce par l’orchestration nous est donné par le Più vivo (chiffres 20 à 23) :


	Pulcinella – Più vivo

Pulcinella Più vivo

Stravinsky accuse le caractère populaire de la canzona « Benedetto Maledetto » par le diatonisme de la mélodie et la référence au mode de fa, l’accompagnement en bourdon sur triple quinte à vide au violoncelle, à l’alto et au violon qui « cogne » avec la mélodie (fa bécarre du violoncelle contre fa dièse de la flûte mesure 4 par exemple) et les timbres réinventés de ces instruments populaires que sont le tambour (par les pizzicati « non arpégés avec 2 doigts ») et le fifre (par la registration du piccolo et du violon octava en harmoniques). Comme le montrerait également l’analyse de l’air « Chi disse ca la femmena » (chiffre 116), les bourdons de Pulcinella tirent les hypotextes du côté du populaire. En l’occurrence, la canzona « Benedetto Maledetto » était déjà fortement empreinte de cet esprit, que l’orchestration de Stravinsky n’a fait qu’amplifier.

 

Altération du caractère

L’orchestration peut enfin altérer le caractère, comme la transformation de la canzona légère « Suo caro e dolce amore » en chant d’église nous a permis de le mettre en évidence dans l’exemple 14. Deux exemples peuvent nous permettre d’aller plus avant, à commencer par l’introduction du Tempo di minuetto, reprenant l’air « Pupillette fiammette d’amor » de Lo frate ‘nnamorato de Pergolèse. De danse légère et gracieuse chez Pergolèse, l’introduction de l’air devient une marche lente, solennisée par le cor, la texture contrapuntique, le mode de jeu legato, l’orchestration de certains passages84 évoquant même les marches funèbres des années révolutionnaires (flûtes, hautbois, bassons, cors, trompettes en homophonie/homorythmie avec soutien discret du trombone sur la levée).

De la même façon, le Vivo de la Scène VII (chiffre 170) transforme complètement la Sinfonia pour violoncelle et continuo de Pergolèse. Stravinsky transpose la partie concertante de violoncelle, toute en détachés secs et nerveux, aux cuivres et contrebasse. Ces instruments à la vitesse d’émission beaucoup plus lente, à la précision dans les détachés beaucoup plus faible, déforment le Presto de la Sinfonia au point de le rendre grotesque. Les détachés incisifs du violoncelle deviennent au trombone des glissandi sff selon les cas comiques ou vulgaires (chiffre 170) :


	Pulcinella – Vivo

Pulcinella Vivo

Les croches en levée toutes de grâce et de légèreté au violoncelle deviennent à la contrebasse – du fait des accents et du temps de mise en vibration de la corde – pesantes et malaisées (chiffre 172) :


	Pulcinella – Vivo

Pulcinella Vivo

Les marches élégantes deviennent aux cuivres et aux bois (cors, trompette et trombone en double ou triple forte, marcatissimo au chiffre 171 ; flûtes, hautbois, bassons, cors, trompette et trombone « très fort en dehors » au chiffre 174 ; piccolo, flûte et trompette au chiffre 175) des fanfares populaires. Les seuls changements d’instruments et de modes de jeu permettent donc la stylisation comique non seulement du troisième mouvement de la Sinfonia de Pergolèse mais du style galant dans son entier, dont l’élégance et la légèreté, deux de ses traits caractéristiques, sont évincés au profit de leur « travestissement burlesque »85. Cette notion, définie par Gérard Genette comme la « [récriture] d’un texte noble, en conservant son « action », c’est-à-dire à la fois son contenu fondamental et son mouvement […] mais en lui imposant une tout autre élocution, c’est-à-dire un autre « style », au sens classique du terme, plus proche de ce que nous appelons depuis le Degré zéro de Roland Barthes une « écriture » »86, nous semble parfaitement correspondre à ces procédés par lesquels l’orchestration de Stravinsky détourne le sens de l’hypotexte vers le comique en travaillant sur les limites extrêmes du style galant. Ainsi, l’orchestration révèle le travail de lecture et de relecture (ce deuxième terme pouvant être compris comme re-lecture ou comme nouvelle interprétation) à l’œuvre dans Pulcinella.

 

Par l’orchestration, nous avons vu que Stravinsky désignait un motif, soulignait une carrure, outrait ou déformait un caractère. Ce faisant, il modifiait l’équilibre, altérait la structure, déplaçait l’écoute. Au terme de cette étude, il semble que l’orchestration seule altère la nature et la signification des hypotextes de façon radicale, profonde, presque subversive. Ceci s’explique par le fait que l’orchestration de l’hypertexte se substitue totalement à l’orchestration de l’hypotexte, la recouvrant – voire l’écrasant – jusqu’à la faire disparaître. Ainsi, la distance et l’écart que la structure dialogique de l’œuvre entretenait comme creuset de significations disparaissent avec l’univocité de l’écriture orchestrale. Autrement dit, la structure dialogique de l’orchestration n’est pas comme celle de la mélodie et de l’harmonie hyper- ou intratextuelle mais littéralement intertextuelle. Le dialogisme orchestral existe mais de façon invisible (ou moins visible dans les cas des inflexions ou des détournements parodiques du « Con queste paroline » ou du Vivo de la Scène VII), il vit au-delà de l’œuvre. Si le traitement formel relevait de l’écriture hypertextuelle et le traitement mélodico-harmonique de l’écriture hypertextuelle et dialogique, le traitement orchestral serait donc plutôt de l’ordre de ce que Joseph N. Straus appelle la « re-composition »87. En effet, en reprenant la théorie de Massimo Bruni88, nous observons que l’orchestration de Pulcinella affecte ces trois paramètres essentiels du son que sont la ligne89, le volume90 et la couleur, ce qui justifie selon le compositeur de faire relever l’orchestration de la composition à proprement parler.

 

 

Conclusion

 

Finalement, les espaces d’invention sont inégalement distribués selon les modalités suivantes : les basses harmoniques et les thèmes de Pergolèse, Wassenaer, Gallo, Parisotti et Monza sont globalement préservés ; les contre-chants, pédales, ostinati font l’objet d’une répartition entre les compositeurs du XVIIIe et Stravinsky ; la forme et l’orchestration sont investies par le seul Stravinsky. Ainsi, Pulcinella n’est pas une œuvre syncrétique au sens où elle aurait réalisé la fusion des systèmes de signes, au sens où deux énonciateurs n’auraient produit qu’un seul énoncé, au sens où Stravinsky aurait absorbé et « digéré » Pergolèse. C’est une œuvre duelle et dialogique, bien que les espaces de parole diffèrent selon les énonciateurs, bien que les rencontres n’aient pas toujours lieu dans les mêmes « plans », bien que les styles et les époques s’interpellent, se croisent et ou entrent en conflit depuis différents paramètres du son.

Nous pourrions conclure comme Mikhaïl Bakhtine qu’avec Pulcinella, Stravinsky se « [libère] d’un langage unique », la structure dialogique de l’œuvre lui permettant « de transférer ses intentions d’un système linguistique à un autre », « de parler pour soi dans le langage d’autrui, pour l’autre dans son langage à soi »91. Ainsi, Pulcinella serait la réalisation d’un rêve d’ubiquité stylistique, de dédoublement de soi, d’invention absolue.

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Notes

1 Barry S. Brook, « Stravinsky’s Pulcinella, The ‘‘Pergolesi’’ sources », in Musiques. Signes. Images. Liber amicorum, François Lesure (ed.), Genève, Minkoff, 1988, p. 41-66.

2 Stravinsky’s “Pulcinella”: A Facsimile of the Sources and Sketches, edited by Maureen A. Carr. Music in Facsimile (A-R Éditions), Middleton, WI: A-R Editions, 2010.

3 Nous n’avons pas pu nous procurer la totalité des pièces ayant servi de support à Stravinsky, certaines n’étant disponibles à la consultation que dans des bibliothèques spécialisées de Londres, Glasgow, Bâle, etc. Par ailleurs, à l’heure où nous avons réalisé notre étude, l’ouvrage Stravinsky’s “Pulcinella”: A Facsimile of the Sources and Sketches qui reproduit l’intégralité des manuscrits n’était accessible dans aucune bibliothèque de France.

4 Nous nous appuierons notamment sur les théories développées par Gérard Genette (Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982), Philippe Sollers (Philippe Sollers, « Niveaux sémantiques d’un texte moderne », Tel Quel (dir.), Théorie d’ensemble : choix, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 273-281), Julia Kristeva (Julia Kristeva, Sēmeiotikē : recherches pour une sémanalyse, Paris, Éditions du Seuil, 1978), Mikhaïl Bakhtine (Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, trad. du russe par Daria Olivier, [Paris], Gallimard, 1987), Roland Barthes (Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture ; suivi de Nouveaux essais critiques, Paris, Éditions du Seuil, 1972) et Antoine Compagnon (Antoine Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Éditions du Seuil, 1979).
On pourra reprocher à cette étude sa propension à transposer les concepts de la littérature à la musique en mettant en avant les différences et les spécificités des systèmes de signes et des signes linguistiques et musicaux. Nous objecterons à cette critique que la plupart des concepts que développent les formalistes russes (tels la « plurivocalité », la « polyphonie », le « contrepoint », le « trope » ou la « transposition ») et le champ lexical qu’ils mobilisent (utilisant de façon récurrente les termes d’ « orchestration », d’ « harmonie » ou de « dissonance ») viennent de la musique ; sans même parler du vocabulaire conceptuel que les domaines littéraire et musical partagent (comme les termes de « chant », de « strate », de « blocs » ou de « collage » le mettent en évidence). Ainsi, des outils qui ont montré leur utilité grâce ou malgré leur transposition du champ musical au champ littéraire devraient pouvoir montrer une égale utilité en étant re-transposés du champ littéraire au champ musical. Notre démarche consistant à utiliser (ou ré-utiliser) et adapter les outils de la critique littéraire à l’analyse musicale est donc totalement heuristique mais non sans légitimité historique.

5 Philippe Sollers, « Niveaux sémantiques d’un texte moderne », Tel Quel (dir.), Théorie d’ensemble : choix, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 279.

6 Notre étude ne pouvant prétendre à l’exhaustivité, nous avons fait le choix de ne pas traiter l’inscription historique de Pulcinella.

7 Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 8.

8 Idem, p. 11-12.

9 Idem, p. 12.

10 Idem, p. 263.

11 Nous reprenons ici les termes employés par Gérard Genette pour qualifier les différents procédés de réduction (Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, op. cit.).

12 André Boucourechliev, Igor Stravinsky, Paris, A. Fayard, 1982, p. 177.

13 Igor Stravinsky, Chroniques de ma vie : essai, Paris, Denoël, 2000, p. 102.

14 Barry S. Brook, « Stravinsky’s Pulcinella, The ‘‘Pergolesi’’ sources », op. cit., p. 63-64.

15 Philippe Sollers, « Niveaux sémantiques d’un texte moderne »,op. cit., p. 276.

16 André Boucourechliev, Igor Stravinsky, Paris, A. Fayard, 1982.

17 Pour le détail de l’argument : Robert Craft, « Analyse », Avec Stravinsky, Monaco, Éditions du Rocher, 1958, p. 121-122.

18 Igor Stravinsky, Poétique musicale sous forme de six leçons, Paris, Flammarion, 2011, p. 96-97.

19 Gérard Genette, Palimpsestes…, op. cit., p. 264.

20 Ibidem.

21 Ibidem.

22 Idem, p. 265.

23 Idem, p. 270.

24 Idem, p. 271.

25 Idem, p. 264.

26 Idem, p. 298.

27 Idem.

28 Michel Leiris, Biffures, Paris, Gallimard, 1948, p. 276.

29 Françoise Escal, Le Compositeur et ses modèles, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, p. 86.
Christian Goubault, Histoire de l’instrumentation et de l’orchestration, Paris, Minerve, 2009, p. 383.

30 Gérard Genette, Palimpsestes…, op. cit., p. 304.

31 Arnold Schoenberg, Fondements de la composition musicale, traduit de l’américain par Dennis Collins, Marseille, Media Musique, 2013.

32 Nous observons un procédé comparable des chiffres 20 à 23 du Più vivo.

33 Nous observons un procédé comparable au chiffre 92 de l’air « Con queste paroline », la reprise du thème par la trompette étant engagée avant la fin de sa présentation par le cor.

34 Antoine Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979, p. 32.

35 Philippe Sollers, « Niveaux sémantiques d’un texte moderne », op. cit., p. 280.

36 Christian Goubault, Igor Stravinsky, Paris, H. Champion, 1991, p. 209.

37 André Boucourechliev, Igor Stravinsky, op. cit., p. 179.

38 Ibidem.

39 Pour ne citer que quelques exemples significatifs : Ier degré avec 9ajoutée à la troisième mesure de l’Ouverture, Ier degré avec 4te ajoutée au chiffre 5 de la Serenata, Ier degré avec 4te et 6te ajoutées dans l’Allegro de la Scène I ou à la septième mesure de 51 dans l’Allegro de la Scène II.

40 Dans le Larghetto, à la cinquième mesure du chiffre 122.

41 Dans la Serenata : parties de flûtes au chiffre 6.

42 Dans la Serenata : parties d’altos et violoncelles à la quatrième mesure du chiffre 4.

43 Dans la Serenata : parties de flûtes au chiffre 5.

44 Dans la Tarentella : parties de violoncelles et contrebasses au chiffre 138.

45 Dans la cadence de l’Ouverture, à la deuxième mesure de V ou dans la cadence de la Serenata, au chiffre 3.

46 Dans l’introduction du « Sento dire », à la huitième mesure du chiffre 10 ou dans la péroraison finale du Tempo di minue.

47 Dans l’Andantino de la Scène I : quatrième mesure du chiffre 60 ou dans l’Allegro de la Scène I, à la troisième mesure du chiffre 57.

48 Dans « Chi disse ca la femmena », le si bémol du cor génère un mode de sol sur do dans le contexte plus large de fa majeur.

49 Dans l’Allegro de la Scène I ou dans la partie b de la première partie de la Gavotta.

50 Dans l’aria « Una te fallan zemprece » ou dans l’Allegro de la Scène V.

51 Dans l’Allegro assai au chiffre 86.

52 Au sens que Mikhaïl Bakthine donne à ce terme, soit une multiplicité de voix, de langues ou de discours internes à une œuvre, en situation de dialogue.

53 Il s’agit là encore d’une augmentation par expansion, à une échelle bien plus réduite.

54 Gérard Genette, Palimpsestes…, op. cit., p. 8.

55 Hélène Maurel-Indart, Du plagiat, éd. revue et augmentée, [Paris], Gallimard, impr. 2011, p. 297.

56 Pierre Boulez, Relevés d’apprenti, Paris, Seuil, 1966.

57 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, trad. du russe par Daria Olivier, [Paris], Gallimard, 1987.

58 Cette étude ne portant pas à proprement parler sur la stylistique stravinskienne, nous renvoyons à quelques ouvrages qui en recensent les traits saillants :
Boris De Schloezer, Igor Stravinsky, recueil d’articles publ. de 1922 à 1929 dans la Nouvelle revue française et la Revue musicale, édition établie et présentée par Christine Esclapez, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012 ;
Eric Walter White, Stravinsky, Paris, Flammarion, 1983 ;
The Cambridge Companion to Stravinsky, Jonathan Cross (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 2003.

59 Hélène Maurel-Indart, Du plagiat, op. cit., p. 381.

60 Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture ; suivi de Nouveaux essais critiques, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 15.

61 Karlheinz Stockhausen, « Musique fonctionnelle », Avec Stravinsky, Monaco, Éditions du Rocher, 1958 ;
Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, Paris, Gallimard, 1962.

Et plus près de nous :

Michel Faure, Du néoclassicisme musical dans la France du premier XXe siècle, Paris, Klincksieck, 1997, p. 305.

Makis Solomos, « Néoclassicisme et postmodernisme : deux antimodernismes », in Musurgia, vol. 5, no 3/4, Dossiers d’analyse (1998), p. 94.

62 René Leibowitz, « La musique : dialogue sur Strawinsky », in Esprit, no 70, juillet 1938, p. 587-589.

63 Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, op. cit., p. 13.

64 Idem, p. 12.

65 Julia Kristeva, Sēmeiotikē…, Paris, Éditions du Seuil, 1978, p. 83.

66 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit. , p. 142.

67Julia Kristeva, Sēmeiotikē…, op. cit., p. 94.

68 En effet, cette relativisation n’implique nullement la supériorité hiérarchique de l’hypertexte sur l’hypotexte : la prévalence de l’un sur l’autre est fluctuante, ce que révèle la partie de violon solo de l’Allegro de la Scène I, qui évolue de l’arrière-plan comme partie de l’accompagnement, au plan intermédiaire comme contre-chant ou au premier plan comme soliste.

69 Craig Ayrey, « Stravinsky in analysis: the anglophone traditions », in The Cambridge Companion to Stravinsky, Jonathan Cross (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 203-229.

70 Richard Taruskin, Stravinsky and the Russian Traditions, Oxford, Oxford University Press, 1996.

71 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 129.

72 Comoedia, Paris, 15 mai 1920.

73 Arnold Schoenberg, Traité d’harmonie, Marseille, Média Musique, 2008.

74 Comoedia, Paris, 15 mai 1920.

75 De canzona dans Lo frate ‘nnamorato de Pergolèse, « Pupillette fiammette d’amor » devient un trio vocal dans Pulcinella.

76 On observe une même propension à l’interchangeabilité et à la substituabilité des parties de voix (ténor) et d’instrument (basson) dans l’air « Chi disse ca la femmena » (chiffre 113 à 114).

77 Philippe Sollers, « Écriture et révolution », in Tel Quel (dir.), Théorie d’ensemble : choix, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 75.

78 Arnold Schoenberg, Fondements de la composition musicale, traduit de l’américain par Dennis Collins, Marseille, Media Musique, 2013.

79 Christian Goubault, Histoire de l’instrumentation et de l’orchestration, Paris, Minerve, 2009, p. 13.

80 Bernard Sève, L’Altération musicale, Paris, Seuil, 2002, p. 211.

81 Julia Kristeva, Sēmeiotikē…, op. cit., p. 93.

82 Ibidem.

83 Reproduction partielle.

84 En particulier le passage aux vents avant le chiffre 182.

85 Gérard Genette, Palimpsestes…, op. cit., p. 80.

86Idem, p. 80-81.

87 Joseph N. Straus, « Recompositions by Schoenberg, Stravinsky, and Webern », The Musical Quarterly, vol. 72, nº 3, 1986, p. 301.

88 Christian Goubault, Histoire de l’instrumentation et de l’orchestration, op. cit., p. 14.

89 La ligne de l’hypotexte est affectée lorsqu’elle est doublée ou fragmentée, comme nous avons pu le voir dans la Serenata.

90 Le volume de l’hypotexte est affecté par le travail sur le nombre et la distribution des instruments, comme nous avons pu le voir dans l’Ouverture.

91 Mikhaïl Bakhtine,Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 135.

Pour citer ce document

Guillemette Prévot, «Du littéraire au musical : transposition des méthodes d’analyse. L’exemple de Pulcinella d’Igor Stravinsky», La Revue du Conservatoire [En ligne], Création/Re-création, Le sixième numéro, La revue du Conservatoire, mis à jour le : 13/12/2017, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=1869.

Quelques mots à propos de :  Guillemette Prévot

Guillemette Prévot est diplômée des classes d’histoire de la musique et d’esthétique du Conservatoire de Paris (CNSMDP). Au-delà des rapports entre musique et littérature, elle s’intéresse aux rapports entre musique et politique, ses travaux de recherche ayant porté ou portant sur le concept d’avant-garde, le futurisme russe des années post-révolutionnaires, la revue Musique en jeu comme chronique musicale et sociale de l’après Mai 68, l’engagement syndical et les grèves de musiciens au tournant des XIXe et XXe siècles.