Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
n°7
Pierre Goy

L’art de la pédalisation : peut-on jouer d’après les Urtexte ?

Article
  • Résumé
  • Abstract

Le peu d’attention accordé par les étudiants aux signes de pédale indiqués dans la partition est étonnant. Lors de mes études, j’ai entendu à de nombreuses reprises dire que les signes de pédales n’étaient pas bien indiqués, ou que peut-être ils n’étaient réalisables que sur des instruments de l’époque. J’ai donc souhaité comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à ne pas prendre au sérieux les indications de pédale notées par les compositeurs, en dépit de leur présence dans de nombreuses éditions urtext.

Pour tenter de comprendre quelle était l’utilisation du registre qui lève les étouffoirs, je vous propose de faire une expérience sonore et d’examiner successivement :

- les instruments et leurs systèmes pour lever les étouffoirs,

- les méthodes,

- puis de voir quels sont les changements qui interviennent à partir de 1875.

Texte intégral

Conférence donnée par l'auteur le mardi 27 mars 2012 au Conservatoire de Paris, Salon Vinteuil, dans le cadre du séminaire doctoral organisé par la direction des études musicales et de la recherche du Conservatoire sur le thème "Les clés de l'interprétation aujourd'hui".

Introduction

 

Le peu d’attention accordé par les étudiants aux signes de pédale indiqués dans la partition est étonnant. Récemment, j’ai montré à un étudiant les indications de pédale qui se trouvent au début de la légende de Saint François de Paule marchant sur les flots de Liszt :


	Franz Liszt, Légende n° 2 : Saint François de Paule marchant sur les flots, Paris, Heugel.

Franz Liszt, Légende n° 2 : Saint François de Paule marchant sur les flots, Paris, Heugel.

En retour, je n’ai eu que doute et interrogation. Lors de mes études, j’ai entendu à de nombreuses reprises dire que les signes de pédales n’étaient pas bien indiqués, ou que peut-être ils n’étaient réalisables que sur des instruments de l’époque. J’ai donc souhaité comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à ne pas prendre au sérieux les indications de pédale notées par les compositeurs, en dépit de leur présence dans de nombreuses éditions urtext.

Pour tenter de comprendre quel était l’utilisation du registre qui lève les étouffoirs, je vous propose de faire une expérience sonore et d’examiner successivement :

- les instruments et leurs systèmes pour lever les étouffoirs,

- les méthodes,

- puis de voir quels sont les changements qui interviennent à partir de 1875.

 

Les instruments

 

On peut schématiser et dire que le pianoforte a eu deux ancêtres.

Le premier est le gravicembalo col piano e forte de Bartolomeo Cristofori. C’est un clavecin à marteaux qui permet de jouer piano et forte1. Chaque note est pourvue d’un étouffoir qui arrête les vibrations des cordes lorsque l’instrumentiste relève le doigt de la touche. Conçu comme un clavecin, il ne possède ni registre manuel ni pédale qui permettraient de lever tous les étouffoirs pour laisser toutes les cordes résonner.

Le second est le tympanon, notamment le tympanon géant inventé vers 1697 par Pantaleon Hebenstreit (1669-1750), musicien saxon qui fascina l’Europe entière avec son instrument dont les sons semblaient flotter dans les airs.

Vingt ans plus tard, on retrouve dans les instruments de Gottfried Silbermann les deux ancêtres réunis. Ces instruments2 peuvent se jouer avec ou sans étouffoirs, grâce à deux manettes, situées de chaque côté du clavier, que l’on peut actionner en quittant un instant le clavier et qui lèvent les étouffoirs, respectivement dans les aigus et dans les graves. On trouve encore le même système pour lever les étouffoirs dans les pianoforte de son neveu Jean-Henri Silbermann, trente ans plus tard.


	Pianoforte Jean-Henri Silbermann, vers 1776, collection privée.

Pianoforte Jean-Henri Silbermann, vers 1776, collection privée.

Dans la deuxième partie du Versuch über die wahre Art das Clavier zu spielen publié à Berlin en 1762, Carl Philipp Emanuel Bach parle des pianoforte et du jeu sans étouffoirs : « Le registre sans étouffoirs du pianoforte est le plus agréable et, si l’on sait user d’une nécessaire prudence à cause de la résonance, le plus charmant pour improviser. »3 (Bach, C. P. E., 1762, p. 327).

Dès le début, les pianoforte sont pourvus de registres qui permettent de laisser résonner tout ou partie des cordes, laissant ainsi le son flotter dans l’air à la manière d’un tympanon.


	Pianoforte Christian Baumann, Deux-Ponts, 1782, collection privée.

Pianoforte Christian Baumann, Deux-Ponts, 1782, collection privée.


	Pianoforte Christian Baumann, Deux-Ponts, 1782, registres.

Pianoforte Christian Baumann, Deux-Ponts, 1782, registres.

Pour illustrer musicalement le texte de C. P. E. Bach, je vous propose d’écouter le Prélude KV 284a de Mozart, joué sur un pianoforte carré de Christian Baumann (Deux-Ponts, 1782) avec tous les étouffoirs levés dans la première partie, qui ressemble à une improvisation, puis seulement avec les étouffoirs levés dans l’aigu dans la deuxième partie, d’un style plus strict4.

Ecouter : Mozart, Prélude KV 284a

Dès les débuts du pianoforte vont se côtoyer et se mêler les deux esthétiques issues, d’une part, du gravicembalo col piano e forte de Bartolomeo Cristofori et, d’autre part, du tympanon géant inventé vers 1697 par Pantaleon Hebenstreit ; d’un côté un jeu clair où la durée de chaque note est déterminée par le doigt du musicien, de l’autre un jeu où chaque note flotte dans l’air au milieu d’un halo sonore.

On voit sur les premiers pianoforte, par la disposition des manettes destinées à lever les étouffoirs, que le système fonctionne bien comme un registre, au même titre qu’un registre de clavecin ou d’orgue, c’est-à-dire un registre qui change la couleur.

Par la suite, les facteurs adapteront soit un système de genouillère ou de pédale qui permettra de lever les étouffoirs tout en jouant, sans avoir à lever les mains du clavier.

 

Les méthodes

 

Cinq méthodes vont nous donner plus d’informations sur la manière d’utiliser le registre qui lève les étouffoirs.

La première est de Philipp Jacob Milchmeyer (Francfort-sur-le-Main, 1749-Strasbourg, 1813), personnalité étonnante, qui se consacre à la fois à la facture instrumentale et à l’enseignement du pianoforte, ainsi qu’à la publication didactique de musique pour le pianoforte. En 1797, Milchmeyer publie à Dresde sa méthode intitulée : Die wahre Art das Pianoforte zu spielen. C’est l’une des toutes premières méthodes destinées uniquement au pianoforte. Elle s’adresse à tous ceux qui n’ont pas de professeur ainsi qu’aux maîtres de musique des petits villages. Dans sa méthode, Milchmeyer explique qu’il enseigne depuis vingt-quatre ans, dont dix-huit ans passés à Paris et à Lyon, et qu’il a enseigné également dans les pays germaniques, à Vienne, Dresde, Munich et Berne. Il explique l’utilisation du registre qui lève les étouffoirs.

« Il faut rappeler plusieurs points concernant les étouffoirs : ils peuvent créer les plus belles choses, mais aussi les plus abominables, selon qu’ils sont utilisés avec goût ou mal utilisés ; car dans ce dernier cas tous les sons se mélangent et donnent une sonorité à ce point insupportable que l’on voudrait se boucher les oreilles. Je veux donc essayer de montrer clairement l’utilisation de ce registre au moyen de plusieurs exemples.

Avec ce registre on peut tout d’abord imiter le son de petites cloches ; il faut jouer la main droite tout en haut du clavier et chaque note mezzo forte, pendant que la main gauche accompagne au milieu, avec un jeu lié et pianissimo. » (Milchmeyer, 1797, p. 59)5


	Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Allegrop. 59.

Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Allegrop. 59.

Le tempo allegro de cet exemple est possible car les notes de la main droite, jouées mezzo forte dans l’aigu de l’instrument, n’ont pas un volume très important et ne vont donc pas trop se mélanger. Milchmeyer prend soin d’indiquer pianissimo pour la main gauche, afin que les notes d’accompagnement jouées dans le milieu du clavier conservent leur clarté sans gêner le chant. Les indications de dynamiquesont données avec une grande précisionet correspondent parfaitement à la pratique des instruments de l’époque. À la quatrième mesure, Milchmeyer indique de laisser les étouffoirs redescendre sur les cordes, pour ne les relever qu’au début de la seconde partie. Il crée ainsi une césure, comme une virgule ou une ponctuation auditive. On voit que le registre des étouffoirs est utilisé pour laisser résonner les notes comme sur un tympanon, mais qu’il faut maîtriser parfaitement les plans sonores pour que les mélanges occasionnés, comme ici dans les harmonies de la main gauche, soient perçus comme une coloration de la musique et non comme une confusion désagréable.

Il passe ensuite en revue différents cas d’utilisation du registre des étouffoirs :

« Dans une pièce avec un tempo lent, si l’on joue la main droite pianissimo et de manière liée, que l’on joue un chant mezzo forte dans les basses, avec tous les étouffoirs levés et le volet d’expression fermé, on peut très bien imiter un duo de deux hommes qui seraient accompagnés par un instrument. » (Milchmeyer, 1797, p. 60)6


	Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Adagiop. 60.

Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Adagiop. 60.

Le tempo lent permet de faire chanter la mélodie dans les graves, sans que le mélange des harmonies de tonique et de dominante ne soit dérangeant. La main droite doit être jouée de manière liée, précise Milchmeyer. On trouve dans la méthode la description du jeu lié, qui correspond parfaitement à la situation de cet exemple :

« Tous ceux qui jouent du pianoforte devraient, pour tenir compte de l’instrument, choisir de jouer de manière liée, car les notes frappées et hachées ne conviennent pas du tout à l’instrument, il faut plutôt le flatter d’une manière douce. Cependant il y a toujours des exceptions : ainsi, par exemple, je n’aime pas cette manière liée de jouer dans les roulades, dans les chromatismes et autres divers chants de la basse, parce que la longue résonance des grosses cordes génère des sons dissonants. Mais des morceaux composés seulement des notes réelles de l’accord, fussent-elles consonantes ou dissonantes, seront exécutés de façon parfaite par cette manière de jouer. Elle rend le son du pianoforte doux et en quelque sorte velouté, et l’on peut ainsi rendre les sons aigus de l’instrument, qui ont tendance à une certaine dureté et sécheresse, plus doux et amollis. » (Milchmeyer, 1797, p. 6)7


	Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Andantep. 61.

Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Andantep. 61.

Milchmeyer continue :

« Lorsqu’on joue la main droite mezzo forte, sans étouffoirs et avec le volet fermé, on peut soutenir une note qui doit résonner longtemps soit par une attaque rapide, soit par la vibration du marteau contre les cordes. On peut ainsi imiter une voix féminine, mais il faut pour cela que la main gauche joue la basse mezzo forte et l’accompagnement pianissimo. À chaque changement [d’harmonie], afin d’éviter le désagrément qui se forme par de nombreuses résonances des sons, il faut ainsi étouffer la dernière note de l’accord et jouer aussitôt la première note de l’accord suivant sans étouffoirs. » (Milchmeyer, 1797, p. 61)8

Milchmeyer note avec grande précision les différents plans sonores de l’accompagnement. La réalisation des notes répétées n’est véritablement possible que sur une mécanique à simple ou double pilote. La remarque sur la nécessité de changer la pédale, lorsque le mélange des sons n’est pas bon, est très intéressante. En effet, l’exemple donné ne comporte aucun signe de changement de pédale. En le jouant j’ai remarqué que le mélange des harmonies de fa majeur et de do majeur avec septième ne choque pas du tout si l’on respecte bien les indications dynamiques données. Le mélange d’harmonies n’est donc pas considéré comme dissonant. Ce sont, comme Milchmeyer l’indiquait plus haut dans sa description du toucher lié, les notes conjointes, les chromatismes dans les basses, qui sont considérés comme véritablement dissonants.

Il est très intéressant de noter que Milchmeyer précise la manière d’utiliser le registre des étouffoirs, pratique qui ne correspond pas à la nôtre aujourd’hui. En effet, il dit qu’il faut étouffer la dernière note de l’accord pour pourvoir jouer la première note de l’accord suivant sans étouffoirs. Cette pratique diffère de la pratique moderne, que l’on nomme pédale syncopée ; les étouffoirs sont baissés au moment où la première note de la nouvelle harmonie est jouée puis ils sont immédiatement relevés pour laisser à nouveau les cordes vibrer. La pratique décrite par Milchmeyer sera encore utilisée tout au long du XIXe siècle.


	Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Allegrop. 62.

Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Allegrop. 62.

Milchmeyer cite d’autres cas de figure :

« On peut très bien réaliser un decrescendo qui imite par exemple le coucher du soleil. On commence le trait fortissimo avec le volet ouvert et sans étouffoirs ; lorsqu’on a atteint le piano on laisse peu à peu le volet descendre et on termine pianissimo avec les étouffoirs. » (Milchmeyer, 1797, p. 61)9

Le registre des étouffoirs participe donc également à la réalisation des dynamiques ou nuances.


	Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Adagiop. 63.

Philipp Jacob Milchmeyer, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Adagiop. 63.

« L’harmonica10 peut très bien être imité sans étouffoirs ; il faut seulement le traiter conformément à son véritable caractère, comme pour chaque instrument que l’on veut imiter. En général l’harmonica requiert des pièces de caractère très expressif, un tempo lent, et de longues notes tenues et chantantes. Mais pour réussir à créer sur le pianoforte un chant soutenu, il n’y a pas d’autre moyen que d’attaquer la note avec une certaine vitesse, ou de faire vibrer rapidement le marteau contre les cordes, comme je l’ai rappelé précédemment. Toutes les notes du chant et de l’accompagnement doivent faire partie du même accord. Si l’on change d’accord, les sons du précédent accord doivent, si l’expression le permet, disparaître peu à peu ou être étouffés, et les sons du nouvel accord doivent être joués tout de suite sans étouffoirs, car, sans cette précaution, la résonance des notes jouées précédemment créerait avec les nouvelles un mélange abominable. » (Milchmeyer, 1797, p. 62)11

Milchmeyer note à nouveau avec soin les différents plans sonores : les basses forte et le reste piano. Cet exemple ne pose aucun problème de confusion sonore. En effet, si l’on prend soin de respecter les dynamiques notées, les sons s’éteignent progressivement et il n’est pas nécessaire d’abaisser les étouffoirs – ce qui risquerait d’ailleurs de rompre le charme. Milchmeyer précise bien que ce sont les traits ou les passages chromatiques qui engendreraient des mélanges abominables. On voit donc peu à peu se dessiner assez clairement quels sont les mélanges sonores possibles ou non.

 

La deuxième méthode de notre étude est celle de Jean-Louis Adam (1758-1848). Né à Muttersholtz (près de Sélestat, Bas-Rhin), il se rend à Paris en 1775. Il est nommé professeur au Conservatoire de Paris en 1797, et ne prendra sa retraite qu’en 1848. Parmi ses nombreux élèves figurent F. Kalkbrenner, F. Chaulieu, Henri Lemoine, Mlles Beeck, Basse et Renaud d’Allen, Herold, Callias, Rougeot, Bréval fils, entre autres.

Fraîchement créé, le Conservatoire décide de publier des méthodes pour chaque instrument. Les premières motivations à la rédaction de cette collection de méthodes sont d’abord d’ordre politique. L’État souhaite en effet former ses propres musiciens et mettre un terme à la dépendance musicale de la France vis-à-vis des monarchies, et en particulier celles d’Allemagne et d’Italie. Chaque méthode est censée représenter ce qui se fait de mieux pour chaque discipline. Cela explique la cosignature d’un comité d’enseignants, car confier l’enseignement à un unique professeur serait en limiter la portée. Adam est ainsi désigné pour rédiger la méthode pour le pianoforte. Il va expliquer l’utilisation des pédales dans le chapitre dix, intitulé « De la manière de se servir des pédales » :

« Beaucoup de personnes croyent que la grande pédale [qui sert à lever les étouffoirs] ne doit s’employer que pour exprimer le forte, mais elles se trompent ; cette pédale qui laisse vibrer les sons indistinctement ne produira qu’une confusion de sons désagréable à l’oreille, nous allons donc indiquer la manière de s’en servir.

La grande pédale ne doit être employée que dans les accords consonants, dont le chant est très lent, et qui ne changent point d’harmonie ; si ces accords sont suivis d’un autre qui n’a plus de rapport ou qui change l’harmonie, il faudra étouffer le précédent accord et remettre la pédale sur l’accord suivant, en ayant toujours soin de la lever avant chaque accord dont l’harmonie ne sera pas la même que dans le précédent. » (Adam, 1805, p. 218-219)

On retrouve ici les mêmes prescriptions que chez Milchmeyer. On voit, dans les exemples qui accompagnent cette explication, que le fait de mélanger certains accords, en général les premier, quatrième et cinquième degrés d’une gamme, n’est pas considéré comme une véritable modulation, et donc que l’on peut les garder dans la même pédale. Notons au passage que la pédale se met sur le temps, simultanément à l’apparition de la nouvelle harmonie, comme le décrit également Milchmeyer.

« En général on ne doit jamais se servir de cette pédale pour exprimer le forte que [sic] dans les mouvemens lents, et quand il faudra soutenir pendant plusieurs mesures la même basse ou la même note de chant sans interruption ou changement de modulation. On sent aisément, que si l’on appliquoit la pédale à un chant d’un mouvement vif ou mêlé de gammes, les sons se confondroient de manière qu’on ne pourroit plus distinguer le chant. Rien ne produit un plus mauvais effet, que lorsqu’on exécute avec cette pédale des gammes chromatiques dans un mouvement vif, ou des gammes par tierces. C’est cependant la grande ressource des talents médiocres. » (Adam, 1805, p. 219)

On constate que les deux méthodes donnent les mêmes indications.

Une preuve de bien mauvais goût est de se servir de cette pédale pour tous les passages indistinctement ; car si l’on est sûr de produire de beaux effets en l’employant à propos, autant on peut être certain de déplaire et de fatiguer en l’employant à contresens. » (Adam, 1805, p. 219)

Cette remarque est particulièrement intéressante. L’usage continu de la pédale annule les contrastes ! Peut-être devrait-on se rappeler cette règle un peu plus aujourd’hui…

« Cette pédale est beaucoup plus agréable quand on s’en sert pour exprimer le doux, mais il faut avoir soin d’attaquer les touches avec beaucoup de délicatesse et d’une manière plus douce encore que lorsqu’on joue sans pédale. Le son de l’instrument est naturellement plus fort quand les étouffoirs sont levés, et une seule touche fait vibrer toutes les autres en même temps, si on appuie avec trop de force, ce qui n’arrive point lorsqu’on attaque la touche avec douceur.

Il ne faut se servir de cette pédale et de cette manière de jouer doux que pour les chants purs, harmonieux, dont les sons peuvent se soutenir longtems, comme par exemple dans les pastorales et musettes, les airs tendres et mélancoliques, les romances; les morceaux religieux, et en général dans tous les passages expressifs dont les chants sont très lents et ne changent que très rarement de modulation. » (Adam, 1805, p. 219)

Comme chez Milchmeyer, l’utilisation de la pédale des étouffoirs est liée au caractère de la musique, aux affects. Adam place ensuite deux pièces comme exemples d’utilisation des registres. La première est un Adagio, Air suisse nommé le rans des vaches imitant les échos. Adam montre l’utilisation combinée de la pédale qui lève les étouffoirs et celle du jeu céleste (languettes de cuir ou de tissu qui s’interposent entre les marteaux et les cordes, appelé aujourd’hui moderator) dans un tremendo imitant les sons filés des cors des alpes, avec les échos successifs dans les montagnes. Dans le premier couplet Andante, les harmonies de tonique et de dominante se mélangent, sans qu’Adam indique de changement de pédale.

L’autre exemple est une Pastorale d’Adam. Le mouvement est Andantino, avec comme indications supplémentaires, legato et grazioso. La première phrase se joue sans étouffoirs et avec le jeu céleste. Comme dans les exemples des deux précédentes méthodes, il faut baisser les étouffoirs pour ponctuer le discours, comme pour mieux faire entendre les virgules et les points.


	Jean-Louis Adam, Méthode, p. 224, 1er et 2e systèmes.

Jean-Louis Adam, Méthode, p. 224, 1er et 2e systèmes.

Un verset entier en la mineur doit être joué sans pédale, créant ainsi un grand contraste avec le refrain et les longs passages avec pédale.

En résumé, on voit que le registre qui lève les étouffoirs est utilisé avec grande parcimonie, les harmonies étant le plus souvent tenues avec les doigts. Son utilisation est liée au caractère de la pièce, et l’on ne craint pas de mélanger parfois les degrés harmoniques I, IV et V, créant des effets de couleur parfois assez audacieux.

 

La Méthode complète théorique et pratique pour le pianoforte de Johann Nepomuk Hummel nous apporte encore un éclairage complémentaire, plus tardif : publiée en allemand en 1827, elle paraît à Paris traduite en français, en 1838.

« Sur l’emploi des pédales

§ 1 L’usage de lever les étouffoirs presque continuellement est devenu assez général : c’est un excellent moyen de cacher un jeu défectueux, et souvent on aurait de la peine à reconnaître certains exécutans [sic], si on les entendait sans le secours des pédales.

§ 2 Quoique le véritable artiste n’ait pas besoin d’aucune pédale pour toucher ses auditeurs, il serait injuste de les rejeter entièrement ; car celle qui lève les étouffoirs et celle du jeu céleste se prêtent quelquefois avec avantage pour varier les effets ; mais elles s’employent principalement dans les mouvements lents, et dans les endroits où les accords ne changent pas trop vite. Les autres pédales sont superflues, et n’ont de valeur ni pour l’exécutant, ni pour l’instrument.

§ 3 L’élève n’emploiera donc pas la pédale avant de savoir jouer son morceau avec pureté et précision. En général, on fera bien de ne s’en servir qu’avec ménagement ; car il est faux de croire qu’un passage bien exécuté, sans la pédale, et dans lequel on distingue chaque note, ait moins de charme pour l’auditeur qu’avec la pédale, qui laisse entendre le bourdonnement d’une foule de sons.

Les oreilles peu délicates peuvent seules supporter un tel abus ; les hommes de goût seront assurément de mon avis. Ni Mozart, ni Clementi n’ont eu recours à ces moyens pour acquérir le titre glorieux de premiers pianistes de leur temps.

Voici quelques cas où ces deux pédales s’employent convenablement. » (Hummel, 1838, p. 460-461)


	Johann Nepomuk Hummel, Méthode complète théorique et pratique pour le pianoforte, p. 460.

Johann Nepomuk Hummel, Méthode complète théorique et pratique pour le pianoforte, p. 460.


	Johann Nepomuk Hummel, Méthode complète théorique et pratique pour le pianoforte, p. 461.

Johann Nepomuk Hummel, Méthode complète théorique et pratique pour le pianoforte, p. 461.

Élèvede Mozart, Hummel constate un emploi de plus en plus continu de la pédale.

 

À ce propos, il est très intéressant de relater le témoignage de Conrad Berg (Colmar, 1785-Strasbourg, 1852), professeur de piano à Strasbourg, compositeur et pianiste. Il publie chez Richault à Paris une Méthode progressive de piano accompagnée d’un Manuel à l’usage du Maître pour la Méthode progressive de piano. Dans ce manuel, Conrad Berg nous livre un témoignage empreint de sincérité et particulièrement révélateur :

« Chapitre IX – De l’emploi de la pédale

Le Piano par sa nature est un instrument sec, incapable de filer un son ; il ne se prête que difficilement à rendre un chant. Tous nos grands artistes ont senti ce défaut ; ils ont cherché par tous les moyens possibles, sinon à le faire disparaître, du moins à le cacher et à imiter ce charme dont la voix et certains instruments à vent ou à archet ont seuls le privilège.

Il existe pour cela deux moyens. 1º La manière de lier les sons par le toucher. 2º L’emploi de la Pédale. Le dernier moyen est celui qui semble approcher le plus près du but désiré. Toutefois son emploi présente de graves inconvénients : d’abord il fait perdre au Piano une partie de son caractère distinctif, parce qu’il lui ôte la clarté ; ensuite il entraîne à des aberrations dans l’expression, dans le sentiment musical ; ces aberrations se manifestent surtout dans la mauvaise direction que l’emploi de la pédale imprime aux productions de nos jours ; enfin cet emploi fait perdre aux élèves le sentiment de la netteté si indispensable pour acquérir un jeu égal et correct.

Le degré de perfection atteint de nos jours dans la confection des Pianos a tellement développé l’usage des pédales qu’il semble parfois que les auteurs ne trouvent plus d’idées sans leur emploi et que toutes celles qu’ils inventent ne sauraient se passer de leur secours.

Pour s’en convaincre on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur les productions modernes. Mais quelque peine que se donnent les bons auteurs pour réprimer l’abus dans l’emploi des pédales et pour en renfermer l’usage dans les limites d’une harmonie correcte, cet abus n’en existe pas moins. La pédale est un moyen de produire de l’effet ; chaque compositeur cherche à en produire le plus possible, et à force d’enchérir sur les effets, on finit par n’en produire aucun.

Je suis loin de proscrire tout à fait l’emploi des pédales, je désire seulement le voir ramené à son véritable but, qui doit être : 1º De faire vibrer dans les passages lents une harmonie large, comme par exemple les basses dans une pièce pastorale. 2º D’établir une progression de force, dans des passages où l’harmonie s’y prête et où le dessin mélodique n’en souffre pas. 3º De produire surtout de ces évaporations harmoniques, si je puis m’exprimer ainsi, dans les phrases finales très lentes, ou dans des retours à un thême, ou dans sa préparation. C’est surtout dans ces dernières combinaisons, si elles sont sagement amenées, que l’imagination de l’auteur trouvera un vaste champ pour ses inspirations poétiques. Mais, je le répète, tous ces effets doivent être ménagés avec une grand réserve et avec un discernement complet.

Que l’on ne croie point que je sois le seul à formuler ces principes. Ce sont aussi ceux d’une des plus grandes autorités de notre siècle, du célèbre J. N. Hummel. C’est à la suite d’un entretien que j’ai eu à ce sujet à Vienne avec cet artiste distingué que mes propres vues se sont développées sur ce point.

Je partageais alors les travers du siècle, et il ne m’a pas fallu moins de quatre ans pour me convaincre de mon erreur et de la justesse des vues de Hummel.

Après avoir fait mes études musicales à Paris, où je n’avais eu à ma disposition qu’un assez mauvais Piano à cinq octaves, j’eus l’occasion à mon passage à Stuttgart de jouer devant Madame Zumsteeg, veuve du célèbre compositeur de ce nom. Tout en me faisant compliment sur mon jeu, elle ajouta : « Pourquoi ne faites-vous pas usage des pédales ? Cela rendrait votre jeu bien plus intéressant. »

Ce mot intéressant me frappa. Je cherchai dès lors à rendre mon jeu intéressant, par le secours des pédales. Je reconnus que mes compositions jusqu’alors ne renfermaient que peu ou point d’effets de ce genre. Je me mis à créer de ces effets dans mes nouvelles compositions et cette manie de prodiguer la pédale augmenta au point que dans une de mes sonates intitulée : Sonate pathétique, la pédale se trouva employée sans discontinuation pendant trois pages consécutives. Je me trouvais malheureux quand j’étais obligé de jouer sur un Piano dont les pédales n’étaient pas en bon état.

C’est alors qu’arrivé à Vienne, Hummel me parla de ma Sonate pathétique et me reprocha ma profusion dans l’emploi des pédales. Il me fit part de ses vues à ce sujet et me communiqua les idées que je viens de reproduire.

Je l’écoutais avec déférence et pourtant il m’était impossible de me rendre à ses raisons. Je ne voyais alors en Hummel qu’un homme à vues rétrogrades et je me promis, en moi-même, non seulement de persister dans mon systême de pédales, mais de le développer encore s’il était possible.

De retour à Strasbourg, il arriva tout naturellement que les élèves qui se fesaient [sic] entendre à mes exercices de musique, jouaient des pièces tantôt avec pédales tantôt sans pédales suivant le genre de composition qu’ils exécutaient.

J’eus bientôt lieu de m’apercevoir que ceux qui jouaient des morceaux sans pédales produisaient souvent plus d’effet et fesaient plus de plaisir que ceux qui jouaient des morceaux où elles étaient employées. Cette observation me frappait surtout, quand les premiers jouaient après les autres.

Je compris peu à peu que sans pédales, le jeu gagnait beaucoup en netteté, tandis qu’il perdait avec les pédales et plus encore lorsqu’elles étaient employées par des personnes timides ou peu musiciennes. Je finis alors par reconnaître la vérité des principes de Hummel, mais comme je l’ai dit plus haut, il ne m’a pas fallu moins de quatre ans pour me convaincre tout à fait. » (Berg, après 1850, p. 57-59)

 

La cinquième méthode est celle de Carl Czerny (Vienne, 1791-Vienne, 1857). Les trois premières parties de la Vollständige theoretisch-practische Pianoforte-Schule op. 500 sont publiées en 1839 et la quatrième partie, Die Kunst des Vortrags der älteren und neueren Klavierkompositionen, en 1842. Élève de Beethoven, pianiste, compositeur et grand pédagogue (il fut notamment professeur de Liszt), Czerny dresse un état de l’art pianistique comme l’avaient fait avant lui C. P. E. Bach ou D. G. Türk. Sa méthode analyse de manière très claire tous les paramètres du jeu de piano, depuis les rudiments de base jusqu’à la maîtrise la plus complète de l’exécution. Czerny explique l’utilisation des pédales du pianoforte dans la troisième partie de sa méthode, intitulée Vom Vortrage. On y retrouve les indications déjà vues dans les méthodes précédentes. La pédale qui lève les étouffoirs (appelée aussi pédale forte) permet de tenir une basse pendant que la main gauche joue les accords de l’accompagnement et la main droite la mélodie, créant ainsi trois plans sonores distincts.


	Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 43.

Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 43.

Czerny explique la manière d’utiliser la pédale : 

« Pour obtenir cet effet, celui qui joue doit baisser la pédale exactement avec l’octave ; car s’il le fait un instant plus tard la pédale ne crée plus le même effet et l’octave sonne courte et sèche. Comme cette octave doit résonner durant toute la mesure il ne faut pas relever la pédale plus tard que la dernière croche pour pouvoir l’abaisser à nouveau avec l’octave suivante. » (Czerny, 1839, p. 43)12

Cette indication d’utilisation de la pédale qui correspond à celles trouvées dans les méthodes précédentes est particulièrement intéressante car elle ne correspond pas à la manière moderne de mettre la pédale. En suivant les indications de Czerny et de ces prédécesseurs, on crée une petite césure sonore dans l’accompagnement entre chaque harmonie. La manière actuelle d’utiliser la pédale que l’on nomme pédale syncopée consiste à relever la pédale exactement au moment où l’on joue l’octave suivante et à l’abaisser très rapidement à nouveau pour garder la basse dans la pédale toute la mesure. De cette manière on crée une continuité sonore et l’on supprime la petite césure qui survient entre chaque harmonie, selon les indications de Czerny. Czerny fait encore observer que l’on ne change pas la pédale entre les mesures quatre et cinq car l’harmonie ne change pas. Il en déduit la règle qu’« il faut garder la pédale tant qu’un passage est basé sur le même accord. » (Czerny, 1839, p. 44)13


	Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 44.

Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 44.

Il donne ensuite deux exemples pour montrer une utilisation fautive de la pédale. Il explique que la pédale ne peut pas être utilisée dans des changements rapides d’accords ou dans des passages en gammes, particulièrement dans le grave de l’instrument.


	Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 44.

Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 44.

L’exemple qui suit est particulièrement intéressant. Czerny explique que l’on peut cependant utiliser la pédale quand il y a des passages en gammes à la main droite, parce que la main droite se trouve dans l’aigu de l’instrument et que la main gauche a un accompagnement fondé sur des harmonies avec une basse qui doit résonner pendant la mesure. Czerny appelle ce genre d’accompagnement « eine harmoniöse Begleitung ». Il fait remarquer ensuite :

« On voit qu’il faut changer la pédale à chaque nouvel accord comme dans la mesure six. Cependant, à la mesure sept, la pédale reste pendant deux accords parce que, d’une part, la basse mi résonne et que, d’autre part, le passage est pianissimo et que la dissonance ne se remarque pas. » (Czerny, 1839, p. 45)14

On voit que le mélange d’harmonies peut être toléré sans être considéré comme dissonant, dans certains cas.


	Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 45.

Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 45.

« Lorsqu’une note de basse est jouée très énergiquement, et lorsque la suite est jouée dans l’aigu de l’instrument et piano, il peut y avoir plusieurs changements d’harmonie dans la même pédale parce que la note grave sert de basse à tout le passage. » (Czerny, 1839, p. 45)15


	Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 45.

Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 45.

« Dans les passages qu’il faut jouer avec une douceur particulière, on peut tenir la pédale pendant plusieurs accords dissonants. Cela fait l’effet du son doux et flottant de la harpe éolienne ou celui d’une musique que l’on entend de très loin. » (Czerny, 1839, p. 45)16

Les trois derniers exemples montrent que l’on accepte certains mélanges harmoniques pour créer des couleurs particulières. On ne considère alors pas ces effets comme dissonants. On continue à être fasciné par les sons doux, flottant dans l’air, qui rappellent le tympanon ou la harpe éolienne.


	Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 47.

Carl Czerny, Méthode, 3e partie, p. 47.

« Une fin dans un caractère très doux avec des accords qui ne changent pas doit être jouée avec pédale. » (Czerny, 1839, p. 46)17

« À la fin on tiendra la pédale aussi longtemps que le dernier accord demeure clairement perceptible. » (Czerny, 1839, p. 47)18

 

Czerny résume la situation ainsi :

« Il y a des compositeurs dont les œuvres ne nécessitent pratiquement jamais l’utilisation de la pédale, et d’autres au contraire pour lesquelles elle est continuellement nécessaire.

Mozart, Clementi et leurs contemporains, ne pouvaient pas en faire usage, car elle n’avait pas été inventée.

Ce n’est qu’au début de ce siècle que Beethoven, Dussek, Steibelt, etc. en ont développé l’usage, tout comme Clementi qui l’a utilisée, plus tard, beaucoup plus souvent.

Beethoven a compté sur son utilisation dans plusieurs œuvres pour clavier, comme par exemple dans le finale de la Sonate en ut majeur op. 53 qui ne ferait aucun effet sans pédale.

Presque tous les nouveaux compositeurs l’utilisent très fréquemment, comme Ries, Kalkbrenner, Field, Herz, Liszt, Thalberg, Moscheles (dans ses œuvres plus récentes), etc., et il va de soi que celui qui joue doit mettre la pédale partout où il en trouve l’indication.

Il doit seulement faire attention lorsqu’il y a des changements d’accords si par hasard le graveur a noté une indication un peu trop longue pour mettre la pédale.

Dans les œuvres de Hunmmel, on n’en trouve presque pas l’indication, et l’on peut aussi la plupart du temps s’en passer.

Ainsi il n’est pas conseillé de l’utiliser souvent dans les œuvres pour clavier plus anciennes, comme par exemple de Mozart, Emmanuel Bach, ou dans les sonates plus anciennes de Clementi ; car l’emploi de la pédale dépend beaucoup du genre de composition qui, comme nous le verrons plus tard, peut être très varié.

Il faut encore signaler que Beethoven dans ses premières œuvres indiquait de mettre la pédale par senza sordino. Dans les cas où il indique con sordino il faut l’enlever. » (Czerny, 1839, p. 47)19

 

Dans la quatrième partie de la méthode, op. 500, intitulée Die Kunst des Vortrags der älteren und neueren Klavierkompositionen et publiée trois ans après les trois premiers volumes, Czerny passe en revue les caractéristiques des principales écoles pianistiques. Les deuxième et troisième chapitres sont consacrés à l’exécution des œuvres avec pianoforte de Beethoven. On y trouve encore quelques remarques importantes sur l’utilisation de la pédale. À propos de Beethoven, Czerny écrit : « Beethoven utilisait très fréquemment la pédale, bien plus que ce que l’on trouve indiqué dans ses œuvres. » (Czerny, 1842, p. 2)20 Nous avons vu avec les exemples tirés de la méthode de Czerny différents cas de figure qui permettent de comprendre à quel moment il était évident d’utiliser la pédale même s’il n’y avait pas d’indication dans la partition.

La Sonate en ré mineur op. 31 n° 2 de Beethoven présente plusieurs cas intéressants. Dans le premier mouvement (mes. 143 à 148), « lors de la réexposition du thème (Largo), il faut garder la pédale pendant le récitatif qui doit faire l’effet d’une plainte que l’on entend au loin. » (Czerny, 1842, p. 55)21 L’indication de Czerny ne laisse aucun doute sur l’utilisation de la pédale et sur son but expressif.


	Carl Czerny, Méthode, 4e partie, p. 56.

Carl Czerny, Méthode, 4e partie, p. 56.

L’exemple musical que donne Czerny dans la méthode, pour le début du troisième mouvement, comprend des indications de pédales qui ne se trouvent pas dans la première édition. Czerny explique que Beethoven a improvisé un jour de 1803 le thème de ce mouvement en apercevant un cavalier qui passait au galop devant la fenêtre.

« Ce mouvement dure toute la pièce et c’est l’exacte observation des piano, forte, crescendo, diminuendo ainsi que l’utilisation de la pédale dans les passages harmonieux (bei harmoniösen Stellen) qui vont lui donner vie. » (Czerny, 1842, p. 56)22

Czerny précise dans une note de bas de page ce qu’il entend par là :

« Par le mot harmoniös nous désignons précisément l’utilisation de la pédale aussi longtemps que l’harmonie ne change pas. » (Czerny, 1842, p. 115)23

Le Troisième concerto op. 37 en do mineur présente un cas très intéressant dans le deuxième mouvement (mesures 1 à 11). Voici ce qu’en dit Czerny :

« Beethoven (qui joua ce concerto en public en 1803) laissait la pédale pour toute la durée du thème, ce qui convenait très bien aux pianoforte de l’époque qui avaient un son peu puissant, et d’autant plus si l’on prenait également la pédale d’una corda. Mais maintenant que le son est devenu plus puissant, nous conseillons de changer la pédale à chaque changement important de l’harmonie, toutefois sans que l’on remarque le moindre arrêt dans le son. Car tout le thème doit résonner comme une harmonie lointaine, sacrée et céleste. » (Czerny, 1842, p. 109-110)24

Ce passage nous permet de saisir les changements intervenus dans la facture instrumentale qui ont un impact sur l’exécution. On peut se demander toutefois si le goût n’avait pas déjà commencé aussi à changer et si le côté « improvisation libre » sur un instrument qui résonne sans étouffoirs n’apparaissait pas comme trop osé ? En effet, j’ai essayé ce passage sur un instrument contemporain de 1803, et les sons se mélangent tout de même passablement. Il faut alors utiliser un jeu très rhétorique avec certaines syllabes très accentuées et d’autres à peine esquissées. Un jeu trop soutenu amène inévitablement des mélanges harmoniques plus difficiles.

Pour le rondo de la Sonate en ut majeur op. 53, Czerny répète à nouveau ce qu’il avait déjà dit dans la troisième partie, tout en précisant le caractère du mouvement : « Ce rondo de caractère pastoral est basé sur l’emploi de la pédale qui apparaît ici essentiel. » (Czerny, 1842, p. 59)25

Le premier chapitre est consacré aux compositions des contemporains. Czerny fait à nouveau un bref rappel historique de l’utilisation de la pédale et décrit les derniers changements ainsi :

« Pendant cette période, le pianoforte a été considérablement amélioré. On a utilisé des cordes plus épaisses, ce qui a donné de la puissance et une rondeur de son aux octaves supérieures qui jusque-là avaient un son si faible.

Et finalement, dans les années 1820 à 1830, on a atteint, spécialement dans les ateliers viennois, un tel degré de perfection dans la manière de recouvrir les marteaux, que l’on a pu obtenir simplement par le toucher toute une gamme de nuances et ouvrir ainsi de nouveaux horizons dans le jeu du pianoforte. Sans avoir recours à ces aides mécaniques que sont les pédales [jeu céleste], il devenait possible d’exécuter le plus léger des pianissimo ; dans le même temps, dans chaque octave, un toucher plus énergique ne produisait pas seulement un son plus fort, mais d’une certaine manière également un timbre différent. […]

C’est de cette période que l’on peut dater l’invention du jeu moderne de piano qui est maintenant devenu la règle générale. Pendant que les notes de la mélodie sont jouées avec énergie dans le milieu du clavier et que leur sonorité est prolongée par une utilisation habile de la pédale, les doigts peuvent alors exécuter de brillants passages piano dans un toucher délicat ; de cette manière on réalise cet effet remarquable qui donne l’impression que la mélodie est jouée par une autre personne ou un autre instrument. » (Czerny, 1842, p. 3)26

Czerny donne des indications concernant l’exécution des œuvres de Liszt et parle également de son utilisation de la pédale :

« Nous devons encore remarquer que dans ses compositions, Liszt emploie parfois la pédale sans interruption dans des passages chromatiques ou d’autres passages situés dans la partie la plus grave de la basse, et qu’il produit ainsi une masse sonore qui, tel un épais nuage dans un tableau, n’est calculée que par rapport à un effet global. S’il est utilisé modérément et dans les endroits appropriés, cet effet n’est en aucune manière de mauvais goût, puisque même Beethoven a parfois fait de même, et que l’école moderne de piano en fait un usage assez fréquent. » (Czerny, 1842, p. 28)27

La deuxième Légende de Liszt, Saint François de Paule marchant sur les flots, comporte de nombreux passages dans lesquels il utilise de tels effets, créant ainsi un résultat dramatique comme pour dépeindre les flots menaçants et sans fond.

Chez Beethoven, deux passages recourent à cet effet. Le premier se trouve dans le premier mouvement du Troisième concerto en ut mineur op. 37, mesures 225 à 227. Beethoven indique de mettre la pédale sur un grand trait chromatique qui traverse le clavier de haut en bas. L’effet est tout à fait saisissant. On a l’impression que l’instrument « s’enflamme » avec un effet de crescendo qui va aboutir dans le forte de l’orchestre. Le deuxième passage se trouve dans le Quintette avec instruments à vents op. 16. Au début du développement (mesures 135 et 136), les vents tiennent un accord fortissimo et le trait ascendant doublé à l’octave qui part du grave jusqu’à l’aigu du pianoforte doit être joué dans la pédale.

Czerny résume ensuite ainsi :

« Nous pensons qu’il est maintenant prouvé que la manière actuelle de jouer du piano consiste à faire montre d’une bravoure qui peut difficilement être dépassée, d’une expression hautement raffinée, mais plus particulièrement dans les effets qui sont produits par l’usage de la pédale. » (Czerny, 1842, p. 28)28

Czerny termine en mettant en garde contre certains abus qui, lui semble-t-il, peuvent aboutir à une impasse :

« Le premier de ceux-ci est l’abus de la pédale. Beaucoup de pianistes sont tellement habitués à employer celle-ci qu’une simple exécution classique avec les doigts seuls a été presque totalement négligée ; - que certains ne sont presque pas capables de jouer un simple passage lié, à quatre parties, vraiment legato sans la pédale ; - que les doigts, de même que l’oreille, comptent simplement toujours sur l’emploi de la pédale et les effets qu’elle produit, si bien que le pied a une action presque plus importante que les mains. En conséquence, beaucoup de pianistes qui sont maîtres de cet art moderne sont totalement incapables de jouer une simple sonate de Mozart ou de Clementi ou une Fugue de Bach d’une manière honorable. » (Czerny, 1842, p. 29)29

La conclusion que Czerny apportait déjà à son chapitre concernant l’utilisation de la pédale, dans la troisième partie de sa méthode, n’est donc que plus valable :

« En outre il faut faire attention de ne pas utiliser cette pédale de manière incessante (ce qui serait un usage fautif). Tout perd son charme lorsqu’on l’utilise trop souvent. Un jeu clair et parlant reste toujours la règle, les autres cas n’étant qu’exceptions. » (Czerny, 1839, p. 47)30

 

Les changements

 

Un grand changement dans la manière d’utiliser la pédale va être amené par le livre de Hans Schmitt, Das Pedal des Claviers, publié à Vienne en 1875 et réédité à de nombreuses reprises. Ce livre est un cycle de quatre conférences données au Conservatoire de Vienne. Schmitt va tout d’abord donner la définition de ce qu’il va nommer une pause sonore. Il donne les exemples suivants :


	Hans Schmitt, Das Pedal, p. 3.

Hans Schmitt, Das Pedal, p. 3.


	Hans Schmitt, Das Pedal, p. 3.

Hans Schmitt, Das Pedal, p. 3.

Pour lui, cela revient au même de jouer en tenant les notes ou pas, puisque la pédale laissera résonner les cordes.


	Hans Schmitt, Das Pedal, p. 5.

Hans Schmitt, Das Pedal, p. 5.

Schmitt explique ensuite que, pour lier une série d’accords, il faut mettre la pédale un peu après l’accord de manière à libérer les mains afin qu’il n’y ait pas la moindre discontinuité dans le son. C’est ce que l’on va appeler la pédale syncopée.31


	Hans Schmitt, Das Pedal, p. 6.

Hans Schmitt, Das Pedal, p. 6.

Schmitt explique aussi son système de notation.

 

Selon Schmitt, sa manière de mettre la pédale libère les mains du clavier et permet également de jouer plus fort :

« Maintenant nous en arrivons aux libertés du jeu qui appartiennent directement au domaine de la virtuosité. Le virtuose utilise aussi les « pauses sonores » pour renforcer le toucher. Lors du jeu legato, le degré de l’intensité sonore est limité aussi longtemps qu’on n’utilise pas la pédale. En dehors du poids du bras, l’augmentation de la puissance sonore dépend encore principalement de l’élévation des doigts. Plus on lève les doigts, plus le toucher sera fort. Mais on ne peut pas lever les doigts plus haut que leur longueur ; c’est pourquoi la puissance du legato des doigts est partiellement limitée par la longueur des doigts. Il ne reste alors rien d’autre, en général, que de renoncer au legato si la puissance du legato des doigts ne suffit pas. On doit alors jouer staccatoavecles doigts et faire la liaison en mettant la pédale. Pour cette raison donc, même s’il y a clairement des signes de liaisons sur les notes, on les joue fortissimo staccato. » (Schmitt, 1875, p. 12)32

On voit donc se dessiner une des raisons de ce changement dans la manière d’utiliser la pédale. Il est poussé par un désir de jouer de manière plus puissante, sur des instruments devenus de plus en plus robustes et dans des salles probablement plus grandes.

Dans sa deuxième conférence, Schmitt explique qu’une note jouée avec la pédale est enrichie par les harmoniques des cordes qui se mettent à vibrer par sympathie. Il en déduit donc tout naturellement :

« Puisque la pédale embellit et renforce chaque note jouée, on met par conséquent la pédale à chaque longue note ainsi qu’à chaque accord isolé. Que le compositeur l’ait indiquée ou non, on met la pédale pour chaque note et chaque accord isolé dont la durée permet de mettre et enlever la pédale pendant son émission. Dans ce cas, la durée de la note correspond ainsi à un signe de pédale. Ainsi par exemple met-on la pédale dans la Sonate en ré mineur de Beethoven :


	Hans Schmitt, Das Pedal, p. 56.

Hans Schmitt, Das Pedal, p. 56.

On joue ainsi chaque note de la mélodie avec la pédale et ce n’est que sur les notes brèves qu’on laisse les doigts jouer seuls. » (Schmitt, 1875, p. 56)33

 

Dans sa troisième conférence, Schmitt va expliquer que le fait de mettre la pédale supprime le poids des étouffoirs et donc allège le toucher. Il conseille donc de mettre la pédale avant de jouer pianissimo, car cela permet de mieux doser l’énergie à transmettre aux touches puisqu’il ne faut pas vaincre la résistance du mécanisme des étouffoirs. (Schmitt, 1875, p. 117)

 

Dans la quatrième conférence, il indique où et quand on peut mettre la pédale.

« La réponse à la question de savoir quand on peut mettre la pédale serait très simple, si on disait, comme dans les anciennes méthodes imprimées : la pédale se met partout où c’est indiqué et nulle part où le signe manque. Mais cette règle ne suffit pas, premièrement : parce qu’il y a des compositeurs qui simplement dédaignent d’indiquer la pédale, car ils présument que l’interprète, qui peut se risquer à jouer ses œuvres, doit être assez intelligent pour bien utiliser la pédale sans cela ; deuxièmement : la règle ne suffit pas, car les indications ne sont pas mises assez consciencieusement par les meilleurs compositeurs eux-mêmes ; troisièmement : elle ne suffit pas, parce que le signe usuel pour l’indication précise de l’usage de la pédale ne convient généralement pas bien. Quand le compositeur ne met aucun signe, l’ignorant ne sait plus du tout comment faire, mais le manque total de signes n’est pas aussi dangereux qu’une indication d’utilisation totalement fausse ; car là où les signes manquent totalement, l’exécutant peut faire appel alors à sa propre réflexion, mais là où un signe est indiqué, il se trouve devant l’obligation d’obéir. Cela demande beaucoup d’indépendance de la part de l’interprète d’oser consciemment changer les indications du compositeur. » (Schmitt, 1875, p. 124)34

Schmitt estime que les indications des compositeurs sont très souvent inexactes et, plutôt que d’incriminer le graveur ou l’éditeur, donne cette explication :

« Ajoutons encore que les compositeurs font la grosse erreur de noter habituellement les indications de pédale et d’exécution à leur table de travail, sans même peut-être les essayer une seule fois au clavier. Cela provient très souvent du fait que le compositeur écrit la nuit, à un moment où il n’est pas admissible de jouer bruyamment. » (Schmitt, 1875, p. 125)35

Il continue :

« En effet, Moscheles n’est pas le seul à se tromper, presque tous les compositeurs notent de fausses indications de pédale. Où que nous regardions, de grosses et énormes erreurs apparaissent presque partout. Rubinstein m’indiqua personnellement que je ne devais pas oublier que la plupart des signes de pédale notés dans les œuvres de Chopin devaient être erronés. » (Schmitt, 1875, p. 129)36

Si l’on met en regard de cette affirmation ce que disait vingt ans auparavant Friedrich Wieck, on perçoit l’important changement qui est en train de se mettre en place :

« Chopin, ce compositeur et virtuose génial, plein de goût, sensible, devrait aussi ici vous servir d’exemple… Mais examinez et observez ses soigneuses et délicates indications dans ses compositions et vous pourrez ainsi tout à fait vous renseigner sur le vrai et bel usage de la pédale. » (Wieck, 1853, p. 31)37

 

Élève d’Antoine Marmontel, successeur d’Adam au Conservatoire, Albert Lavignac (Paris 1846-1916) publie à Paris en 1889 L’École de la pédale, dans laquelle il va reprendre toutes les idées défendues par Hans Schmitt à Vienne.

« Nous voici en possession de tous les éléments qui nous étaient nécessaires : nous connaissons assez l’histoire des pédales pour pouvoir déterminer à partir de quelle époque leur emploi est opportun ou indispensable ; nous savons comment fonctionne l’admirable mécanisme du piano moderne ; enfin, nous avons établi que si l’usage de la sourdine est anodin, inoffensif, il est loin d’en être de même à l’égard de la pédale, dont trois circonstances, que je remets ici sous les yeux du lecteur, peuvent seules motiver l’intervention :

Premier cas : pour prolonger les sons.

Deuxième cas : pour les renforcer.

Troisième cas : pour alléger le clavier. » (Lavignac, 1889, p. 28)

On voit dans le texte qui suit une nouvelle esthétique en train de se mettre en place, celle de la pureté sonore, sans aucun mélange.

« Il me paraît superflu d’ajouter que dans toutes les circonstances, quelles qu’elles soient, où l’on juge convenable d’employer la pédale, la plus grande pureté d’exécution est d’absolue rigueur. On conçoit que la plus légère fausse note, qui par elle-même produirait déjà une impression désagréable, mais de courte durée, devient intolérable lorsqu’elle est prolongée et renforcée par la suppression des étouffoirs ; car la pédale agit aveuglément de la même manière sur toutes les notes jouées, elle ne fait pas de sélection entre celles qui sont justes et celles qui peuvent être fausses. Il importe donc, quand on en fait usage, d’attacher une importance encore plus grande que de coutume à la netteté, à la propreté du jeu ; car même sans qu’il y ait fausse note à proprement parler, il suffit d’une note effleurée au passage, d’une touche légèrement abaissée par inadvertance en même temps que sa voisine, pour transformer l’effet sonore le mieux combiné en un affreux charivari. La pédale est une loupe qui grossit tous les effets, et avec eux toutes les imperfections ; ces dernières prennent même une importance prépondérante, d’autant plus marquée que l’impression discordante est plus longuement prolongée. » (Lavignac, 1889, p. 74)

Lavignac résume ensuite l’utilisation de la pédale en indiquant qu’il faut bien la changer de manière à ne pas garder des notes étrangères à l’harmonie.

« Pour ceux qui possèdent une connaissance bien complète de la Science de l’Harmonie, l’enseignement à tirer de cette étude peut, après lecture complète, se résumer ainsi :

Étant donné que l’emploi de la pédale ne saurait jamais avoir pour objet que de prolonger les sons, les renforcer, ou alléger le clavier ; quel que soit le but qu’on se propose, il convient de la renouveler complètement à chaque changement d’harmonie qui donnerait lieu à un nouveau chiffrage, et à plus forte raison, à chaque nouvelle note de la Basse ; et de la soulever plus ou moins rapidement pour toute note étrangère à l’accord chiffré, qu’elle soit diatonique ou chromatique, que ce soit une note de passage, une altération, une appoggiature ou une broderie quelconque. Ce soulèvement doit en outre être proportionné à l’intensité de la note émise et à la région du clavier à laquelle elle appartient : dans l’extrême grave et le grave, on n’obtient l’extinction des vibrations que par un contact prolongé de l’étouffoir sur la corde, c’est-à-dire qu’il faut procéder par soulèvements complets ; dans le médium, où les sons s’étouffent déjà plus rapidement, et à plus forte raison dans l’aigu, un demi-soulèvement plus ou moins bref est suffisant ; enfin au-delà de l’étendue normale des voix humaines, dans la région suraiguë, la pédale est sans action nuisible nettement appréciable. » (Lavignac, 1889, p. 80-81)

 

Un témoignage particulièrement révélateur de ces changements nous est livré par un texte écrit par le pianiste Moritz Rosenthal (1862-1946), daté du 21 mars 1924. Natif de Lvov (actuellement Lviv), Rosenthal entre à l’âge de dix ans au conservatoire de cette ville dans la classe de Karol Mikuli, le plus important disciple professionnel de Chopin (1872-1874). Il continue à Vienne avec Joseffy et s’attache ensuite à Liszt (1877-1878).

« La vieille et la nouvelle écoles de piano

Certains critiques musicaux de haut rang m’attribuaient le titre le plus flatteur de l’« un des plus distingués » ou même (dans certains cas) « du plus distingué » représentant de la vieille école de piano. Je commençai à méditer au sujet de la différence entre la vieille et la nouvelle écoles de piano.  […]

Depuis environ 1833 jusqu’en 1848, la vraie quintessence du jeu du piano semblait être incarnée par trois personnes : Chopin, Liszt, Thalberg. Thalberg était un merveilleux pianiste correct et brillant, mais sans grande distinction musicale. Sa ruse la plus manifeste consistait à jouer une mélodie avec le pouce et à entourer le thème des plus brillantes gammes, arpèges, passages, etc. De même qu’il emprunta ce dispositif à Parish Alvars, le fameux harpiste qui mérite un souvenir durable, de même le grand Richard semble l’avoir utilisé, transférant cet arrangement musical efficace pour le grand orchestre dans l’ouverture de Tannhäuser. […]

Dans le triumvirat Chopin, Liszt et Thalberg, Chopin tient facilement la place de Caesar Octavianus, Liszt la place d’Antonius (avec de nombreuses Cléopâtre !) et Thalberg celle de Lepidus. Nous pourrions facilement chasser Thalberg de cette position élevée en remplaçant son nom par celui d’Anton Rubinstein. Il est vrai que Rubinstein manquait de finesse d’exécution et même d’un certain niveau d’interprétation et que ses passages étaient souvent noyés, brouillés au-delà de la reconnaissance, mais le style de son jeu héroïque, ses « climaxes » colossaux, et en premier lieu ses compositions lui donnèrent une place parmi les tout grands. D’ailleurs il était à ma connaissance le premier pianiste à introduire la pédale syncopée dans ses interprétations.

Ceci peut sembler presque incroyable à la jeune génération de pianistes, qui a appris presque au berceau le vrai usage de la pédale et à qui on a enseigné presque au début de leurs études qu’on ne devait pas frapper les touches et la pédale simultanément. On leur a dit de descendre le pied sur la pédale au moment précis où ils lèvent les mains des touches pour éviter les mélanges des sons et garder le déroulement continu de la ligne mélodique, en maintenant l’émission du son sans rupture tantôt avec les mains, tantôt avec la pédale. Je peux le prouver grâce à une lettre que Liszt écrivit en juillet 1875 à Louis Köhler, le pédagogue de piano et critique musical bien connu. Quand Köhler lui envoya un exemplaire de ses études techniques où il présentait quelques exercices de pédale syncopée, Liszt répond les lignes suivantes (j’omets le début de la lettre qui n’a aucun rapport avec notre sujet) : « Merci beaucoup pour votre aimable lettre et l’envoi de votre Opus 147 : Technische Künstler-Studien. Et bien que j’aie plutôt envie de me détourner des méthodes et de la pédagogie, j’ai pourtant lu votre ouvrage avec intérêt. L’entrée de la pédale après la frappe des accords, comme vous l’indiquez au début de la page trois, et comme vous l’indiquez très consciencieusement sans discontinuer presque jusqu’au bout, me semble une idée ingénieuse, et son application doit être grandement recommandée aux pianistes, professeurs et compositeurs – spécialement dans les tempi lents. »

Cette lettre prouve sans aucun doute que Liszt, le souverain maître du piano, n’utilisait pas la pédale syncopée, mais bien plus encore ; cela prouve qu’il n’a même pas saisi l’immense importance de la découverte quand Louis Köhler la lui apporta.

Qui inventa la pédale syncopée ? Mikuli, et par conséquent Chopin ne la connaissaient pas. Köhler ne présenta aucune revendication de la découverte, Rubinstein non plus. Le grand bienfaiteur et inventeur mérite d’être immortalisé. Je considère que la pédale syncopée est l’une des plus importantes découvertes car elle contribue à la musique et rend une vraie lecture musicale possible. Elle se situe au plus haut niveau entre un glorieux passé et un futur encore plus glorieux. Plus besoin d’un travail assidu des doigts pour les accords legato, plus de jeu sec sans pédale et sans nuances pour éviter les mélanges des sons. La pédale syncopée signifie l’affranchissement du ton sec ou flou, la libération du poignet et du bras par rapport aux touches ; il en résulte un véritable jeu orchestral ; avec sa cantilène continue, elle est même supérieure aux autres instruments musicaux et à la voix humaine qui s’épuise.

Je déclare que cette découverte est l’une des plus importantes de l’histoire du piano. Hélas, c’était aussi jusqu’ici la dernière ! […]

Après avoir exposé les mérites et imperfections des méthodes de Chopin, Liszt, Thalberg et Rubinstein, il semble très facile de répondre à la question : quel progrès a été réalisé et quelles sont les caractéristiques de la nouvelle école de piano ; c’est-à-dire l’école de la nouvelle génération de pianistes ?

La réponse doit être la suivante : il n’existe pas réellement une « nouvelle école de piano ». Le simple fait de ne pas avoir étudié avec Liszt, de n’avoir pas entendu l’école de Chopin, et de n’avoir jamais eu le privilège d’entendre Rubinstein est un formidable retour en arrière et cette attitude négative sans espoir ne peut jamais prétendre à la distinction ou à la grandeur. N’ayant jamais rencontrés le grand triumvirat Liszt-Chopin-Rubinstein, les pianistes de la jeune génération sont obligés d’apprendre avec ceux d’entre nous qui ont eu le grand privilège d’étudier directement ou indirectement avec ces pianistes et ces géants de la musique. S’ils se détournent de nous, ce n’est pas à nous qu’ils feront du tort, mais à eux-mêmes. » (Mitchell, 2006 ; Evans, 2006, p. 74-77)38

 

Conclusion

 

Il est tout à fait significatif de voir le nombre d’ouvrages publiés après 1875 qui traitent exclusivement de l’utilisation de la pédale.

On peut citer entre autres les ouvrages de :

Georges Falkenberg, Les Pédales du piano, 1891,

Alexander Nikitich Bukhovtsev, Guide to the Proper Use of the Pianoforte Pedals, 1897,

Enrique Granados, Método téorico práctico para el uso de los pedales del piano, 1905

Teresa Carreño, Possibilities of Tone Color by Artistic Use of Pedals, 1919.

Ce désir de codifier le nouvel emploi de la pédale est révélateur d’un changement d’esthétique certainement lié aux changements intervenus dans la facture instrumentale avec des pianos devenus de plus en plus robustes et imposants, mais également aux changements dans la grandeur des salles de concerts, avec pour conséquence la recherche d’un jeu de plus en plus fort.

Les éditions musicales vont également laisser transparaître ces changements, comme on peut le voir avec l’édition par Ignaz Friedman de la deuxième Légende de Liszt.


	Franz Liszt, Légende n° 2 : Saint François de Paule marchant sur les flots, Vienne, Universal, édition revue par Ignaz Friedman.

Franz Liszt, Légende n° 2 : Saint François de Paule marchant sur les flots, Vienne, Universal, édition revue par Ignaz Friedman.

En revanche, si l’on cherche à respecter les indications de pédale originales, l’on est amené à devoir adapter la dynamique de son jeu, la dynamique des plans sonores, des différentes voix. Dans les passages sans pédale, il faudra par conséquent tenir les harmonies avec les doigts, comme on le faisait sur le clavecin, le clavicorde ou l’orgue au XVIIIe siècle et comme on a continué de le faire au XIXe siècle. Hipkins rapporte que Chopin « pratiquait la substitution aussi souvent qu’un organiste. » (Eigeldinger, 2006, p. 73)

Aujourd’hui le pianiste a accès à des éditions Urtext qui comportent les indications de pédale fidèles aux sources. Cependant, la manière de mettre la pédale n’a pas encore suivi le retour au texte d’origine. La force des habitudes, de la « tradition » ainsi que la cohorte d’« avantages » de la pédale syncopée en sont probablement la raison. J’espère cependant que vous regarderez dorénavant les indications de pédale d’un autre œil.

Bibliographie

ADAM L.

[1805], Méthode de piano du Conservatoire, Paris, Imprimerie du Conservatoire de Musique, faub Poissonnière no 11, réédition en fac-similé, 1974, Genève, Minkoff.

 

BACH C. P. E.

1762, Versuch über die wahre Art das Clavier zu spielen, Zweyter Theil, Berlin, réédition en fac-similé, 1992, Wiesbaden, Paris, Leipzig, Breitkopf & Härtel.

 

BANOWETZ J.

1985, The Pianist’s Guide to Pedalling, Bloomington, Indiana University Press.

 

BERDUX S.

1999, „Johann Peter oder Philipp Jacob Milchmeyer ? Biographische und bibliographische Notizen zum Autor der Hammerklavierschule Die wahre Art das Pianoforte zu spielen“, in Bär F. P., Musica instrumentalis, 2, Nürnberg, Verlag des Germanischen Nationalmuseums, p. 103-120.

 

BERG C.

vers 1855, Manuel à l’usage du Maître pour la Méthode progressive de piano, Paris, Richault.

 

BRÉE M.

1913, The Leschetizky Method, New York, The University Society Inc., reprint, 1997, Mineola New York, Dover Publications.

 

BUKHOVTSEV A. N.

1897, Guide to the Proper Use of the Pianoforte Pedals, New York, Bosworth & co.

 

CARREÑO T.

1919, Possibilities of Tone Color by Artistic Use of Pedals, New York, The John Church Company.

 

CZERNY C.

1839, „Von dem Vortrage“, troisième partie de laVollständige theoretisch-practische Pianoforte-Schule, op. 500, Vienne, Diabelli, réédition en fac-similé, 1991, Mahlert U., , Wiesbaden, Breitkopf & Härtel.

1842, „Über den richtigen Vortrag der sämtlichen Beethoven’schen Klavierwerke“, deuxième et troisième chapitre de Die Kunst des Vortrags der älteren und neueren Clavierkompositionen oder: Die Fortschritte bis zur neuesten Zeit Supplement zur grossen Pianoforte-Schule op 500, Vienne, Diabelli, réédition en fac-similé, 1963, Badura-Skoda, P., Vienne, Universal Edition.

1842, The Art of Playing the Ancient and modern Piano Forte Works, Supplement to the Piano Forte School, op. 500, London, Cocks.

 

EIGELDINGER J.-J.

2006, Chopin vu par ses élèves, Paris, Fayard.

 

FALKENBERG G.

1891, Les Pédales du piano, Paris, Au Ménestrel.

 

GIAMMARCO F.

2010, Il pedale di Chopin, Varese, Zecchini Editore.

 

GRANADOS E.

1905, Método téorico práctico para el uso de los pedales del piano, réédition en fac-similé, 1994, Madrid, Union Musical Ediciones.

 

HARDING R. E. M.

1933, The Piano-Forte, Its History Traced to the Great Exhibition of 1851, Cambridge, Cambridge University Press.

 

HUMMEL J. N.

1838, Méthode complète théorique et pratique pour le pianoforte, Paris, Farrenc, réédition en fac-similé, 1982, Genève, Minkoff.

 

LAVIGNAC A.

1889, L’École de la pédale, Paris, Mackar et Noël.

 

MILCHMEYER P. J.

1797, Die wahre Art das Pianoforte zu spielen, Dresde, Meinhold.

 

MITCHELL M. et EVANS A.

2006, Moritz Rosenthal in Word and Music, Bloomington, Indiana University Press.

 

POLLENS S.

1995, The Early Pianoforte, Cambridge, Cambridge University Press.

 

PRENTNER M.

1903, Fundamental Principles of the Leschetizky Method, Philadelphia, Presser, T., réédition, 2005, Mineola New York, Dover Publications.

 

RESTLE K.

1991, Bartolomeo Cristofori und die Anfänge des Hammerclaviers, Munich, Editio Maris.

 

ROWLAND D.

1993, A History of Pianoforte Pedalling, Cambridge, Cambridge University Press.

 

SCHMITT H.

1875, Das Pedal des Claviers, Vienne, Doblinger.

 

TÜRK D. G.

1789, Klavierschule oder Anweisung zum Klavierspielen für Lehrer und Lernende, Leipzig et Halle, réédition en fac-similé, 1997, Kassel, Bärenreiter.

 

UMSCHULD VON MELASFELD M.

1902, La Main du pianiste, Leipzig et Bruxelles, Breitkopf & Härtel.

 

WIECK F.

1853, Clavier und Gesang, Leipzig, Whistling, réédition en fac-similé, 1996, Regensburg, ConBrio Verlagsgesellschaft.

Notes

1Les trois pianoforte de Cristofori conservés aujourd’hui sont datés : 1720, Metropolitan Museum of Art, New York ; 1722, Museo Strumenti Musicali, Rome ; 1726, Musikinstrumenten-Museum, Leipzig.

2Les instruments de Gottfried Silbermann conservés à ce jour sont datés : 1746, Staatliche Schlösser und Gärten Preußischer Kulturbesitz, Potsdam, Sansssouci ; ca. 1746, Staatliche Schlösser und Gärten Preußischer Kulturbesitz, Potsdam, Neues Palais ; 1749, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg.

3„Das ungedämpfte Register des Fortepiano ist das angenehmste, und, wenn man die nöthige Behutsamkeit wegen des Nachklingens anzuwenden weiss, das reizendeste zum Fantasiren.“

4CD Claviersmozartiens, Lyrinx Strumenti, LYR 2251, 2007 plage 4.

5„ Uiber die Dämpfer ist viel zu erinnern, sie machen die schönste aber auch die abscheulichste Veränderung, je nachdem sie mit Geschmack oder übel angewendet werden, denn im lezten Falle klingen alle Töne unter einander, und verursachen so unerträglichen Uibellaut, dass man sich die Ohren verstopfen möchte. Ich will also den Gebrauch dieser Veränderung durch verschiedene Beispiele deutlich zu machen suchen.

Mann kann erstlich damit das Spiel kleiner Glocken nachahmen, wenn die rechte Hand ganz in der Höhe spielt, und alle Töne mezzo forte abstösst, indess die linke die Begleitungstimme in der Mitte der Claviatur gebunden und pianissimo vorträgt.“

6„Wenn man in einer Stücke von langsammer Bewegung die Begleitungstimme mit der rechten hand pianissimo und in der gebundenen Spielart vorträgt, und einen Gesang im Basse mezzo forte abstösst, und zwar alles ohne Dämpfer mit zugemachtem Deckel, so kann man dadurch sehr gut, das Duett zweier Männer vorstellen, das von einem Instrumente begleitet wird.“

7„Alle Spieler des Pianoforte sollten überhaupt, um des Instruments willen, die gebundene Spielart wählen, da geklopfte und gleichsam gehackte Noten für dasselbe gar nicht passen, sondern man ihn vielmehr auf eine zarte Art schmeicheln muss. Doch hat alles seine Ausnahmen, so liebe ich z. B. diese gebundene Spielart nicht in den Läufen, in den chromatischen und verschiedenen andern Gängen des Basses, weil, das lange Nachsingen der stärkern Saiten übel lautende Töne verursacht. Solche Gesänge aber, welche bloss die wahren Noten des Accords enthalten, sie mögen wohl oder übel lautend seyn, werden durch diese Spielart vollkommen. Sie macht den Ton des Pianoforte weich und gleichsam sammetartig, und man kann dadurch die obern Töne dieses Instruments, welche zu einer gewissen Härte und Trockenheit geneigt sind, versüssen und erweichen.“

8„Wenn man die rechte Hand mezzo forte ohne Dämpfer mit zugemachtem Deckel spielt, kann man eine Note, welche lange fortdauern soll, durch geschwindes Anschlagen, oder durch das Zittern des Hammers gegen die nämlichen Saiten sehr gut unterhalten, und dadurch eine Frauenzimmerstimme nachahmen, nur muss die linke Hand dabei den Bass mezzo forte, und die Begleitungstimme pianissimo spielen, bei jeder Veränderung muss man alsdann um des Uibellauts willen, der bei vielen Fortsingen den Tönen entsteht, die letzten gespielten Noten des Accords dämpfen, die ersten Noten des folgenden Accords aber gleich sogleich ohne Dämpfer anfangen.“

9„Durch das Gegentheil, kann man das decresc. welches z. B. der untergehenden Sonne gleicht, sehr gut ausdrücken. Man fängt dabei den Gang fortissimo mit aufgemachtem Deckel ohne Dämpfer an, lässt beim piano den Deckel nach und nach fallen, und endigt pianissimo mit dem Dämpfer.“

10Harmonika ou Glassharmonika, harmonica de verre, instrument inventé par Benjamin Franklin en 1763.

11„Die Harmonika kann sehr gut ohne Dämpfer nachgeahmt werden, nur muss man sie, wie jedes Instrument, welches man nachahmen will, nach ihrem wahren Charakter behandeln. Im Ganzen verlangt die Harmonika empfindungsvolle Stücke von langsamer Bewegung, mit unterhaltenen oder fortsingenden Tönen. Um aber dieses Fortsingen auf dem Pianoforte hervorzubringen, dazu giebt es kein anderes Mittel, als geschwindes Angeschlagen des nämlichen Tons, oder geschwindes Zittern des Hammers gegen die nähmlichen Saiten, wie ich schon vorhin erinnerte. Alle Noten des Gesangs und der Begleitungstimme, müssen hierbey sich in dem nämlichen Accorde befinden, und wenn man den Accord verändert, so müssen die Töne des vorhergehenden, wenn es der Ausdruck erlaubt, nach und nach erlöschen, oder gedämpft werden, und die Töne des neuen Accords sogleich ohne Dämpfer anfangen, denn ohne diese Vorsicht würde der Nachhall vergangener, und der Klang gegenwärtiger Noten, einen abscheulichen Uibellaut hervorbringen.“

12„Allein um diese Wirkung hervorzubringen, muss der Spieler das Pedal genau mit der Octave zugleich andrücken; denn auch nur um einen Augenblick später, wirkt das Pedal nicht mehr, und die Octave bleibt kurz und trocken.

Da ferner diese Octave durch den ganzen Takt klingen soll, so darf er das Pedal nicht eher auslassen, als mit der letzten Achtel, um es dann mit der nächsten Octave sogleich wieder zu nehmen.“

13„Das Pedal darf nur so lange fortgehalten werden, als die Stelle aus einem Accorde besteht.“

14„Man sieht, wie im 6ten Takte beim jeden Accord ein neues Pedal genommen werden muss. Dagegen bleibt das Pedal im 7ten Takte durch 2 Accorde, weil besonders daran liegt, dass das untereE fortklinge, und weil die Stelle pp ist, wo das dissonierende nicht auffält.“

15„Wenn eine untere Bassnote sehr kräftig angeschlagen wird, während die nachfolgende höhere Fortsetzung piano nachfolgt, so kann auch während dem Pedal einiger Accordwechsel stattfinden, weil die untere Note als Grundbass forttönt.“

16„Bei äusserst zart anzuschlagenden Stellen kann das Pedal bisweilen durch mehrere dissonirende Accorde fortgehalten werden. Es bringt da die sanftverschwebende Wirkung der Äolsharfe, oder einer sehr fernen Musik hervor.“

17„Ein sehr sanfter Schluss, dessen Accord nicht wechselt, ist stets mit diesem Pedal zu spielen.“

18„Das Pedal wird am Ende noch so lange gehalten, als der letzte Accord deutlich tönt.“

19„Es gibt Tonsetzer, in deren Werken das Pedal fast gar nie angewendet werden soll, dagegen Andere, wo es durchaus nothwendig ist. Mozart, Clementi, und deren Zeitgenossen konnten davon keinen Gebrauch machen, da es damals noch gar nicht erfunden war. Erst zu Anfang dieses Jahrhunderts haben Beethoven, Dussek, Steibelt, etc., dasselbe in Anwendung gebracht, und auch Clementi hat es in der späteren Zeit häufig genug benützt. Beethoven hat mehrere Clavierwerke eigends darauf berechnet, wie z. B: das Finale der C-dur Sonate op. 53, welches ohne Pedal gar keine Wirkung machen würde. Fast alle neueren Tonsetzer benützen es sehr häufig, wie Ries, Kalkbrenner, Field, Herz, Liszt, Thalberg, Moscheles, (in seinen neuren Werken) etc., und es versteht sich von selber, dass der Spieler es überall nehmen muss, wo er es angezeigt findet. Nur hat er auf die Accordenwechsel auch da Rücksicht zu nehmen, wo bisweilen das Pedal im Stich zufällig zu lange dauernd vorgezeichnet steht. In Hummels Werken findet man es selten, und kann es auch meistens entbehren. Eben so ist es nicht rathsam, es in älteren Clavierwerken, wie, z. B. bei Mozart, Em. Bach, in den älteren Clementischen Sonaten, oft anzuwenden;denn der Gebrauch dieses Pedals hängt sehr von den Compositionsarten ab, deren es, wie wir später sehen werden, mehrere sehr verschiedene gibt. Noch ist zu bemerken, dass Beethoven in der frühern Zeit das Nehmen des Pedals mit den Worten: Senza Sordino Bezeichnete. Das Wort con Sordino zeigt in dem Falle an, es wieder wegzulassen.“

20“Beethoven, in particular, employed it in the performance of his Pianoforte works much more frequently than we find it indicated in those compositions.”

21„Beim wiederkehrenden Thema (Largo) wird das Pedal während dem Recitativ fortgehalten, das, wie aus weiter Ferne klagend, ertönen muss.“

22„Diese Bewegung dauert durch das ganze Stück und wird nur durch die genaue Beachtung des piano, des forte, crescendo, diminuendo, und auch durch die Benützung des Pedals bei harmoniösen Stellen belebt.“

23„Mit dem Worte: harmoniös bezeichnen wir vorzüglich eine richtige Anwendung des Pedals durch die Dauer einer consonirenden Harmonie.“

24„Beethoven, (der dieses Concert 1803 öffentlich spielte,) liess das Pedal durch das ganze Thema fortdauern, was auf den damaligen schwachklingenden Clavieren sehr wohl anging, besonders, wenn auch das Verschiebungspedal dazu genommen war. Aber jetzt, wo der Ton weit kräftiger geworden, würden wir rathen, das Dämpfungspedal bei jedem bedeutendern Harmoniewechsel immer wieder von Neuem zu nehmen, jedoch so, dass im Klange keine Lücke merkbar sei. Denn das ganze Thema muss wie eine ferne, heilige und überirrdische Harmonie klingen.“

25„Dieses Rondo von pastoralem Character ist ganz auf den Gebrauch des Pedals berechnet, welches hier wesentlich erscheinet.“

26“During this epoch the Pianoforte was considerably improved. Thicker strings were used for it, whereby the upper octaves which had previously been so weak in tone, acquired unusual power and melodiousness. And lastly, between the years 1820 and 1830, the important covering of the hammers was brought to such a degree of perfection, especially by the Vienna manufacturers, that, by the mere touch, we could draw from each key numerous shades of tone, and suddenly gain a new feature in Pianoforte playing. Without having recourse to those mechanical contrivances – the pedals, it became possible to execute the lightest pianissimo; whilst, in each octave, a more energetic touch produced not only greater power, but in a measure quite another kind of tone. […] From this period may be dated the invention of the modern style of Pianoforte playing, which has now become general. While the notes of a melody are struck with energy in a middle position and their sound continued by a skilful use of the pedal, the fingers can also perform brilliant passages piano, with a delicate touch; and thus arises the remarkable effect, as if the melody were played by another person, or on another instrument.”

27“We have yet to remark on Liszt’s compositions, that he sometimes employs the pedal uninterruptedly during chromatic and other runs in the lowest part of the bass, and thereby produces a mass of sound, which, like a thick cloud in a picture, is only calculated for the total effect. When introduced sparingly and in the proper places, this effect is by no means unartistical : for even Beethoven has occasionally had similar in view, and the modern school makes sufficiently frequent use of it.”

28“We think it has now been proved, that the present style of Pianoforte playing consists in a degree of bravura which can scarcely be exceeded, in a highly refined expression, but particularly in effects which are produced by the use of the pedal.”

29“The first of these, is, the abuse of the pedal. Many players have so much accustomed themselves to employ the same, that a pure and classical performance with the fingers only, has been almost totally neglected; - that some are scarcely in a condition to perform a simple, four-part, connected passage duly legato without the pedal; - that the fingers, as well as the ear, always rely simply on the connection and effects producible by the pedal, and that consequently the foot performs almost a more important part than the hands. Hence, many pianists who are masters of all this modern art, are quite unable to play a simple Sonata by Mozart or Clementi, or a Fugue of Bach, in a worthy manner.”

30„Übrigens hüthe man sich, von diesem Pedal einen immerwährenden Gebrauch (folglich Missbrauch) zu machen. Alles verliert seinen Reitz, was man zu oft anwendet. Das klare deutliche Spiel bleibt immer die Regel, das Übrige sind nur Ausnahmen.“

31Méthode de Lechetizky, voir Brée, 1913.

32„Nun gelangen wir zu Spielfreiheiten, die direct dem Gebiete des Virtuosenthums angehören. Die klingenden Pausen benützt der Virtuose auch zur Verstärkung des Anschlages. Der Grad der Tonstärke ist bei dem Legatospiele ein begrenzter, so lange man kein Pedal tritt. Das Wachsen der Tonstärke hängt, ausser dem Drucke des Armes, hauptsächlich noch von dem Heben der Finger ab. Je höher man den Finger hebt, desto stärker wird der Anschlag sein. Höher aber kann man den Finger nicht heben, als er lang ist; daher hat die Tonstärke des Fingerlegato theilweise ihre Grenze in der Länge der Finger. Reicht die Stärke des Fingerlegato nicht aus, dann bleibt nichts anderes übrig, als dass man das Legato überhaupt aufgibt. Man muss dann mit den Fingern staccatirenund die Bindung durch das Pedaltreten herstellen. Fortissimo-stellen spielt man aus dem Grunde selbst dann staccato, wenn in den Noten ausdrücklich Bindungsbögen angezeigt sind.“

33„Da also das Pedal jeden angeschlagen Ton verschönert und verstärkt, so trete man das Pedal bei jeder einzelnen längeren Note, sowie bei jedem stillstehenden Accord. Jeden einzelnen Ton und jeden solchen Accord, dessen Dauer lang genug ist, um während derselben den Fuss auf das Pedal zu setzen und abzuziehen, nehme man mit Pedal, mag das Treten vom Componisten angezeigt sein oder nicht. In diesem Fall also bildet die Dauer der Note ein Pedalzeichen.

So z. B. tritt man das Pedal bei der D-moll-Sonate von Beethoven bei dieser Stelle:

Man spielt also die Melodienoten mit dem Fusse mit, und nur bei den zu kurzen Noten lässt man den Finger allein spielen.“

34„Die Antwort auf die Frage, wann man das Pedal treten dürfe, wäre sehr einfach, wenn man mit der gedruckten alten Schule sagen würde: Man trete das Pedal überall, wo es angezeigt ist, und nirgends, wo das Zeichen fehlt. Diese Regel aber genügt nicht, erstens: weil es Componisten gibt, welche es geradezu verschmähen, das Pedal anzuzeigen, da sie voraussetzen, dass der Spieler, welcher sich an ihre Compositionen wagen darf, ohnehin genug Intelligenz besitzen muss, um das Pedal richtig zu gebrauchen; zweitens genügt die Regel nicht, weil die Zeichen selbst von den besten Componisten nicht genug gewissenhaft gesetzt werden; drittens genügt sie nicht, weil sich das übliche Zeichen zur genauen Angabe des Pedalgebrauches überhaupt nicht gut eignet. Wo der Componist gar keine Zeichen angibt, da ist der Laie wohl vollkommen rathlos, aber doch ist der gänzliche Mangel des Zeichens nicht so gefährlich, wie eine total falsche Angabe für den Gebrauch; denn wo die Zeichen gänzlich fehlen, da fühlt sich doch der Spieler zu eigenem Nachdenken berufen, wo aber ein Zeichen besteht, da legt sich ihm die Verpflichtung auf, zu gehorchen. Es gehört viel Selbständigkeit von Seite des Spielers dazu, bis er es wagt, die Angabe eines Componisten mit Bewusstsein umzustossen.“

35„Ein grosser Fehler der Componisten ist ferner der, dass sie die Pedal- und Vortragszeichen gewöhnlich nur am Schreibtisch niederschreiben, vielleicht, ohne sie auch nur ein einzigesmal am Claviere zu probiren. Gar oft rührt dies wohl davon her, dass sie der Componist in der Nacht notirt, also zu einer Zeit, wo das laute Musiciren unzulässig ist.“

36„Doch nicht allein Moscheles hat sich so vergangen, fast alle Componisten setzen falsche Pedalzeichen. Wohin wir blicken, fast überall zeigen sich grobe und gröbste Fehler. Rubinstein gab mir eigens an, dass ich ja nicht vergessen solle anzuführen, dass die meisten Pedalzeichen in den Werken Chopin falsch gesetzt seien.“

37„Chopin, dieser geniale, geschmackvolle, feinfühlende Componist und Virtuos möge Ihnen auch hier zum Muster dienen…. Aber untersuchen und beobachten Sie seine sorgfältige und delikate Bezeichnung in seinen Compositionen, so werden Sie sich über richtigen und schönen Gebrauch des Pedals vollständig unterrichten können.“

38“By some musical writers of high rank I was most flatteringly alluded to as “one of the most distinguished” or even (in some instances) “the most distinguished” representative of the older school of piano playing. I began to meditate about the difference between the older and the new schools of pianism. […]

From about 1833 until 1848, the very quintessence of piano playing seemed to be embodied in three names: Chopin, Liszt, Thalberg. Thalberg was a wonderfully correct and brilliant player, but without great musical distinction. His most conspicuous trick consisted in declamating [i.e., declaiming] a melody with the thumb and surrounding the theme with most brilliant scales, arpeggios, passages, etc. Even this device he took from Parish Alvars, the famous harpist, who deserves lasting memory, as even the great Richard seems to have used it, translating this musically effective scheme for grand orchestra in this Tannhäuser Ouverture. […]

In the “Triumvirate” of Chopin, Liszt, and Thalberg, Chopin holds easily the place of Caesar Octavianus, Liszt the place of Antonius (with many Cleopatras!) and Thalberg of Lepidus. We could easily dismiss Thalberg from his exalted position, replacing his name with that of Anton Rubinstein, It is true that Rubinstein was lacking in finesse of execution and even to a certain extent of interpretation, and that his passages were often blurred beyond recognition, but the heroic vein of his style, his colossal climaxes, and in the first place his compositions gave him claim to true greatness. Moreover, he was to my knowledge the first pianist who introduced the syncopated pedal to his readings.

This may sound incredible to the younger generation of pianists who learned the right use of pedals almost in their cradles, who were told almost when they began to study that one should not strike keys and pedal simultaneously. They were told to come down with the foot on the pedal at the very moment when they raise the hands from the keys in order to avoid blurs and to keep a continuous flow of the melodic line, keeping the sound ringing now with the hands, now with the pedal, without break. I can prove it by a letter which Liszt wrote to Louis Köhler, the well-known piano pedagogue and musical critic, in July 1875. When Köhler sent him a copy of his technical studies, where he introduced some exercises for the syncopated pedal, Liszt answers with the following lines (I omit the beginning of the letter as not pertinent to our theme): “Best thanks for your kindly letter and for sending your Opus 147: “Technische Künstler-Studien”. And although I am more disposed to turn away from than toward Methods and Pedagogics, still I have read this work of yours with interest. Theentrance of the pedal after the striking of the chords as indicated by you at the beginning of page three, and as consistently carried through by you almost to the utmost extreme, seems to me an ingenious idea, the application of which is greatly to be recommended to pianoforte players, teachers and composers - especially in slow tempi.”

This letter proves beyond any doubt that Liszt, the supreme ruler over the piano, did not use the syncopated pedal, but not only this: it proves that he did not even grasp the immense importance of the discovery when it was brought to him by Louis Köhler.

Who invented the syncopated pedal? Mikuli, and consequently Chopin, did not know it. Köhler does not put forth any claim for the discovery, nor did Rubinstein. The great benefactor and inventor deserves to be immortalized. I consider the syncopated pedal to be one of the most important discoveries because it promotes music and makes true musical readings possible. It constitutes the high-water mark between a glorious past and a more glorious future. No more painstaking fingering for legato chords, no more dry playing without pedals and without overtones, in order to avoid blurs. The syncopated pedal signifies the emancipation from dry or blurred tone, the emancipation of wrist and arm from sticking to the keys; it constitutes true orchestral playing; in its unbroken cantilena, it is superior even to other musical instruments and to the exhaustible human voice.

I call this discovery one of the most important in the history of piano playing. Alas, it was also so far the last one! […]

After having stated the merits and the shortcomings of the methods of Chopin, Liszt, Thalberg, and Rubinstein, it seems very easy to answer the question: What progress has been made by and what are the characteristics of the new school of piano playing; that is, the school of the younger generation of pianists? The answer must be the following: There is no such thing in existence as a “new school of piano playing.” The mere fact that one has not studied with Liszt, that one has not heard the Chopin school, and that one has never been privileged to listen to Rubinstein is a colossal drawback and can never constitute in its helpless negativity any claim to distinction or greatness. Having missed the great Triumvirat Liszt-Chopin-Rubinstein, the pianists of the younger generation are bound to learn from those of us who had the great privilege to study directly or indirectly with these pianistic and musical giants. If they choose to turn away from us they will not harm us, but themselves.

Il est très intéressant de noter que Milchmeyer précise la manière d’utiliser le registre des étouffoirs, pratique qui ne correspond pas à la nôtre aujourd’hui. En effet, il dit qu’il faut étouffer la dernière note de l’accord pour pourvoir jouer la première note de l’accord suivant sans étouffoirs. Cette pratique diffère de la pratique moderne, que l’on nomme pédale syncopée ; les étouffoirs sont baissés au moment où la première note de la nouvelle harmonie est jouée puis ils sont immédiatement relevés pour laisser à nouveau les cordes vibrer. La pratique décrite par Milchmeyer sera encore utilisé

Pour citer ce document

Pierre Goy, «L’art de la pédalisation : peut-on jouer d’après les Urtexte ?», La Revue du Conservatoire [En ligne], Contenus, Le deuxième numéro, La revue du Conservatoire, Dossier notation et interprétation, mis à jour le : 27/06/2013, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=683.

Quelques mots à propos de :  Pierre Goy

Pierre Goy étudie le piano avec Fausto Zadra, Edith Murano, Esther Yellin et Vlado Perlemuter, et participe à des cours d’interprétation notamment avec Jörg Demus et Nikita Magaloff. Passionné par les possibilités expressives des instruments anciens, il suit les séminaires de Paul Badura-Skoda et de Jesper Christensen. Pierre Goy cherche à rendre la musique de chaque époque avec l’instrument correspondant. Il a enregistré les Années de pèlerinage, Première année  : Suisse de Liszt (cantando 9814) ; Chopin à Vienne (lyr 247) ; Claviers mozartiens (lyr 2251) (Diapason d’or). À paraître en 2013, Chopin œuvres concertantes : Concerto en mi mineur, Krakowiak, et Fantaisie, avec accompagnement de quatuor (membres du Giardino Armonico). Il forme avec Nicole Hostettler un duo aussi bien à deux pianoforte, au clavecin et au pianoforte, ou à deux clavicordes. Ils ont enregistré : J. G. Müthel (cantando 2016), et Armand-Louis Couperin & les claviers expressifs de Pascal Taskin (lyr 2262). En formation de musique de chambre il a pour partenaires entre autres des membres  de l’Orchestre de la Suisse romande, des membres d’Il Giardino Armonico, le Quatuor Mosaïques, l’Ensemble baroque de Limoges. Il enseigne dans les hautes écoles de musique de Genève et Lausanne. Il transmet également ses connaissances des instruments anciens ainsi que les pratiques d’interprétation lors de masterclasses, notamment à l’Abbaye de Royaumont. Pierre Goy est l’instigateur des Rencontres internationales harmoniques de Lausanne qui rassemblent tous les deux ans depuis 2002 des facteurs d'instruments, des musiciens, des musicologues et des conservateurs de musée autour des instruments anciens.