Langues chantées : le système allophonique de la diction lyrique italienne
- Résumé
- Abstract
La langue chantée n’est pas cet idiome, mythiquement « pur », identifié souvent avec le modèle standard qui inclut au contraire de nombreuses variantes d’une langue. Quand nous chantons, nous avons besoin d’une variante linguistique qui permette à la fois la claire transmission d’un texte et une émission confortable. On peut observer chez de nombreux bons chanteurs de différents répertoires (du « classique » à la musique « pop/ulaire ») des ressemblances dans la qualité de leur diction, avec des particularités repérables déjà dans la voix parlée. Si l’on considère la « bonne diction » comme un système allophonique contribuant au fonctionnement optimal de l’appareil vocal, on comprendra mieux pourquoi on enseigne la diction lyrique qui permet par la suite une meilleure utilisation de la voix parléeégalement. Dans cet article nous présentons brièvement, et de façon pragmatique, cette variante qui, grâce à « l’effet loupe » de la langue chantée, permet une personnalisation de l’italien dans différents répertoires, grâce à sa caractérisation allophonique. La méthodologie utilisée fait appel principalement aux critères physiologiques de la phonétique articulatoire (modes et lieux articulatoires). Seront aussi évoquées deux mélodies « d’aujourd’hui », écrites dans l’esprit pédagogique de Nicola Vaccaj, dont les textes permettent un travail systématisé sur deux arguments phonétiques majeurs : les nasalisations dans quatre langues du répertoire vocal (italien, français allemand et anglais) et la gémination de la consonne italienne, avec ses conséquences rythmiques dans la réalisation musicale et interprétative.
Plan
Texte intégral
Langues chantées : le système allophonique de la diction lyrique italienne
« […] nous avons l’art pour ne point mourir de la vérité. »
Friedrich Nietzsche, Werke, XVI, p. 248, 1911
Les habitudes articulatoires de notre appareil phonatoire, acquises et entraînées tout particulièrement pendant l’enfance, ont leurs racines dans l’apprentissage du langage. Ce sont elles qui, en premier, donnent à notre voix des possibilités d’épanouissement plus ou moins importantes. Notre façon de parler influence directement la qualité de notre émission vocale, parlée bien entendu, mais également chantée, et témoigne aussi de la qualité de notre écoute.
Une technique vocale solide doit tenir compte des qualités de diction de chacun. Cette dernière peut/doit s’adapter aux exigences des différents styles, répertoires et émissions vocales, tout en respectant les possibilités individuelles de chaque appareil vocal, en vue de sa sauvegarde.
La phonétique articulatoire appliquée à l’étude de la langue chantée, qui fonctionne comme une loupe des phénomènes articulatoires, permet de redonner au concept de « bonne diction » une dimension linguistique et phonétique, en le basant avant tout sur la nécessité d’un fonctionnement optimal de l’appareil vocal.
Avec une telle démarche, on respecte un des principaux postulats de la définition d’une langue qui est d’être « unité dans la variété ».
Souvent, les observations sur la bonne diction se tournent vers une recherche mythique de la « langue pure », du « beau » modèle linguistique, s’appuyant sur le modèle écrit, oubliant ainsi la nécessité de restituer la langue à sa dimension orale, riche et nuancée, surtout en vue de son expression chantée…
Dans l’optique phonétique que je propose, le concept de bonne diction doit signifier avant tout la recherche d’une articulation précise, mais souple, indissociable d’une place confortable pour la voix ; sans oublier que cet équilibre ne peut s’obtenir sans un corps souple et « d’aplomb ». C’est cela qui me fait dire souvent que « pour bien prononcer il faut être bien sur ses pieds et sur son bassin ».
Diction lyrique ou diction tout court ?
Le modèle articulatoire que l’on impose au chanteur, au nom de la langue « pure » et de la nécessité de la compréhension du texte, peut être contradictoire avec les capacités d’épanouissement vocal de répertoires qui exigent une puissance vocale, des aigus brillants, proches parfois du cri, une virtuosité mélodique accompagnée d’amples ou micro-intervalles, et tout cela dans des ambitus dépassant souvent les deux octaves, etc. Nos langues parlées, s’exprimant habituellement à l’intérieur d’intervalles qui vont grosso modo de la quarte à l’octave, faisant appel seulement rarement à un usage « yodlé » des deux principaux mécanismes1 (par exemple dans le système intonatif de la langue arabe), doivent adapter leurs modes et lieux articulatoires dans un système allophonique2 qui permette une personnalisation de la langue chantée dans les différents appareils vocaux.
Bon nombre de problèmes vocaux des chanteurs sont liés principalement à une mauvaise diction basée essentiellement :
- sur des voyelles et une « nasalisation » inadaptées au style vocal recherché ;
- sur un trop grand effort « musculaire » dans l’articulation ;
- sur le malentendu qui identifie la bonne diction à une forme souvent « dangereuse » de surarticulation qui peut entraîner à la longue une fatigue, sinon des dommages irréversibles dans le fonctionnement de l’appareil vocal.
La recherche d’un équilibre dans l’articulation doit être le but principal de tout travail sur la diction lyrique.
Diction lyrique italienne
Le bel canto métahistorique, que les Italiens ont divulgué aussi grâce à un modèle de diction dont certaines particularités phonétiques ont été adoptées par d’autres langues chantées, est souvent évoqué par de nombreux chanteurs, car il facilite leurs performances.
« Pour en venir au chant, je confesse ne pas éprouver le même plaisir en allemand qu’en italien. En italien, je ne dois produire aucun effort, je me régale à dire les mots et tout devient plus facile, même si la couleur exacte des voyelles est difficile à trouver. » (Natalie Dessay3)
« Chantez l’allemand comme l’italien. Vous allez ainsi rendre service à notre langue ! » (Hans Hotter)
« L’artsouverain de tout chanteur est dans le legato et le portamento, art italien de lier les sons, de faire en sorte qu’ils ne soient pas une succession, mais une intégration. » (Dietrich Fischer-Dieskau4)
Ici, bien entendu, il ne s’agit pas de créer une quelconque hiérarchie linguistique, car toutes les langues ont leur propre « art du chant », mais d’expliquer pourquoi la langue italienne est si souvent chérie par l’expérience proprioceptive5 de nombreux interprètes du répertoire vocal.
En réalité, ce n’est pas la langue italienne qui est en cause, mais justement son modèle de diction. Si l’on met de côté leur aspect anecdotique, les phrases citées plus haut, réunissant des chanteurs classiques de différentes générations, résument quelques aspects du modèle de diction que les Italiens ont pu donner au chant de leur langue, grâce à son histoire linguistique particulière et au « bilinguisme » singulier qui perdure encore aujourd’hui en Italie6. En effet, mis à part les « coquetteries » irréalisables, présentes dans quelques traités de chant dont celui du castrat Giovanni Battista Mancini qui conseillait de chanter sur la variante de « la langue florentine sur la bouche d’un habitant de Sienne avec la grâce de l’accent de Pistoia » (1777, p. 223), le modèle oral de l’italien chanté, utilisé notamment dans le répertoire d’opéra, s’est constitué dans un climat de liberté et de tolérance qui a permis de réunir des modes et lieux articulatoires qui ont facilité l’épanouissement des voix et la mise au point d’une technique où les aspects de la diction sont idéalement intégrés : l’approche pédagogique du Metodo pratico de Nicola Vaccaj7, « maestro di canto e di lingua », en est un exemple saisissant.
Prendre en compte ce modèle permet entre autres de distinguer les erreurs de prononciation de celles de diction : si les premières concernent la capacité d’interpréter l’écriture d’une langue, les deuxièmes indiquent en revanche la qualité des modes et lieux articulatoires que recherche toute approche correcte de la diction lyrique, afin de faciliter et équilibrer l’émission vocale.8
La variante italienne emblématique de ce modèle de diction n’est pas plus parlée à Florence9 qu’à Rome ou Milan, car aucune ville ou région n’a l’apanage de cette variante chantable de l’italien oral qui peut s’appliquer à de nombreux répertoires chantés. Cette variante linguistique fonctionne comme un « accent » particulier que l’on peut définir comme « beau » (bel canto !) uniquement dans le sens de la facilité et de la liberté de l’émission vocale qu’il peut/doit engendrer : le terme buoncanto de Giulio Caccini paraît d’ailleurs plus approprié.
Les principes articulatoires de ce modèle de diction :
- permettent d’accepter les nombreuses variantes linguistiques de chanteurs qui lui ont « fait honneur » : de Tito Schipa à… Carlo Bergonzi par exemple, qui ont coloré les voyelles italiennes, respectivement aux « accents » du sud (Lecce) et du nord (Vidalenzo/Parme) de l’Italie, sans trahir le « buon canto » italien ;
- peuvent s’appliquer à toutes les langues du monde, car ils permettent de respecter la personnalité vocale de celui qui les parle/chante, tout en obéissant à la plupart des règles de prononciation des langues concernées.
Ces variantes généralisent certaines particularités articulatoires déjà dans la phonation parlée, avec une nasalisation pondérée qui accompagne un « ruban » de voyelles longues, avec des consonnes bien intégrées10 et à la hauteur de la note, dans un lieu articulatoire oro-nasal évoqué par les termes italiens de vocali profonde (voyelles profondes) où naît la « mezza voce » qui permet la « messa di voce », produisant un mécanisme que l’on retrouve ensuite dans les « suoni filati »11, etc.
L’attitude posturale du chanteur (des pieds… à la tête !) et sa capacité de détente de l’appareil vocal, avec une apnée cordes ouvertes, accompagne ce modèle linguistique qui nous permet aussi de préciser le concept de bonne diction défini comme un système « allophonique ».
Grâce à une telle démarche, les langues chantées peuvent donc être traitées comme des « variantes linguistiques » nous indiquant des modes et lieux articulatoires qui, tout en réalisant une parfaite intelligibilité de la langue en question, permettent un épanouissement souple de tout appareil vocal.
Qu'est-ce que l'apnée ouverte ?
Un détail fondamental pour la réalisation du modèle de diction lyrique résumé ici, qui par ailleurs précise les propos de la note 8, est le contrôle, ou l’acquisition, de l’apnée ouverte (ou respiration profonde) décrite ci-dessous par le célèbre pédagogue américain Richard Miller, illustrée par ailleurs par le linguiste suédois Bertil Malmberg dans le dessin B ci-dessous :
« Dans le chant, l’attaque coordonnée ne se produit que si la glotte a été entièrement ouverte lors de l’inspiration précédente. Ce total écartement des cordes vocales est suivi d’une fermeture nette et précise. L’ouverture partielle de la glotte, qui se produit par exemple lors de la respiration normale, par opposition à la respiration profonde, ne peut être suivie d’un début du son aussi net que celui exigé dans le chant savant. […] C’est en cette régulation du début du son que réside le germe de tout acte vocal correct. La préparation à un bon début de la phonation doit être composée d’une inspiration correcte, suivie du positionnement approprié des cordes vocales (sans éprouver aucune sensation au niveau du larynx) », Miller Richard, La Structure du chant, pédagogie systématique de l’art du chant, Paris 1990, Éditions Ipmc, p. 6.
L’apnée « cordes ouvertes » :
Une présentation API du système allophonique de la diction lyrique italienne
API12
La description qui suit est volontairement une courte et pragmatique présentation du système phonétique de la langue italienne en vue de l’émission chantée, tel qu’il est enseigné aux élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Elle témoigne aussi d’une démarche pédagogique de synthèse13 qui permet un premier accès rapide à des problématiques essentielles de la phonétique, pouvant faciliter ce type d’approche de la langue en musique.
Pour obtenir une bonne diction de la langue italienne, facilitant en même temps l’émission chantée, il faut apprendre à distinguer les 37 articulations du tableau ci-après qui comprennent à la fois des phonèmes et des allophones. Il faudra donc savoir les personnaliser, en les différenciant aussi bien entre elles que par rapport à celles qui leur sont très proches dans d’autres langues.
Quelques-unes de ces articulations (en italique dans cette présentation) ne sont pas mentionnées dans les dictionnaires qui comportent une transcription API, mais elles sont essentielles à une « bonne diction » de l’italien. Pour avoir des exemples de mots italiens correspondant aux symboles ci-dessous, voir dans les pages suivantes.
Terminologie phonétique essentielle : voisées et non-voisées ; continues et momentanées…
Si nous ne perdons pas de vue qu’un de nos buts principaux est celui d’entraîner un modèle de diction qui tienne compte de la qualité de l’émission vocale, il est important de savoir utiliser correctement quelques termes de la riche terminologie de la phonétique, afin de classer les sons de nos langues, car ils rendent service à la construction d’une bonne technique vocale.
Les termes voisée et non–voisée (qui évoquent la présence de vibration des cordes vocales), venant de l’approche articulatoire de la phonétique, auxquels correspondent respectivement les termes sonore et sourde de la phonétique acoustique, sont plus connus et utilisés que les termes : articulations continues et momentanées.
Ces derniers termes renferment pourtant des notions très importantes lorsque l’on fait référence au fonctionnement de la langue chantée.
S’il est important de savoir que nous pouvons produire à la fois des articulations « avec la voix »(les voisées, correspondant à des sons périodiques) et « sans la voix » (les non-voisées, correspondant à des sons non-périodiques), les sous-catégories continues et momentanées nous rappellent respectivement que nous produisons aussi bien des articulations qui peuvent être tenues, pour les unes, « à longueur de souffle », tandis que les autres segmentent la chaîne phonique, car elles ont besoin pour exister phonétiquement de la présence d’une voyelle. Prononcez par exemple les voisées « v » et « b » : le « vvvvvvvvvv » permet une continuité dans le son que « b » ne peux pas avoir, car il a une existence « momentanée », ayant besoin d’une voyelle pour être prononcé : bababa, bebebe, etc.
Ces détails articulatoires exigent une attention toute particulière, afin de ne pas briser le legato que demandent la plupart des phrases musicales ; un legato qui évite des serrages inopportuns (souvent inconscients !) produits par des consonnes surarticulées.
Tous ces termes permettent en outre de mieux distinguer d’importants phénomènes articulatoires et d’éviter certaines ambiguïtés entretenues par la phonétique15 : notamment la nécessité de distinguer les nasalisations des consonnes nasales.
L’homorganicité 16 est une qualité articulatoire, évoquée souvent par les phonéticiens à propos des nasales, mais elle concerne surtout les « nasalisations » qui dans le modèle présenté sont à la fois continues et relâchées: anche, ancia, tonfo, tempio, tandis que les « consonnes nasales » sont momentanées et tendues17 : nano, canna, legno, etc.
Les positions :
- voyelle + « n »ou « m » + autre consonne,ou
- « n » ou « m » en fin de mot,
produisent des articulations relâchées et continues (homorganiques, voir note 15) qu’on peut appeler « nasalisations » en italien, mais aussi en allemand et anglais… tandis que la langue française les a « transformées » en voyelles nasales.
Le tableau ci-dessous résume en quelque sorte le passage progressif de la voyelle orale à la voyelle nasale... :
Paolo Zedda, 2003, « Varietà et qualità dell’articolazione nasale : dal parlato al canto », actes du congrès Il parlato italiano, Naples, 2003, M. D'Auria Editore (CD-ROM).
Ci-dessous des exemples « doubles », à prononcer en italien et français… :
Sentiment(o), sang(ue), invite/o, son, illusion,etc.
Les positions de « n » ou « m » :
- en début de mot,
- avec des simples ou doubles consonnes entre deux voyelles,ou
- précédées de consonnes
produisent des « consonnes nasales » ; autrement dit, des articulations tendues et momentanées :
nota, anno, amnesia etnico, ammirare, Maria, amare, somma
note, année, amnésie, ethnique, admirer, Marie, aimer, somme, etc.
Il est intéressant d’observer que les mots anno/année et somma/somme peuvent se prononcer avec une nasalisation qui accompagne plus ou moins la consonne nasale, selon la qualité de la diction, et que le « m » de organisme(o) est consonne nasale en français et en italien, mais en anglais c’est une nasalisation : organism18.
Les consonnes nasales sont précédées d’une « nasalisation » plus ou moins importante selon les sujets, les émissions, la qualité de la diction et la nuance expressive du mot ou de la phrase.
Observons, pour finir, comment d’anciens copistes avaient parfois senti la nécessité de noter ces nasalisations avec une évidente intuition phonétique : le tilde, utilisé aujourd’hui par l’API pour noter les voyelles nasales françaises, remplace ici la consonne nasale pour mettre en évidence la voyelle nasalisée de la nasalisation :
au lieu de : Degnati o gran Fernando, Tu, che sempre abborristi, e Marsia,
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au lieu de : Ah crudo è ben quel core, |
au lieu de : Ohi me convien ch’io mo------ ra |
Extraits du Secondo libro d’arie musicali per cantarsi nel gravicembalo, e tiorba: a una, a dua e a tre vocide Girolamo Frescobaldi, imprimé en 1630.
Une façon claire d’essayer de signaler/rappeler au lecteur qu’il faut ajouter une simple résonance nasale à la voyelle au lieu de prononcer une “vraie” consonne nasale qui provoquerait tous ces “e” parasites qui déforment les mots et compliquent la diction legato : gran Fernando, crudo è ben quel, convien qui deviennent :
GranəFernando, crudo è benəquel, conəvien*
* [ ə ]= un « e » qui ressemble à celui que l’on prononce dans le mot « petit » !
Modes et lieux articulatoires
Particularités des articulations voisées :
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- 5 voyelles : [a] , [e] , [i] , [o] , [u]; + les deux variantes « puristes » [ɛ],[ɔ]19 |
La difficulté majeure est celle de trouver des couleurs « italiennes », facilitant la technique d’émission vocale, parmi les nombreuses nuances qui accompagnent les voyelles dans les différents styles et répertoires. C’est dans ce sens qu’il fallait lire la phrase deNatalie Dessaycitée plus haut : « même sila couleur exacte des voyelles est difficile à trouver ! »
- 4 nasalisations déjà largement présentées : de type [ n] ou [ m];
correspondantes aux 4 symboles habituels:
[ŋ]*sangue, non gode ; [‘saŋgwe] ou [‘sangwe], etc.
[n] sento, in tempo ; [‘sento] ou [‘sen to], etc.
[ɱ]* invidia, un vuoto ; [iɱ’vidja] ou [im‘vidja], etc.
[m] impara, non posso, in pena, un prato ; [im’paɾa, nom’posso,] ou [im’paɾa, nom’posso];
la difficulté majeure étant celle de sentir leur articulation relâchée qui « envahit » la bouche et permet de chanter « avec le nez » et non « dans le nez » ! Le pharynx doit rester détendu et « ouvert » ; la sensation articulatoire doit être « vélaire ».
- 3 consonnes nasales :
[n] uno, nave, danno
[m] amo , mare, flemma
[ɲ] gnomo, sogna, ragni, [‘ɲomo],
Je rappelle que dans cette variante, elles sont associées à une nasalisation.
Les latérales
Il s’agit de consonnes dont le mode articulatoire donne la sensation que “l’air” passe des deux côtés du “barrage” fait par la langue, d’où le nom. Le « l » est une consonne qui n’est souvent pas assez articulée et qui « passe » mal dans les phrases chantées. Dans cette variante linguistique, le [ʎ] ne se prononce pas avec la pointe, mais avec le dos antérieur de la langue (voir plus loin, dans les dessins représentants les 4 principaux mouvements articulatoires que demande cette variante de la langue italienne : mouvement M II ).
- 3 latérales :
[l] alvéolaire : lana, pelle,
[l] dental : pala, sole, male (articulation qui reste proche de l’arcade dentaire inférieure)
[ʎ] paglia [‘paʎʎa] , soglio, veglio, etc.
Les vibrantes
On appelle ainsi les articulations qui produisent une vibration dans une partie de l’appareil phonatoire. En italien, c’est une partie « bien antérieure » de la pointe de la langue qui produit les deux principaux « r » : un « r » monovibrant et un « r » polyvibrant.
- 2 vibrantes :
[ɾ]*monovibrant : caro, amore, morire, [‘kaɾo] etc… ,
principalement entre deux voyelles à l’intérieur d’un mot, et dans quelques enchaînements : per amare, etc. et éventuellement, treno, prato ( « r » précédé d’une autre consonne)
[r] polyvibrant : rete, Roma, carta, carro, mais aussi treno, prato
dans tous les autres cas (début de mot, suivi de consonne, redoublé)
(*symbole API absent des dictionnaires)
Le « r » monovibrant est souvent confondu avec un « l » simple par de nombreux locuteurs : on « préfère » alors prononcer « morrirre » au lieu de « morire » par peur de prononcer « molile »… : [ɾ] et [l] dentale étant allophones en français. Autrement dit, ces sons étant très proches, on peut prononcer malaise ou placer par exemple avec un [ɾ] monovibrant italien ou un [l] dental sans que le sens ne change…
Il faut veiller à la qualité du voisement du « r », pour le distinguer de la variante non-voisée présente dans d’autres langues, dont l’allemand.
Les constrictives (fricatives)
Ce terme évoque la production de sons obtenus par le resserrement d’éléments de l’appareil phonatoire : la langue et les alvéoles pour le [z] dans « mese » ; la lèvre inférieure et les incisives supérieures pour le [v] dans « prova » ; etc. Il faut faire attention aux crispations de la mandibule surtout dans [z], [v] et à ne pas les articuler comme des occlusives ; mais aussi, à ne pas articuler [j] et [w] comme des voyelles « i » et « u » et à prononcer [ʃ], [s], [f] comme des « fuites d’air », sans serrages (excès de constriction).
- 4 constrictives voisées :
[j] fiore, piove [‘fjoɾe]
[w] cuore, quando [‘kwoɾe]
[z] posa, casa [‘poza]
[v] cavo, vaso
- 3 constrictives non-voisées :
[ʃ] scena, pesce [‘ʃena]
[s] seno, fosse
[f] fatto, tuffo
Les occlusives
Comme l’exprime bien le mot, ces articulations créent une fermeture momentanée dans différentes zones de l’appareil phonatoire : les deux lèvres pour [b]; la pointe de la langue avec surtout les incisives supérieures pour le [d] ; le fond (dos) de la langue avec le « début »du voile du palais pour [g].
- 3 occlusives voisées :
[b] bada, babbo
[d] dove, ridda
[g] gode, leggo
- 3 occlusives non-voisées :
[p] pace, perdo, sappia
[t] tempo, tiro, petto
[k] caro, chino, bocca [‘kaɾo]
Il faut éviter de trop « exploser » ces consonnes en les prononçant :
- bien poser la pointe de la langue sur les dents pour [d] et [t] ;
- chercher un lieu « vélaire » pour [g] et [k] (prononcés souvent comme des alvéolaires !)
- ne pas ajouter à l’occlusion bilabiale de [b] et [p] des serrages pharyngés. De plus, en général, il ne faut pas exagérer leur articulation ; sinon on crée souvent des tensions dans la langue ou dans le pharynx et une participation des fausses cordes (voir note 8).
Les mi-occlusives (affriquées)
Il s’agit d’articulations intermédiaires entre les constrictives et les occlusives.
Les premières (par exemple [ʃ] dans « scena ») rétrécissent le canal buccal dans certains lieux articulatoires, en obligeant l’air/son à passer (s’infiltrer) dans le « petit passage » qui reste, ce qui provoque l’articulation constrictive ; les deuxièmes (par exemple [t] dans « tema ») ferment complètement, ne serait-ce que pour un « très court instant » le passage à l’air/son, créant ainsi la consonne occlusive ; en revanche l’articulation mi-occlusive (ou affriquée) frictionne, masse les parties de l’appareil buccal qui entrent doucement en contact.
De nombreux chanteurs étrangers ont tendance à prononcer ces articulations comme des occlusives : le [dʒ] dans raggio devenant souvent [tʃ] « raccio », très proche donc de la mi-occlusive non-voisée.
- 4 mi-occlusives voisées :
[ð]*cade, odore , ed io… [‘kaðe]… [e’ðio] (à ne pas confondre avec « e Dio » [e’dio])
[dz] zona,mezzo, ronza [’dzona], etc.
[dʒ] giocare,ragione, fuggi [dʒo’kaɾe], etc.
[ɣ]*vago, segreto [’vaɣo], etc.
(*symbole API absent des dictionnaires)
- 2 mi-occlusives non voisées :
[ts]** ozio , mazzo, [’otstsjo], [’matstso], etc., à ne pas confondre avec [dz]
[tʃ] cena, bacio, tace [’tʃena] [’batʃo], etc.
Il est souhaitable d’utiliser l’avancement de la lèvre supérieure pour obtenir une bonne sonorité du [dʒ]; pour [ð], sortir légèrement la pointe de la langue, comme dans le « th » anglais de « think » par exemple, et pour [ɣ], faire glisser le dos de la langue doucement sur le voile du palais tout en gardant une mandibule souple.
Les huit articulations non-voisées
Par rapport à d’autres langues, l’italien compte peu d’articulations non-voisées !
Pour obtenir leur bonne diction dans la variante linguistique décrite, et garder ainsi un bon legato, il suffit de suivre les conseils déjà évoqués dans les modes articulatoires des voisées respectives.
- 3 constrictives :
[f] fatto, tuffo
[s] sassi, messa
[ʃ] scena, pesce
- 2 mi-occlusives :
[ts] pazzo, azione
[tʃ] luce, sociale, laccio
- 3 occlusives :
[p] peso, sapore, sappia
[t] teso, potere, tatto
[k] caso, pacato, sacco
Les consonnes suivantes se prononcent toujours comme des doubles :
[ʎ] bagliore [ɲ] signore [ʃ] lasciare [dz] ozono [ts] pozione
On redouble d’ailleurs le symbole API entre deux voyelles dans la transcription phonétique : [baʎ’ʎoɾe] , [siɲ’ɲoɾe] , [laʃ’ʃaɾe ], etc…
Les « groupes consonantiques » (nessi consonantici) les plus difficiles à articuler en italien sont du type « str » ou « scr » (strada, scrigno, etc.).
Une voisée (le « r » dans ces cas) atténue toujours l’enchaînement de deux consonnes non-voisées : le célèbre « E’ strano » de Violetta ou le « Eh, scrivi, dico, e tutto io prendo su me stessa… » de la Comtesse des Noces de Figaro.
On est loin des groupes consonantiques contenus par exemple dans cette phrase allemande chantée par Papageno : « Und mich aufs Pfeifen zu verstehn » ou dans le russe « Ты лети за ясным солнцем вслед. (Ti lieti za iasnim solntsiém fsliét) » de la célèbre chanson traditionnelle Katjusha…
Par ailleurs, dans les cas où deux voyelles de même « couleur » se suivent, comme dans « si inizia » , « se entra », « vada a casa », « vago oggetto », les Italiens généralement articulent une variation tonale qui permet d’entendre les deux voyelles sans les « réattaquer » comme l’exigent l’allemand, le latin , l’anglais….
Toutes ces particularités articulatoires nous permettent de décrire le système allophonique de la bonne diction. D’après la terminologie phonétique, décrire le système « allophonique » de la bonne diction signifie ici faire un choix parmi les nombreuses variantes du système phonologique d’une langue, en choisissant ces allophones (ou variantes combinatoires) qui les rendent particulièrement propice à l’épanouissement d’une voix en bonne santé.
Gymnastique articulatoire des muscles de la langue
Voici ci-dessous une illustration des 4 principaux mouvements articulatoires que demande cette variante de la langue italienne :
M I est un mouvement qui permet la mobilité de la pointe de la langue indépendante de la mâchoire. Le soprano allemand Elisabeth Grümmer qui fut aussi une très grande pédagogue que j’ai côtoyée à l’École d’Art lyrique de l’Opéra de Paris utilisait le mot « lana », prononcé à l’italienne (M I), dans un exercice de technique vocale qui profitait de cette gymnastique articulatoire pour assouplir la voix.
M II en revanche permet de stimuler et "ouvrir" un espace pharyngé de résonance grâce à la langue en avant et la pointe qui touche la couronne dentaire inférieure.
M III permet un travail important du dos de la langue dans un lieu vélaire, une gymnastique absente dans l’articulation du français standard.
M IV, avec les dentales occlusives et mi-occlusives, entraîne la présence de la pointe de la langue en avant, une qualité essentielle pour garantir la bonne diction.
Variantes linguistiques et « solfège »
Toutes les consonnes de la variante à peine décrite s’articulent en règle générale en anticipant le temps20 et à la hauteur de la note qui suit.
Comme Nicola Vaccaj nous l’avait signalé dans les deux premiers exercices de sa célèbre méthode21, rejoignant ainsi une autre qualité phonétique de cette variante de la langue chantée, les syllabes articulatoires sont toutes « ouvertes » :
« Pour faciliter aux étrangers la syllabation en chantant, j’ai pensé dé/montrer comment unir les syllabes différemmentde ce qu’enseignent les maîtres de langue italienne, puisque j’ai remarqué qu’ils mettent une scrupuleuse attention à s’en servir dans le chant, comme si ici on épelait. »22
Autrement dit, le célèbre « Semplicetta tortorella che non vede il suo periglio… » qui figure dans la méthode de Nicola Vaccaj se chante :
A) Se--mpli--ce--tta to--rto--re--lla che no--nve--dei--lsu-o pe--ri--glio, etc…
avec des syllabes ouvertes, et non
B) Sem--pli--cet--ta tor--to--rel--la che non ve--de il suo pe--ri--glio , etc…
comme dans la séparation syllabique de la langue écrite qui distingue justement les syllabes ouvertes et fermées selon qu’elles se terminent respectivement par une voyelle ou par une consonne (B) !23
Dans la présentation de la première leçon, Nicola Vaccaj nous disait en effet :
« La division des syllabes dans cette première leçon est« hors de l’ordinaire » pour donner le plus possible une idée de la façon de prononcer en chantant, comment on doit réaliser, avec la voyelle, la durée entière d’une ou plusieurs notes, et unir la consonne à la syllabe qui suit.
Avec cela, ce sera plus facile d’apprendre le chant legato, une chose que l’on ne peut parfaitement enseigner qu’avec la voix d’un maître avisé. »
Des « vocales d’aujourd’hui » pour entraîner ces systèmes allophoniques
Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris a contribué à la création de deux ouvrages pédagogiques consacrés à la musique « contemporaine », grâce à la participation, en tant qu’interprètes, de quelques étudiants chanteurs et instrumentistes qui ont permis des enregistrements de qualité dans les CD qui accompagnent les pièces présentées.
Le premier recueil, publié en 2004, Vocales 2000, a été réalisé avec la collaboration de l’Association française des professeurs de chant (AFPC), qui en 1997 avait contacté environ 150 compositeurs en leur demandant d’écrire des « pièces » courtes en vue d’un travail préparatoire à la vocalité contemporaine dans l’esprit de la méthode de Nicola Vaccaj.
En 2011, Vocales d’aujourd’hui continue cette opération de sensibilisation, en présentant entre autres deux mélodies qui permettent d’exercer deux caractéristiques fondamentales du système allophonique qui fait l’objet de cet article : l’intériorisation du rythme, véhiculé par le partage temporel entre voyelles et consonnes, et la qualité de résonance de la voix exprimée par les nasalisations.
Jean-Christophe Dijoux et Isabelle Aboulker ont mis en musique deux textes que j’ai conçus dans l’esprit pédagogique de Nicola Vaccaj, afin de faire un travail systématique sur deux aspects essentiels de la langue chantée, respectivement : l’intensité articulatoire des consonnes, qui tient compte du phénomène, phonologique et rythmique à la fois, de la gémination en italien (autrement dit, les « simples » et les « doubles » consonnes) et l’articulation des nasalisations qui ont une influence décisive sur la qualité de l’émission vocale, lorsqu’on repère le lieu articulatoire oro-nasal.
« Quelle excellente chose ce serait si les professeurs de chant enseignaient en même temps la diction, et si les professeurs de diction enseignaient en même temps le chant ! Mais puisque c’est impossible, il nous faut avoir des spécialistes des deux techniques, travaillant parallèlement. »24
Cette citation peut être étendue aux nombreux musiciens, dont les enseignants de formation musicale, qui devraient connaître et contrôler l’influence directe de leur « prononciation » de la musique, notamment dans l’enseignement du solfège.
Observons tout d’abord le texte de la mélodie Essences de temps, mis en musique par Jean-Christophe Dijoux, qui permet d’étudier les effets de la gémination consonantique dans les rythmes musicaux.
Le choix privilégié de l’accompagnement au clavecin qui connaît dans son articulation instrumentale un mécanisme de retard sonore, que l’on retrouve dans une forme moindre dans le « double échappement » du piano, accompagne bien le problème de la consonne, avant ou sur le temps, et sensibilise l’exécutant à ce délicat problème d’écoute. Voici tout d’abord deux tableaux qui présentent quelques particularités de la construction du texte, sa transcription API et la traduction.
Voici maintenant un tableau qui classe les mots du texte par rapport à leur similitudes articulatoires :
Ce texte, écrit avec les vers les plus célèbres et « libres » de la langue italienne, l’endecasillabo et le settenario (respectivement 11 et 7 syllabes), utilisés tout particulièrement dans le style recitativo, vise une prise de conscience de la qualité et de la place des consonnes et des voyelles dans le rythme musical.
La langue italienne standard permet en effet d’intérioriser une grande variété rythmique, grâce à l’alternance phonétique des « simples » et des « doubles » consonnes dont la valeur phonologique double la perception de chaque rythme que l’écriture musicale habituelle ne signale pas !25
Les « doubles consonnes » écourtent les voyelles qui les précèdent en rendant inégales les valeurs rythmiques de même nature, sans oublier que l’accent tonique en italien se réalise avec des voyelles allongées ; ce qui trouble de nombreuses oreilles ! Le tableau qui suit est une présentation de ces alternances avec une constante : la consonne « r » étudiée dans toutes les différentes positions de paroles « piane » (avec un accent sur la pénultième) de quatre syllabes. Je fais répéter aux chanteurs ces mots, par colonne et par ligne, afin qu’ils apprennent à « sentir »l es différences apportées par ces alternances simple/double consonne sur la multiple perception des rythmes réguliers et pointés dans les deux premières syllabes :
D’abord avec
et ensuite avec :
Les + et ++ indiquent la présence des simples et doubles consonnes dans les mots.
On peut définir une double comme une consonne « tendue » (articulée de façon énergique), écourtant plus ou moins la voyelle qui précède, selon sa position par rapport à la syllabe tonique. En général, on caricature toutes les doubles consonnes comme dans le mot « babbo », ignorant que l’éloignement de l’accent affaiblit le léger arrêt qui écourte la voyelle : « babbo, babbino, abbandonata » ou bien « tutto, attento, attenzione ».
Lorsqu’on prononce babbino comme babbo on risque de plus de déplacer l’accent : babbino, transformant ainsi la “piana” en une “sdrucciola” (accent sur l’antépénultième).
« En ce qui concerne la difficulté de dire quelques paroles, comme « tutto » par exemple, cela ne peut venir que de la vive voix d’un précepteur, et j’aurais fait un dictionnaire inutile en les énumérant tout simplement. »26
Issus de la langue écrite, les termes simple et double, qui nous rappellent la représentation orthographique des mots, pourraient être remplacés relativement par intensité articulatoire faible/relâchée (pour la simple) ou renforcée/tendue (pour la double)27, sans oublier que selon les langues et leurs variantes, certaines consonnes « doubles » peuvent être ressenties comme simples et, vice versa, on oublie de doubler d’autres consonnes…
Cela vient de la qualité des différents « accents » régionaux qui dans chaque langue peuvent se partager en deux grands groupes : les variantes « vocaliques » (avec de longues voyelles) ou « consonantiques » (où une articulation plus énergique des consonnes réduit considérablement l’espace des voyelles). En Italie, à l’accent très vocalique, et sans « doubles » consonnes, de Venise, s’oppose par exemple l’accent riche en consonnes des habitants de Sassari (Sardaigne du nord-ouest).
Pour une bonne compréhension, nos oreilles demandent souvent une articulation en miroir de notre propre prononciation. Des consonnes trop articulées gêneront l’écoute de ceux qui parlent une variante vocalique de leur langue maternelle et vice versa… Au-delà des aspects phonologiques28 qui font donc qu’une phrase comme « il caro core »(« le cher cœur ») risque souvent de devenir un « char qui court » (« il carro corre ») si on ne respecte pas la qualité de monovibrante du « r » simple, ou qui transforment le célèbre « M’ama » (« elle m’aime ») de Nemorino, dans la « furtiva lagrima » de L’elisir d’amore de GaetanoDonizetti, dans un appel de détresse (?) à la « mamma » (« maman »), à cause du redoublement du « m », etc., ce phénomène affecte aussi bien une des qualités articulatoires de la langue italienne que son « allure » prosodique. Nous venons de l’observer dans l’exemple de « babbino », dont la prononciation erronée peut même affecter la perception de l’accent.
Dans des tests de discrimination auditive conçus pour les francophones29, qui ont comme but de dissocier la perception de l’accent par rapport à la consonne, des erreurs reviennent systématiquement : par exemple, dans des mots come verrò, fallì la double consonne peut détourner l’accent, faisant croire qu’il est plutôt dans la syllabe soulignée verrò, fallì. Cela est en relation avec le fait que de nombreux francophones, dans un mot comme voilà par exemple, perçoivent l’accent plus sur le « v » que sur la voyelle « a » ! En effet dans la langue française s’est développé un système de contre-accents où les accents expressifs l’emportent souvent sur les accents toniques30.
De nombreux étudiants en musique (dont de nombreux chanteurs) manquent de rigueur rythmique à cause entre autres d’une solmisation (pratique du solfège) où l’on ne donne pas à la diction du « texte », accompagnant cet apprentissage, l’attention qu’elle mérite ; cela concernenotamment l’intensité articulatoire des consonnes et leur « place » (avant ou sur le temps) : par exemple dans la prononciation du nom des notes (le cas échéant !), dans d’éventuelles onomatopées (ta ta, ti ti, etc.), dans les paroles versifiées d’un déchiffrage chanté par exemple, etc.
La diction des consonnes joue un rôle essentiel dans l’apprentissage et l’expression d’un rythme devant s’accorder entre les différents partenaires de musique.
Ces consonnes intériorisées se réalisent dans le jeu (l’enfoncement du doigt, le coup d’archet, etc.), ou dans la direction de choeur ou d’orchestre (le début du geste de la battue, plus ou moins anticipée), des « consonnes » et des « voyelles » qui marquent le véritable début du son.
À l’écoute d’un texte chanté, afin de créer l’indispensable complicité musicale, l’instrumentiste (pianiste ou autre) va prendre comme référence rythmique le début de la consonne ou celui de la voyelle, autrement dit : la consonne sur le temps ou en anticipation du temps. Une célèbre pianiste accompagnatrice française m’a avoué un jour avoir dû réapprendre, après un séjour en Allemagne et grâce à une masterclass sur le lied, à accompagner les chanteurs en sentant les voyelles sur le temps et non la consonne, comme elle l’avait pratiqué jusque-là !
La mélodie Babéliques résonances d’amour (2009), mise en musique par Isabelle Aboulker, permet d’exercer en parallèle les articulations nasales dans quatre langues majeures du répertoire vocal classique : allemand, anglais, français et italien.
Voyons tout d’abord une schématisation des mots utilisés pour le texte :
Voici le texte de la mélodie avec la transcription phonétique et la traduction :
La présence des vocalises qui permettent un repérage articulatoire des allophones [ ɱ ] et[ ŋ ], présents dans la prononciation des mots des langues proposées, et ensuite celles sur [ m] et [ ɔ̃ ]31, qui permettent de fixerles articulations à peine prononcées, dans le « mélange babélique » proposé, facilitent l’accès à une gymnastique articulatoire produisant des résonances déterminantes pour la qualité de l’émission vocale de chaque chanteur, tous styles confondus.
Par ailleurs dans le mot français « sentiment », qui contient deux voyelles nasales de type [ã] , en ajoutant un « o » à la fin, on obtient l’italien sentimento où l’on peut/doit sentir l’articulation des nasalisations relâchées et continues : la résonance nasale vélaire, qui se rajoute à la fin des voyelles « e », est en effet seulement partielle (par rapport à la voyelle nasale), et produite avec un léger abaissement du voile du palais, dans un lieu articulatoire oro-nasal qu’il faut connaître et sentir pour homogénéiser toutes ces différentes articulations. En comparant plusieurs langues, on peut observer que les consonnes nasales peuvent avoir un statut articulatoire différent : en anglais, par exemple, où la nasalisation du mot organism devient par contre une « vraie » consonne nasale, tendue et momentanée, dans le mot français organisme ou dans l’italien organismo…
Le troisième « terme » : oro-nasal
J’aimerais conclure cet article en soulignant les qualités de l’espace oro-nasal plusieurs fois évoqué, car il est un des principaux supports de la variante linguistique décrite ici qui facilite l’émission vocale et que la mélodie Babéliques résonances d’amour permet de repérer et entraîner.
En phonétique, on oppose souvent les articulations orales et nasales, ignorant ou négligeant l’existence d’un lieu articulatoire intermédiaire où elles se mélangent, créant un espace idéal pour la bonne diction de n’importe quelle langue !
Des articles sur l’utilisation des articulations nasales dans le chant apparaissent régulièrement, suscitant des polémiques entre les défenseurs et les détracteurs de ce type de recherche vocale à travers ce repère phonétique.
Même dans de nombreuses études qui s’appuient sur des analyses acoustiques, on essaye d’isoler l’oral du nasal en confondant souvent une voix « dans le nez » (nasillarde) et « avec le nez », cette dernière correspondant mieux aux exigences exprimées par de nombreux pédagogues de la voix.
Le terme récent, de mystérieuse origine, « moïto » qui correspond à un exercice de technique vocale sur l’allophone [ ŋ ], apparenté aux nombreux autres exercices dits « bouche fermée » (« humming » en anglais), témoigne pourtant de la recherche d’une résonance vocale trouvée à l’aide de ces types d’articulation.
Un bon travail sur la diction lyrique, distinguant les consonnes nasales des nasalisations, permet de repérer ou renforcer les sensations proprioceptives de ce lieu vélaire qui correspond au « back space » dont parlent de nombreux pédagogues américains, ou aux « vocali profonde » de la vieille école italienne de chant, etc.
On peut par ailleurs observer/entendre cet espace où oral et nasal sont mélangés, dans les voix des bébés avant l’éducation au langage.32
N’oublions pas qu’une voix de bébé peut facilement rivaliser avec celle, puissante, d’un soprano, car elle contient justement les caractéristiques acoustiques regroupées sous différents termes : celui consacré de « singing formant »33 qui autrefois s’appelait « squillo », dans une terminologie qui nous vient de l’ancienne école de chant italienne, mais aussi plus récemment le « twang » évoqué par la méthode Voicecraftet recherché entre autres par le Speech Level Singing di Seth Riggs,ou le « mix-belting » d’Elisabeth Howard (des approches techniques, ces dernières, qui incluent aussi les musiques actuelles).
Voici « in fine » un exercice34 que l’on peut faire pour repérer ce lieu oro-nasal.
En bouchant vos narines, prononcez ces phrases :
Si vous ne sentez pas d’obstacles au moment de la prononciation des nasalisations vous l’avez « trouvé » (!), sinon il faudra le « sentir » en essayant de reculer la zone articulatoire jusqu’à sentir ce lieu vélaire qui permet son épanouissement : la voix qui l’accompagne n’est pas puissante, mais lorsqu’elle est soutenue par une posture corporelle correcte et une technique de souffle équilibrée (appoggio35), elle peut s’amplifier (sans microphone !), facilitant ces suoni filati (voir note 9) qui permettent une bonne « suspension » et maîtrise du son.
Les chanteurs qui possèdent « naturellement » cet espace oro-nasal doivent le reconnaître et le préserver ; les autres peuvent l’acquérir grâce à un travail correct sur la diction lyrique, car il garantira non seulement une meilleure diction du texte, mais deviendra aussi un des éléments « porteur » de leur voix.
Les pédagogues du chant (du professeur de chant… aux coaches de toutes sortes) devront aussi s’habituer à écouter et discerner les nuances phonétiques qui accompagnent ces articulations, lorsqu’elles sont bien prononcées, afin de guider la proprioception des chanteurs dans une juste direction.
« La production de la parole, et encore plus celle de la parole chantée, est un spectacle prodigieux, une extraordinaire forme de création.[…] Il faut se rappeler […] qu’une bonne prononciation est une étude des proportions, dans l’ordre du temps et du rythme. »36
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http://zeddap.perso.neuf.fr/paolozsite/articles/postervancouver.pdf
Divers :
- disque Linguaphone No. ENG 252-3, published by the LinguaphoneInstitute, 207
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- Opéra Magazine (l’Actualité internationale de l’art lyrique), n° 2, décembre 2005.
- Diapason/Harmonie n° 308, septembre 1985.
- Le Chanteur moderne,Outils et conseils pour les chanteurs futés :Bossons
ensemble ! Semaine 1 – « la gorge ouverte » (3) dans http://allanwright.fr/
- « how to sing bel canto » 2/2
http://www.youtube.com/watch?v=XPplK22nSXY&feature=relmfu
De nombreux articles de Paolo Zedda peuvent être téléchargés sur son site :
Notes
1Le mécanisme 1 (dit aussi : modal, lourd, « de poitrine »…) et 2 (dit aussi léger, « de tête »…) qui côtoient les mécanismes 0 (fry) et 3 (dit « de sifflet »), plus rarement utilisés.
2Les allophones sont des variantes libres (individuelles) ou combinatoires (dépendantes de l’entourage phonétique) d’un phonème. Les phonèmes représentent la sélection des sons d’une langue permettant de distinguer des sens. Par exemple dans le couple phonologique pas/bas « p » et « b » sont des phonèmes, car il permettent de distinguer les deux mots. En français le « r » roulé est un allophone du « r » grasseyé, mais, malgré sa différence articulatoire, il ne change pas le sens du mot. La notion de système allophonique nous rappelle la nécessité de rechercher les meilleurs modes et lieux articulatoires dans la diction de chacun !
3Extrait d’un entretien donné à Opéra magazine, n° 2, décembre 2005, p. 8.
4Extrait de Diapason/Harmonie n° 308, septembre 1985, p. 32.
5 « On appelle “sensations proprioceptives” ses propres perceptions (musculaires et résonatoires) des phénomènes physiologiques et acoustiques. De là viennent toutes ces images qui, étant personnelles, risquent de devenir inefficaces, voire dangereuses, dans une certaine approche pédagogique. », M. F. Busnel, Ch. Demangel, P. Zedda, « Le souffle du chant » (1994), Marsyas, n° 32, note 15.
6 Il ne sera pas vain de rappeler qu’au moment de l’unification de l’Italie (entre 1860 et 1870, où commença la première véritable alphabétisation de tous les Italiens), même le roi, Vittorio Emanuele II, parlait mal l’italien ; il utilisait plutôt le « dialecte » piémontais et le français… Par ailleurs, à la cour du roi des Deux-Siciles (restaurée en 1816, jusqu’en 1860, englobant une bonne partie de l’Italie du Sud) on parlait en espagnol et en italien, mais il y avait aussi des documents officiels rédigés en « dialecte » napolitain. Quelques chiffres qui en disent long : en 1861, environ 78% des Italiens étaient des analphabètes dialectophones, et seulement 22% de la population parlait en partie en italien et en partie en dialecte. En 1951, 12% de la population était encore analphabète et dialectophone, 70% parlait en partie en italien et en partie en dialecte et seulement 18% parlaient seulement en italien. Les chanteurs italiens vivaient donc depuis longtemps dans un contexte plurilinguistique complexe qui leur a permis de chercher une diction qui n’aille pas à l’encontre d’une « vocalità » libre et souple !
7 Je conseille l’édition Urtext : Nicola Vaccaj, Metodo pratico di canto italiano per camerain 15 lezioni e un'appendice, Giancarlo Zedde Editore (2000).
8 Un exemple d’erreur de prononciation peut être le « sc » [ʃ] dans « scena » prononcé « s » [s], à cause de l’interférence avec l’orthographe française ; tandis que les erreurs de diction se réfèrent à la qualité de la diction de telle ou telle autre voyelle ou consonne : par exemple un [k] prononcé « alvéolaire » au lieu d’être « vélaire », ce dernier permettant d’accéder plus facilement aux résonances consacrées aujourd’hui par le terme « singing formant », l’héritier légitime de l’ancien « squillo » italien.
9 « L’italien est d’origine toscane et dérive du florentin, mais ce n’est pas le florentin d’aujourd’hui et, dans le passé non plus, il n’a jamais pleinement coïncidé avec le florentin », Nora Galli de’ Paratesi, Lingua toscana in bocca ambrosiana, Il Mulino, Bologne,1984.
10 Il faut éviter toute surarticulation qui produit des serrages pharyngés fatigants, avec une participation des fausses cordes (ou bandes ventriculaires) qui peuvent compromettre la bonne émission vocale.
Pour mieux comprendre l’importance d’un contrôle des fausses cordes, vous pouvez consulter par exemple le site Le Chanteur Moderne, Outils et conseils pour les chanteurs futés : Bossons ensemble !
Semaine 1 – « la gorge ouverte » (http://allanwright.fr/), où vous trouverez un exercice intéressant pour contrôler cet important aspect du « début du son ».
11 Tous ces termes italiens ont un rapport entre eux car ils évoquent en effet cette zone articulatoire oro-nasale (vélaire) où l’on peut produire la « mezza voce » qui accompagne généralement une diction claire, que l’on peut préserver dans la nuance forte, si on ne déplace pas trop le lieu articulatoire de voyelles qui doivent rester « profondes » dans la bouche, afin de pouvoir produire la « messa di voce » : autrement dit, des sons émis dans la nuancepp, enflés ensuite jusqu’à la nuance f, pour revenir ensuite à la nuance pp ; un mécanisme technique utilisé largement dans de nombreuses cadences finales d’airs d’opéra ou dans des « points d’orgue » de mélodies, lieder, etc. Dans une syllabe que l’on veut mettre en relief, on produit des arrêts momentanés plus ou moins longs que l’on appelle des « suoni filati », pp < f > pp.
Il faut faire très attention à ne pas pousser le son trop en avant, dans le « masque » (vers le front, les yeux et le nez !), pour obtenir une nuance f qui garde ce que de nombreux pédagogues américains appellent le « back space ». Une image significative étant celle d’essayer de préserver le même lieu articulatoire dans le pp et le f comme une petite balle de ping-pong (pp), au sommet d’un jet d’eau, qui se transformerait, sans se déplacer, en une balle de tennis (f) ; autrement dit, dans une « amplification » acoustique pluridirectionnelle, aussi bien vers le masque que vers les oreilles et vers la nuque ! Vous pouvez entendre des exemples de « messa di voce » dans l’intéressant document en deux parties que l’on peut visionner sur You Tube :
« how to sing bel canto » 2/2.
On commence à en parler à 5’05 environ de la deuxième partie et il est intéressant d’observer que Marylin Horne décrit et produit magistralement cet exercice technique (vers 6’) si salutaire pour chaque voix. Dans ce même document, on assiste aussi à une petite et intéressante querelle terminologique (messa di voce et/ou mezza voce ?) qui montre combien il est nécessaire de repréciser continuellement tous ces termes qui circulent dans le vocabulaire de nombreux professeurs de chant et de chanteurs…
12 En 1886, Paul Passy fonde la revue de phonétique Le Maître phonétique et l’Association Phonétique Internationale ; avec l’Anglais Henry Sweet, il rédige ensuite (1888) l’Alphabet Phonétique International (API ou IPA, terme correspondant en anglais); puis Daniel Jones l’applique à l’enseignement des langues. Le tout afin de faciliter l’accès à des prononciations rendues souvent de plus en plus difficiles par l’évolution orale des langues en relation avec leurs systèmes d’écriture.
13Lors de la Journée de l’enseignement supérieur culture au CNSMDP, en 2009, nous avons rappelé l’itinéraire de l’enseignement de la « diction lyrique italienne » pendant 25 ans… Cette appellation est la traduction d’un terme présent entre autres dans les «Lessons in Italian lyric diction» (1956)d’Evelina Colorni qui enseignait cette « discipline » à la Juilliard School de New York.
14 Les 4 symboles API habituels incluent les deux phonèmes [n] et [m] (qu’on retrouve dans les consonnes momentanées) et les deux allophones [ŋ] et [ɱ].
Les nouveaux symboles phonétiques [ n] , [ m], qui précisent mieux le caractère omorganique de ces articulations, ont été présentés et motivés dans l’article de Paolo Zedda, 2003, « Varietà et qualità dell’articolazione nasale : dal parlato al canto », actes du congrès Il parlato italiano, Naples, 2003, M. D'Auria Editore (CD-ROM).
15 En effet, il faut aussi repenser l’opposition phonétique habituelle oral/nasal.
Autrement dit : des voyelles qui seraient articulées systématiquement avec un voile du palais « soulevé » et des consonnes nasales, en revanche, avec un voile du palais systématiquement en position basse. Lorsque l’on sait, et l’on ressent (grâce à la proprioception), le rôle important que joue le voile du palais dans une émission vocale souple et facile, on comprend mieux pourquoi ce postulat phonétique peut être mis en cause grâce au concept de bonne diction développé ici.
16 C’est-à-dire les articulations nasales qui se prononcent (lieu articulatoire) à la place de la consonne qui suit : anche, tonfo, non posso prononcés : [aŋke], [toɱfo], [nomposso].
17 Les traits articulaires tendu et relâché sont d’ailleurs développés par le linguiste suisse Édouard Joseph Matte, qui les a utilisés dans la théorie des modes phonétiques appliquée à la langue française, mélangeant savamment la philologie et la phonétique pour expliquer son évolution « orale ». Voir Histoire des modes phonétiques du français, Librairie Droz (Genève), 1982.
En utilisant la terminologie de E. J. Matte on pourrait distinguer deux grands modèles de diction :
1) La diction relative au mode tendu, croissant et antérieur, qui se caractérise par des voyelles antérieures, accompagnées souvent de consonnes avec un voisement faible et une articulation nasale excessive. Un modèle assez répandu dans certaines esthétiques de la mélodie française…
2) La diction relative au mode relâché, décroissant et postérieur qui se caractérise par un lieu articulatoire postérieur oro-nasal, que les voyelles (profondes !) partagent avec les « nasalisations », est très répandu dans le modèle de diction de l’italien, notamment dans le répertoire vocal de l’opéra.
18 Plus loin sera présentée une mélodie qui a été conçue pour exercer ces articulations dans quatre langues majeures du répertoire vocal : italien, français, allemand et anglais.
Fernand Carton dans son Introduction à la phonétique du français (Paris, 1974), p. 40-41, précise par ailleurs la distinction entre voyelle nasale et voyelle nasalisée en français :
« Au contraire, une voyelle nasalisée, par ex. le “e” (ai) de Germaine prononcé avec l’accent belge par Jacques Brel, ne comporte qu’un léger abaissement du voile. C’est une variante combinatoire. »
Tout de suite après, il ajoute :
« La prononciation méridionale “chante” est un archaïsme qui remonte à l’époque où un appendice consonantique homorganique suivait une voyelle qui n’était que l’élément nasalisé. »
19 Dans l’article Des règles pour une bonne diction italienne s'inspirant de la variante linguistique du bel canto (1993, p. 217-253), j’avais présenté les raisons du choix de 5 voyelles, comme pour l’espagnol d’ailleurs, qui connaît pourtant de nombreuses variantes chromatiques « ouvertes et fermées »… J’avais ensuite proposé un nombre très réduit de règles, facilement mémorisables, au cas où l’on voudrait conserver un système de 7 voyelles.
Dans le tableau qui suit, j’avais comparé les règles proposées par trois manuels de diction, auxquels j’ajoute celles d’un plus récent livre sur la diction italienne de Corrado Veneziani.
Il est intéressant d’y remarquer que le seul auteur qui parle de diction lyrique, Evelina Colorni, avait déjà réduit ces règles au nombre de 28 par rapport aux 65 de Migliorini, Tagliavini, Fiorelli, que je présente aux étudiants du Conservatoire de Paris pour témoigner de l’italien vu par les « puristes » du langage …
Tableau comparatif du nombre de règles proposées dans 4 manuels de diction italienne
en vue de l’ouverture ou la fermeture des voyelles « e » et « o ».
Migliorini, Tagliavini, Fiorelli Colorni Romagnoli Veneziani
[e] 20 15 21 20
[ɛ] 21 7 17 20
[o] 8 7 9 10
[ɔ] 16 4 11 10
Total règles 65 28 58 62
- Bruno Migliorini, Carlo Tagliavini e Piero Fiorelli, Dizionario d’ortografia e di pronunzia (E.R.I.), Turin, 1969.
- Colorni Evelina, Singers’ Italian (A Manual of Diction and Phonetics), New York, 1970
- Romagnoli Anna Maria, La parola che conquista, Milan, 1987
- Corrado Veneziano, Manuale di dizione, voce e respirazione, Besa editrice, édition 2007 (1ère édition 1999)
Malheureusement ce nombre de règles est souvent suivi de nombreuses listes de suffixes, désinences et “mots isolés” en guise d’exception...
Par exemple, p. 42-43 du livre d’Anna Maria Romagnoli, on évoque ces suffixes :
« - Désinence en -énta et en -ènta (attention : é = [e] è= [ɛ]) : fondaménta, giuménta, ménta, seménta, torménta, trénta, mais : polènta, sènta (verbe sentire)...
- Désinence en -énte et en -ènte: comme nous l’avons déja vu dans les règles, le « e » de cette désinence est fermé s’il s’agit d’un adverbe : allegraménte, comuneménte, incidentalménte, pienaménte... le « e » est par contre ouvert s’il s’agit d’un participe présent (même ayant valeur de substantif) : attraènte, credènte, dipendènte, eccellènte, ènte.. »
Dans le livre La lingua italiana, storia e varietà dell’uso della grammatica, Milano, (1981) les linguistes Anna Laura e Giulio Lepschy, qui ont enseigné entre autres à Zurich, Oxford, Paris et Londres, mais principalement avec un public d’anglophones (notamment à Reading), préconisaient :
« - En ce qui concerne les étrangers, […] on ne fait pas de distinction entre les voyelles ouvertes et fermées médianes ; on peut adopter des sons intermédiaires entre les voyelles “cardinales” [e] et [ɛ], et entre les voyelles cardinales** [o] et [ɔ] » (p. 82).
** les sons des voyelles dites « cardinales » peuvent être entendus par exemple dans l’enregistrement fait sur disque Linguaphone No. ENG 252-3, publié parle Linguaphone Institute, 207 Regent Street, London, W.i.
D’une part, le nombre d’oppositions phonologiques voyelle ouverte/fermée est dérisoire en Italien, et par ailleurs la langue chantée demande des ajustements acoustiques et articulatoires qui concernent la perception esthétique de ces voyelles faisant appel à des critères subjectifs à adapter aux différents styles et émissions.
Dans mon article Le chant et ses systèmes vocaliques (2002) publié dans Moyens d'investigation et pédagogie de la voix chantée, Lyon, Symétrie, j’ai développé le concept de « série vocalique » qui permet d’aller bien au delà des phonologiques « e » et « o » ouverts et fermés, et penser plutôt à rendre compte des nombreuses nuances articulatoires et acoustiques de chaque voyelle. La langue chantée impose aux pédagogues de la diction et aux phonéticiens avertis, de s'engager dans une réflexion sur la richesse et la variété des différents systèmes vocaliques que résume cette célèbre phrase de l’abbé Pierre Rousselot (1846-1924), qui fut aussi un des créateurs de la phonétique expérimentale : « les langues humaines manquent d’unité absolue déjà à l’intérieur d’une même famille ».
20 Dans le chant, la règle générale nous incite à prononcer les consonnes en anticipation du temps musical et sur des syllabes qui deviennent toutes ouvertes, se terminant toujours par une voyelle. Dans certains cas, on peut mettre la « consonne sur le temps », créant ainsi un retard qui peut avoir une valeur expressive, préconisé entre autres par Lully !
La consonne sur le temps doit toutefois rester une « exception », même dans le style baroque !
21 Vérifier dans l’édition Urtext du Metodo pratico de Nicola Vaccaj, révisée par Michael Aspinall chez l’éditeur italien Zedde (Torino).
22 Extrait d’une lettre de Nicola Vaccaj à Francesco Bennati (Mantoue 1798-Paris 1834)*
(*) Médecin qui étudia l’appareil vocal en relation avec le chant, tout en travaillant pour l’opéra italien à Paris. Il écrivit entre autres des Études physiologiques et pathologiques sur les organes de la voix humaine (1833 ; trad. it. 1834). Il obtint d’ailleurs le prix de l’Académie royale des Sciences physiques et chimiques de Paris.
23 Il est très intéressant d’observer en revanche les syllabes fermées préconisées par Manuel García* :
•Deh parlate che forse tacendo (aria de Domenico Cimarosa, extraite du Sacrifizio di Abramo)
•Habituelle : De(h) par-la-te che for-se ta-cen-do
•García : Dehp…arl….at…ech…ef…ors…et…ac…end…o
•Vaccaj : De…(h)pa…rla…te…che…fo…rse…ta…ce…ndo
•Men pietosi, più barbari siate (idem)
•Habituelle : Men pie-to-si, più bar-ba-ri sia-te
•García :Menp…iet…os…ip…iùb….arb….ar…is…iat…e
•Vaccaj : Me…npie…to…si…più… ba…rba…ri… sia…te
García justifiait cela en disant : « De cette façon […] ce sont toujours les voyelles qui commencent la syllabe, et les consonnes qui la terminent. (**)
(**) M. Michelot, notre collègue, fut le premier à conseiller cet exercice.Une telle méthode pourrait tomber dans le défaut de redoubler toutes les consonnes : mais le remède est toujours facile à trouver. » (Manuel García, Traité complet de l’art du chant : 2e partie, Paris, 1840, p. 7.)
24 Extrait du chapitre VII « diction et chant » de La Construction du personnage de Constantin Stanislavski (Paris 1984, Pygmalion, p. 116).
25 Dans l’air de Susanna, des Noces de Figaro mozartiennes, qui s’adresse à Cherubino (Venite, inginocchiatevi), dans la phrase « se l'amano le femmine, han certo il lor perchè », on double souvent le « m » de « l'amano », prononcé « ammano » à cause du rythme pointé, tandis que la double de « femmine » en position post-toniquese case plus facilement… Et cela parce que très souvent on apprend la petite note du rythme pointé comme une double consonne !
En italien, on est obligé d’intérioriser les différences de durée des « e » tenus dans le « pe---gno d’amore » et le « te---nero core » du célèbre air de Linda di Chamounix de Donizetti (O luce di quest’anima…), écrits dans une même formule musicale avec des triolets, car on peut facilement chanter un erroné « tennero core », par sympathie avec l’intensité renforcée du « gn » de « pegno », où le redoublement du « n » de « tennero » fait entendre plutôt le passé simple du verbe tenir, etc.
26 Extrait d’une lettre de Nicola Vaccaj à Francesco Bennati, ibidem.
27 Carlo Tagliavini dans La corretta pronuncia italiana, Bologne, 1965, développe cet argument autour de l’intensité articulatoire de la consonne italienne dont il distingue trois degrés : faible, moyen et renforcé.
28 Voici quelques oppositions phonologiques où le redoublement de la consonne change leur sens : pala/palla (pèle/balle), seno/senno (sein/esprit), caro/carro (cher/char) saremo/saremmo (nous serons/nous serions), etc.
29 Voir Paolo Zedda, La variante linguistique du bel canto : essai de phonétique articulatoire (1993), thèse de Doctorat d'Université soutenue à Paris III (Sorbonne Nouvelle), janvier 1993.
30 À ce propos je conseille la lecture du livre Jean-Claude Milner et François Regnault (2008) Dire le vers, car il nous permet de mieux comprendre les problèmes de l’accent de la langue française, et de sa versification. Les auteurs de ce livre expriment des arguments bien plus intéressants que la célèbre phrase de Romain Rolland, toujours en vogue : « la langue française n’a pas d’accent », qui mettait fin, de façon très maladroite, à la polémique engagée avec Richard Strauss sur les particularités des accents (prosodie) de la langue française, et cela, à partir d’observations faites sur la partition de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy.
31 La gymnastique articulatoire conseillée pour obtenir toutes ces articulations est indiquée clairement dans les consignes données directement dans la partition.
Je rappelle par ailleurs que pour distinguer les nasalisations des consonnes nasales j’ai proposé la transcription nouvelle [ n ] ou [ m ] en exponentiel, par exemple :
[ lang’wian] au lieu de [ laŋg’wian], laissant les symboles [ n ] et [m ] aux « vraies » consonnes nasales [‘mano] ; mais pour faciliter la lecture, j’ai tout de même gardé les symboles phonétiques utilisés habituellement.
32 « Souvenez-vous un instant des cris joyeux ou des pleurs d'un bébé, ou de ces voix d'enfants qui, même sans crier, résonnent dans une cour d'école maternelle ou dans un square de jeux… C'est généralement le résultat d'un contact optimal entre le souffle et un appareil vocal encore « libre ». S'ils arrivent à échapper à une diction crispée de leur langue maternelle, ils conservent parfois ces possibilités d'épanouissement vocal, et même les développent. Certains d'entre eux, dont la croissance préserve la souplesse et un bon aplomb de leur corps, gardent en puissance quelques bonnes qualités de cette voix d'enfant, et cachent alors des chanteurs en herbe… », dans Paolo Zedda, Du chant (2000), dans http://zeddap.perso.neuf.fr/paolozsite/
33 « Le renforcement des harmoniques entre 2000 et 4000 Hz, qui caractérise la voix des chanteurs d'opéra, a été étudié par de nombreux auteurs sous le nom de « shimmer » (Bartholomew, 1934), de « ring » (Winckel, 1956 et Vennard, 1964) ou de « Singing formant » (Sundberg, 1970) », extrait de Nicole Scotto di Carlo (1998-1999), "Caractéristiques acoustiques de la portée de la voix", Bulletin de l'Académie de chant, n° 7, p. 12-18.
34 Extrait de Paolo Zedda, Velopharyngeal opening during the homorganic articulations in some variants of a language (2005) , ICVT6 (International Congress of Voice Teachers), août 2005, Vancouver, BC Canada, Poster Paper Session.
35 Voir dans M. F. Busnel, Ch. Demangel, P. Zedda, « Le souffle du chant »(1994), Marsyas, n° 32.
36 Traduit de Rachele Maragliano-Mori (1970), Coscienza della voce nella scuola italiana di canto, Milano, p. 49.