L’appropriation et la recréation d’un répertoire traditionnel par les groupes folkloriques en Normandie
- Résumé
- Abstract
Les groupes folkloriques émergent au début du XXe siècle. Ce sont des associations constituées de femmes et d’hommes qui ont pour but de mettre en valeur un patrimoine régional lors de démonstrations de chants et de danses d’une région, réalisés en costumes traditionnels locaux. En Normandie, le groupe Blaudes et Coëffes de Caen (Calvados), créé en 1942, occupe une place de chef de file parmi les groupes de cette région, qui adoptent son répertoire. Celui-ci, mis au point par la dirigeante du groupe, Jeanne Messager (1887-1971), est composé de chansons issues de collectes mais aussi de recueils établis à la fin du XIXe siècle par les premiers folkloristes de la région. Pour la restitution des danses, qui n’étaient pas notées, Jeanne Messager s’inspire de témoignages mais aussi de recueils de la Renaissance, pour tenter de reconstituer des danses adaptées à la scène. C’est donc à un répertoire réinventé que nous avons à faire. L’observation de la notoriété que le groupe Blaudes et Coëffes a acquise dans la seconde moitié du XXe siècle nous éclaire sur le rôle clé qu’il a joué dans la recréation du répertoire traditionnel normand.
Plan
Texte intégral
Introduction
Au XIXe siècle, la France, comme le reste du monde occidental, connaît un véritable bouleversement économique et social avec le développement de l’industrie et de l’urbanisation. Le monde paysan subit une mutation sans précédent, tout comme les pratiques liées à ce milieu, notamment les musiques et danses populaires de tradition orale, qui disparaissent peu à peu de la vie quotidienne. Elles deviennent alors l’objet de recherches ethnologiques pour lesquelles des musiciens « savants » et des chercheurs manifestent un vif intérêt. Rapidement, les premières collectes visant à sauvegarder ce patrimoine oral, qu’on estime voué à disparaître, s’organisent. Au tournant du XXe siècle, des groupes folkloriques voient le jour et s’emparent du répertoire ainsi recueilli afin de le conserver par la mise en spectacle. Le but de ces groupes, réunis en associations, est de présenter au public des danses traditionnelles des régions dont ils sont originaires. Ces danses sont exécutées en costumes locaux et s’accompagnent de musiques traditionnelles. Ces groupes remportent un vif succès auprès du public et ne cessent de se multiplier pendant les premières décennies du XXe siècle. En Normandie, les premiers groupes folkloriques apparaissent dans les années 1930 mais doivent abandonner leurs activités avec la guerre. Après cette interruption, la première formation à voir le jour est le groupe Blaudes et Coëffes, qui est créé à Caen, dans le Calvados, en 1942. Dirigé par Jeanne Messager, pianiste de métier, il a pour vocation de diffuser le folklore normand à travers la restitution de chants et de danses traditionnels de Normandie.
Les termes tels que « traditionnel », « folklore » et « populaire », bien qu’étant sémantiquement liés, ne désignent pas tout à fait la même chose. Aussi semble-t-il nécessaire, afin d’éviter toute confusion, d’expliciter leurs nuances.
L’expression « musique traditionnelle », que l’on emploie aujourd’hui pour désigner des chansons, danses et musiques instrumentales issues de la tradition orale du monde paysan, est un terme récent1. Le mot « traditionnel », bien qu’il soit critiqué car jugé réducteur et impliquant une « démarche passéiste » (Bonnemason, 2009, p. 6), est en effet devenu, depuis 30 ans, le terme officiel utilisé dans le « jargon professionnel » et dans les textes officiels2. Aujourd’hui, l’appellation de « musiques traditionnelles » est souvent raccourcie en « musiques trad » (Bonnemason, 2009, p. 13). D’autres formules ont été employées pour désigner les pratiques musicales de tradition orale depuis le XIXe siècle : « musique populaire », « folklore musical », « musique folklorique », « musique rurale », « musique régionale », « folk ». Ces expressions, encore usitées de nos jours, font toutefois référence à des courants différents qu’il convient de distinguer, notamment en ce qui concerne les musiques « folkloriques » et « folk ».
Au XIXe siècle, le mot populaire se rapporte au peuple, à ce qui n’est pas « savant », et plus particulièrement au monde paysan. À partir de 1846, c’est le mot « folklore » qui est utilisé pour désigner le savoir populaire (« the lore of the people »)3. La musique folklorique se réfère donc à une musique populaire, issue d’un milieu paysan. Elle correspond au répertoire des recueils publiés par les musiciens savants et ethnologues locaux de la deuxième moitié du XIXe siècle, utilisé ensuite par les groupes folkloriques qui n’entreprennent pas – ou peu – de collecte et s’éloignent de l’approche ethnographique au profit d’une démarche de représentation4. Le « folk », quant à lui, n’a rien à voir avec le folklore et désigne un mouvement de contre-culture de la jeunesse américaine puis anglo-saxonne des années 1960, importé en France dans les années 1970.
Une autre confusion très répandue concerne les sources des répertoires. En effet, une musique est considérée comme traditionnelle par les spécialistes (chercheurs et musiciens) si elle vient de la tradition orale, c’est-à-dire qu’elle puise dans un répertoire francophone anonyme et très ancien – pouvant remonter à la Renaissance – en perpétuelle évolution du fait de son oralité. Elle se distingue des chansons à caractère traditionnel, dont la mélodie et les paroles sont fixes, et dont on connaît généralement le nom de l’auteur. Ces chansons d’auteur sont en réalité composées dans un style régionaliste et populaire par des musiciens « savants » et lettrés à la fin du XIXe siècle. Elles sont pourtant souvent intégrées au répertoire des groupes folkloriques.
On voit que les groupes folkloriques semblent utiliser un répertoire composite qui comporte aussi bien des musiques issues de collectes que des chansons d’auteur à caractère régional. Il est donc permis de s’interroger sur la part de musiques réellement traditionnelles et la part de recréation dans ce répertoire. Ces questions amènent alors à se demander comment se fabrique la musique traditionnelle.
La composition du répertoire de Blaudes et Coëffes : des sources hétérogènes réunies par Jeanne Messager
Le répertoire qu’on appelle aujourd’hui « traditionnel » fait référence à un répertoire de musiques et de danses transmises par voie orale et issues d’un milieu populaire et surtout paysan, « marqué par une relative inculture » (Guilcher, 1989, p. 173-174). Elles sont anciennes, anonymes et d’origine incertaine.
Les chansons traditionnelles présentent une structure schématique, une langue pauvre avec un vocabulaire restreint, sans pathos, et une syntaxe sommaire. Elles sont impersonnelles car elles usent de « clichés » (Guilcher, 1989, p. 113-134). Ces clichés correspondent à des formules composées de noms qualifiés par des épithètes fixes, tels que « les blancs moutons »5, que l’on retrouve par ailleurs dans d’autres types de poésie chantée, comme la chanson courtoise. Les expressions-types sont également caractéristiques de la chanson traditionnelle. Elles permettent par exemple de débuter l’action, de la contextualiser, de présenter un ou plusieurs personnages (« M’y promenant », « M’en revenant », « L’autre jour », « Ce sont les gars »…) mais aussi de marquer l’obéissance (« n’y a pas manqué »), d’enchaîner aussitôt avec une autre action (« n’en avais pas »), ou encore de marquer la fin d’un épisode (« Et quand ce fut »). De plus, les refrains des chansons, lorsqu’elles en ont, sont souvent composés de formules onomatopéiques interchangeables. Les structures des chansons traditionnelles, ainsi que leurs métriques, ne répondent pas forcément aux règles de la poésie savante. C’est le cas par exemple de la chanson strophique Il est une barbière en France – présentée dans un disque publié par l’association La Loure en 20156 – qui présente la métrique suivante :
Il est une barbière en France, extrait du livre-disque Chansons et traditions orales du Cotentin, op. cit., p. 32.
Strophe I : 8 – 9 – 7 – 7
Strophe II : 7 – 7 – 7 – 7
Strophe III : 8 – 7 – 7 – 7
Strophe IV : 7 – 8 – 7 – 8
La chanson étant strophique, on s’attend à ce que toutes les strophes présentent les mêmes mètres, or ceux-ci peuvent faire l’objet de variations qui n’altèrent en rien l’homogénéité de la chanson. Les chansons traditionnelles ont également la particularité de présenter de nombreuses variantes pour un même sujet ou une même mélodie. Enfin, elles ne sont pas spécifiques à la Normandie mais appartiennent au fonds francophone et on les retrouve partout en France, ainsi que dans des provinces où la culture française a laissé une empreinte déterminante comme le Québec ou la Louisiane7. Seules les différentes versions des chansons recueillies sont locales8.
Les danses traditionnelles elles aussi ont évolué avec le temps. Comme les chansons, elles sont soumises à des variations qui s’opèrent de façon lente et continue9. Ces remodelages peuvent affecter aussi bien les dispositifs des danses (à deux personnes, à trois, en chaîne ouverte, en ronde, en double ligne…) que leurs formes, leurs pas, leurs déplacements, leurs figures.
En ce qui concerne le répertoire des groupes folkloriques normands, il correspond en fait essentiellement à celui de Blaudes et Coëffes, compilé par Jeanne Messager depuis les années 1910. Les chansons qui constituent ce répertoire sont issues pour partie de notes de terrain de Jeanne Messager elle-même ou de contacts – principalement membres de l’Éducation nationale – qui les ont recueillies pour elle. Toutefois, Jeanne Messager n’a pas conduit d’enquêtes de terrain « programmées et organisées » (Colleu, Davy et Belly, 2012, p. 265) et ces chansons ont été notées au hasard de ses rencontres et de ses déplacements. Son but, en effet, « n’était pas de mener un travail de relevé systématique et exhaustif des chansons en Normandie, mais elle recueillait chaque fois que l’occasion se présentait »10, par curiosité personnelle. C’est donc en amateur qu’elle s’est intéressée à ce répertoire. Ainsi, les chansons qu’elle a collectées manquent souvent d’informations indispensables pour en retracer l’origine (nom de l’informateur, lieu et date à laquelle la chanson a été collectée…).
Outre ces collectes occasionnelles, la majeure partie des chansons qui forment le répertoire de Jeanne Messager provient de recueils compilés par des folkloristes locaux à la fin du XIXe siècle et qu’elle a pu consulter à la Bibliothèque nationale de France. Parmi ces recueils, trois ont particulièrement été exploités, à savoir ceux d’Édouard Moullé11 (1890), de Léon Leclerc12 (1899) et de Gaston Perducet13 (1913). Si ces auteurs s’appuient sur des chansons collectées en Normandie, la restitution qu’ils en font n’est pas pour autant fiable d’un point de vue scientifique. Édouard Moullé, par exemple, se veut scrupuleux sur le respect des textes des chansons mais en modifie certains lorsqu’il les juge d’une « grossièreté inutile » (Moullé, 1890, p. 3). De plus, les mélodies des chansons sont présentées avec une harmonisation, qui a pour but d’évoquer « des paysages musicaux » (Moullé, 1890, p. 4). Dans le recueil de Leclerc également, les chansons sont harmonisées et leurs mélodies ont été retouchées, ainsi qu’il l’indique lui-même dans son introduction :
« Il s’agissait ainsi de fournir des matériaux à l’érudition ; projet très louable assurément, mais qui ne correspondait plus au but que je m’étais proposé, lequel était de rendre à ces chansons oubliées ou méconnues, la faveur du public. Pour cela, il fallait de toute nécessité les restaurer, les compléter en confrontant entre elles les diverses variantes de nos contrées de Normandie, et les dégager des apports qui en altèrent souvent le sens […].
J’eus la bonne fortune de rencontrer, plus tard, en la personne de René Lefebvre le collaborateur attendu […] aussi prit-il un réel plaisir à restaurer puis à harmoniser les mélodies que je lui présentais. […] En les restaurant quoiqu’avec la plus grande discrétion, nous ne nous défendons pas d’avoir fait œuvre personnelle. Mais pouvait-il en être autrement ?
Même lorsqu’il s’agit d’une chanson retrouvée tout entière, est-on encore bien certain de n’y avoir rien mis de soi-même ? Nous osons affirmer que non. Instinctivement on a redressé les vers boiteux – il s’en trouve toujours – on a ramené la mélodie dans sa limite ou dans sa forme tonale. […] » (Leclerc, n. d., p. 4-5).
Les retouches apparemment assez importantes qu’ont subi ces chansons remettent donc en cause leur caractère traditionnel, de l’aveu même des auteurs. Néanmoins, les recueils des folkloristes étant les seules restitutions du répertoire oral paysan existant à l’époque, c’est donc assez logiquement que Jeanne Messager s’en empare pour se constituer un répertoire « traditionnel ». On note par ailleurs un désir de sa part de se rapprocher d’une forme originale des chansons car elle semble ne conserver de ces versions que les mélodies et fait fi, dans la plupart des cas, des harmonisations, qu’elle sait inventées par les collecteurs et donc, non traditionnelles. Dans la chanson Les Gars de Senneville, par exemple, elle reprend telle quelle la mélodie seule, notée par Édouard Moullé, et ne procède qu’à une seule légère modification à la mesure 12, en rajoutant un rythme pointé sur les deux dernières croches (voir les figures 2 et 3).
Les Gars de Senneville, partition extraite du recueil 25 Danses normandes recueillies par Jeanne Messager, Bayeux, René-Paul Colas, 1950, p. 55.
La Belle Endormie, version des Gars de Senneville par Édouard Moullé, partition extraite de Chants populaires recueillis dans la Haute-Normandie, Paris, Moullé, 1890, p. 78.
Les chansons d’auteur à caractère traditionnel constituent une autre part du répertoire de Jeanne Messager. Ces chansons ont été composées dans un style régionaliste et populaire par des musiciens « savants » et lettrés à la fin du XIXe siècle. C’est le cas notamment de la célèbre chanson Ma Normandie, composée par Frédéric Bérat (1801-1855) en 1836 et devenue emblématique de cette région grâce à son succès.
Enfin, rares sont les chansons en patois dans le répertoire de Blaudes et Coëffes. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ces chansons ne sont pas issues d’un milieu populaire mais sont également composées par des lettrés normands. Apparues dans les années 1830, elles se sont développées jusque dans les années 1980. Elles ne sont donc pas traditionnelles, même si certaines d’entre elles ont pu intégrer le répertoire oral, comme la chanson emblématique du Cotentin Sû la mé, composée par Alfred Rossel (1841-1926) en 189514.
En ce qui concerne les danses, Jeanne Messager semble en avoir très peu recueilli15. De plus, les sources sur lesquelles s’appuyer restent faibles car, si les chansons populaires rurales ont pu être recueillies dès 1840, les danses ont pour leur part été délaissées et les chansons accompagnant les danses ont été notées pour elles-mêmes, sans les danses qu’elles conduisent16. En outre, aucun chercheur ne s’intéresse à ce domaine en Normandie au moment de la mise en place du répertoire de Jeanne Messager, dans les années 1930-194017. Les danses qui le constituent sont donc reconstituées, voire complètement inventées. Pour ce faire, Jeanne Messager se base sur deux recueils, bien plus anciens que les travaux des folkloristes. Il s’agit de l’Orchésographie de Thoinot Arbeau18 (1596) et du recueil de danses de Jacques Mangeant19 (1615). Le choix de ces recueils s’explique par le nombre important de branles qui les constituent puisque, d’après trois écrits scientifiques sur lesquels s’appuie Jeanne Messager, d’Henri de Magneville20 (1841), Jérôme Bugeaud21(1866) et Eugène de Beaurepaire22 (1856), la danse la plus répandue dans les campagnes normandes est la ronde, aussi appelée branle de village.
Jérôme Bugeaud :
« La ronde, répandue partout, mais spéciale à nos provinces de l’Ouest où elle est nationale sous le nom de Branle de Poitou […] » (Bugeaud, 1866, p. 29).
Henri de Magneville :
« La Basse-Normandie avait aussi ses airs et sa danse, c’était le branle de village […] » (Magneville, 1841, p. 417).
La danse en ronde (chantée) est donc celle qui est le plus fréquemment utilisée par Jeanne Messager, dont le recueil 25 Danses normandes comporte en effet cinq rondes (ou « rondanses ») et onze branles23. Toutefois, le terme de « branle » semble être quelque peu générique et ne correspond pas forcément à une danse en particulier. Les gars de Senneville par exemple, chanson célèbre en Normandie, est présentée dans ce recueil comme servant de support à un branle, bien que la chorégraphie notée par Jeanne Messager ressemble plus à une contredanse, « avec une succession de mouvements individuels ou collectifs associés à un jeu de changement de cavalière » (Colleu, Davy et Belly, 2012, p. 265). Or, cette version n’a pas été relevée par d’autres enquêteurs dans l’Orne, où, de plus, les danses sont généralement soutenues aux instruments et non au chant. En outre il est rare que les contredanses soient accompagnées par des chansons longues comme celle-ci24. Par ailleurs, les pas décrits au début du recueil n’ont pas non plus été retrouvés auprès d’informateurs par les chercheurs actuels, tout comme l’indication de commencer les danses normandes par le pied droit25. Malheureusement, les archives de Jeanne Messager n’indiquent aucune source à l’origine de sa chorégraphie. Pourtant, on sait par ses archives26 qu’elle avait connaissance de mélodies servant de support à des rondes encore connues dans le pays de Caux dans les décennies suivantes27. Il est donc étonnant de ne pas voir figurer ces danses dans son recueil, qui se veut un ouvrage de référence sur les danses traditionnelles normandes.
L’explication se trouve dans la motivation du groupe folklorique à restituer le répertoire traditionnel. Contrairement à l’ethnomusicologie, la démarche d’un groupe folklorique n’est pas scientifique mais procède « d’une agrégation de sources disparates (orales, écrites, figurées) » (Colleu, Davy et Belly, 2012, p. 271). En effet, le groupe n’a pas pour but premier l’étude d’un répertoire mais sa mise en pratique par le spectacle, pour un public extérieur à la danse ou au chant présenté sur scène. Cette approche a pour conséquence de décorréler les musiques et les danses de leur fonction initiale qui était de renforcer la cohésion sociale dans les villages, lors des bals. Les danses, alors transposées « de la vie à la scène » (Guilcher, 1998, p. 217) par le groupe folklorique, doivent donc être suffisamment démonstratives pour intéresser le public, ce qui n’est pas forcément le cas des rondes traditionnelles relevées dans les campagnes, qui sont principalement constituées de pas « marchés » ne présentant pas d’emphase. Dans cette logique où prime l’aspect visuel, il n’est donc pas étonnant que les danses, comme les chansons, soient arrangées, retouchées, voire entièrement créées pour satisfaire l’objectif spectaculaire. Suivant le même raisonnement, il est donc naturel de constater que les recherches sur les costumes – éléments les plus visibles – entreprises par le groupe folklorique sont quant à elles beaucoup plus fiables que ses recherches musicales28. De plus, le spectacle étant présenté comme un objet fini, le répertoire qui le compose est fixe et ne présente pas, ou très peu, de variantes, l’éloignant par-là du répertoire traditionnel que l’on peut encore collecter aujourd’hui.
Le répertoire de Blaudes et Coëffes apparaît donc comme un « témoignage de la vision idéalisée des traditions populaires normandes, enjouées et démonstratives, mise en forme par le mouvement folklorique du milieu du XXe siècle » (Colleu, Davy et Belly, 2012, p. 276).
La restitution du répertoire
Aux débuts du groupe Blaudes et Coëffes, les spectacles – réalisés en costumes naturellement – sont conçus comme un enchaînement de danses et de chants, sans rapport les uns avec les autres et qui font l’objet d’un salut après chaque morceau (et parfois d’une courte présentation de chaque morceau). Les spectacles peuvent aussi donner lieu à des saynètes représentant des scènes de village dont l’action se situe dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Dans ce cas, les chants et les danses s’articulent entre eux grâce à de courtes sections théâtrales29. Aujourd’hui, les représentations alternent des séquences de quatre ou cinq danses chacune tandis que les chants en chœurs sont placés en début de spectacle ou en intermèdes entre deux séquences, et non entre deux danses au sein d’un même tableau, afin que les chanteurs, qui sont aussi les danseurs, ne soient pas essoufflés30.
Nous avons vu que les danses sont toujours les mêmes depuis les débuts du groupe. Pareillement, en ce qui concerne l’interprétation des pièces chantées, il ne semble pas y avoir eu d’évolution depuis les débuts du groupe. C’est du moins ce qu’il ressort des écoutes comparées des enregistrements du groupe et des témoignages de membres du groupe31. Ce qui peut en revanche varier, c’est l’instrumentation qui, elle, n’est pas notée car elle est considérée comme secondaire. Elle change en fonction des musiciens présents. Ainsi, à ses débuts, le groupe n’était accompagné que d’un violoniste et ce n’est qu’en 1967 qu’on a trace d’une augmentation des effectifs des instrumentistes avec l’acquisition d’une clarinette et d’un tambour32. On sait également que des cours d’accordéon et de violon ont été donnés par des musiciens professionnels en 1989 et 1990, ainsi qu’en 1994 et 1995 (pour le violon seulement)33. Aujourd’hui, quatre violons, une clarinette, un accordéon et une vielle accompagnent les danseurs. Le choix de ces instruments correspond à une réalité historique puisqu’on les trouve dans les milieux populaires de Normandie dès le XIXe siècle34] Mais, à part la variante instrumentale, on constate que le choix de l’interprétation sous un format spectacle tend à fixer l’idée d’une tradition normande immuable.
Dans le cadre de prestations face à un public, l’exigence de qualité, tant dans la présentation des costumes que des chants et des danses, est constante. Les costumes, d’une part, doivent être bien tenus et doivent répondre à un souci d’authenticité. Ainsi, comme le stipulent les différents règlements intérieurs du groupe, le port de la montre, de bijoux modernes, de vernis à ongles ou encore la consommation de chewing-gum ou de cigarette sont interdits lors des représentations. Le port des coiffes est en revanche obligatoire pour les femmes. Les membres du groupe doivent en effet « se conduire de façon irréprochable » (voir le premier règlement intérieur du groupe, n. d.), car il en va de la réputation du groupe. En ce qui concerne les chants et les danses, les membres sont tenus d’être le plus présents possible lors des répétitions, afin d’assurer le bon déroulement des spectacles. Ce point, précisé dans le premier règlement intérieur de l’association, est fréquemment repris lors des réunions de bureau35. Pendant longtemps, une liste des présences a même été tenue, pour déterminer qui pouvait participer aux prochains spectacles36. Afin d’assurer les meilleures prestations possibles, les sorties du groupe sont donc réservées en priorité aux membres assidus qui connaissent « parfaitement leurs chants et danses »37. Dans les premières années, un système d’amendes est même mis au point pour imposer une discipline et sanctionne aussi bien l’« emploi d’un prénom autre que le folklorique pendant les réunions » ou l’« oubli d’objets aux réunions et sorties » que « le mauvais entretien des costumes », « la non constitution d’un carnet de danses et chants » et « la non connaissance des paroles des danses » (règlement intérieur, mai 1947). De plus, ces chants et ces danses ne doivent pas se contenter d’être sus mais doivent également être exécutés en souriant et avec élégance38. Ce sont toutes ces exigences qui, très probablement, furent à l’origine du rôle de premier plan que le groupe a joué dans le développement de l’image de la région, ainsi que nous allons le voir.
Les représentations du groupe donnent lieu à des sorties. Celles-ci regroupent une dizaine à une quarantaine de membres, selon l’importance de l’événement, dans les premières années du groupe. Aujourd’hui, les spectacles sont réalisés par 25 à 30 danseurs, plus les musiciens. On distingue plusieurs types de sorties. Lors des sorties que l’on qualifiera d’« ordinaires », le groupe se produit pour animer des fêtes de villages, participer à des récoltes de fonds, à des festivals de folklore, proposer des démonstrations, voire des initiations à la danse folklorique dans la région, et notamment aux alentours de Caen. Blaudes et Coëffes est également appelé à animer des sorties que l’on nommera « officielles », et qui consistent en réceptions de personnalités politiques, militaires ou autres, françaises ou étrangères. La première sortie de ce type a lieu à Caen le 17 décembre 194439 à l’occasion de la réception du général Vanier, ambassadeur du Canada. Par la suite, notamment dans les années 1965-1970, le groupe est invité en délégation dès que la ville reçoit des personnalités officielles40. Les voyages sont la dernière catégorie de sorties qui constituent le calendrier du groupe. Ces voyages ont lieu en moyenne une à deux fois par an, en France (dans d’autres régions que la Normandie) ou à l’étranger et représentent généralement l’aboutissement de l’année41. Ils sont organisés dans le cadre de jumelages, comme ce fut le cas en 1962 lors du jumelage entre Caen et Würzburg (en Allemagne), ou bien dans le cadre d’échanges avec d’autres groupes folkloriques, qui sont à leur tour accueillis par les membres de Blaudes et Coëffes. Ce fut par exemple le cas en 2001, lorsque le groupe partit au Pays basque rencontrer le groupe Hegalka (du 10 au 15 juillet) et le reçut ensuite (du 16 au 19 août).
On voit donc, dans la diversité de ses sorties, que la notoriété de Blaudes et Coëffes se propage en Normandie, notamment dans la région caennaise, mais aussi aux niveaux national et international. Les jumelages, ainsi que les cérémonies officielles auxquels il participe, à l’invitation de la mairie de Caen, font de lui un véritable ambassadeur de la ville et de la région. Ce rayonnement connaît son apogée dans les années 1960-1970. Jusqu’à cette période en effet, le rythme des sorties du groupe est soutenu et s’élève à environ 20 à 25 par an42. Par la suite, cependant, ce rythme ne cesse de diminuer puisque le groupe ne fait plus que 10 à 15 sorties par an dans les années 1990, et seulement quatre à cinq sorties par an depuis deux ans43. Aujourd’hui, le groupe n’est plus l’émissaire de la mairie de Caen et ne participe plus à ses réceptions, notamment pour des raisons financières, la ville ne souhaitant plus investir dans une pratique qui ne correspond plus, semble-t-il, au goût de l’époque.
L’identité du groupe, une image idéalisée de la tradition
Jusqu’aux années 1990, Blaudes et Coëffes joue un rôle de représentant de la région normande, de laquelle il véhicule une certaine image qu’il veut authentique, notamment en interprétant un répertoire de musiques et de danses présentées comme traditionnelles et « spécifiquement normandes » (Messager, 1950, p. 8).
L’idée d’une tradition normande authentique et immuable est propagée par un certain nombre de représentations picturales du groupe, et notamment des cartes postales, vendues dans les années 1950 et 1960 pour financer l’achat des costumes44. Ces cartes représentent des membres du groupe costumés, seuls ou en couple, dans des décors d’intérieur évoquant l’ancien (château, reconstitution d’intérieur paysan). Les costumes, notamment féminins, sont particulièrement mis en valeur. Dans les portraits de femmes, les coiffes sont à l’honneur. Ces cartes postales mettent donc en avant la fierté du costume normand, véritable blason du groupe (voir ci-dessous)45.
Carte postale, « LA NORMANDIE PITTORESQUE », Groupe « BLAUDES ET COËFFES » de CAEN, F. 20. La causette, Caen, Éditions normandes Le Goubey, ca. 1965.
Le recueil 25 Danses normandes, paru en 1950, contribue lui aussi à véhiculer une certaine image de Blaudes et Coëffes par les photos qui y illustrent les chorégraphies des danses. Sur ces photographies, les membres du groupe, costumés et souriants, sont immortalisés en plein air afin d’évoquer la campagne normande (voir photo ci-dessous). La couverture du recueil, quant à elle, s’apparente à une image d’Épinal (voir ci-dessous). Il s’agit d’une gravure sur bois illustrant un couple de danseurs en costumes normands de la deuxième moitié du XIXe siècle. Les deux personnages sont représentés face à face en train de danser, visages souriants. Ils évoquent ainsi la bonhomie paysanne normande, légende par ailleurs véhiculée par la presse et les groupes folkloriques régionaux46. La campagne, figurée par un pré parsemé de quelques arbres et fleurs, sert, là encore, de décor à cette scène idyllique. Si tout, dans ce tableau, évoque un passé idéalisé, le graphisme, en revanche, est plutôt moderne et ne cherche pas à imiter un style du XIXe siècle, comme le style réaliste par exemple, ainsi qu’on aurait pu s’y attendre. Il présente un trait dépouillé et franc, presque géométrique, et n’est agrémenté que des trois couleurs primaires, ce qui renforce son aspect simple et tranché. Ce choix graphique relève d’une « esthétique petite bourgeoise de la campagne » (Redhon, 1983, p. 57) et appuie l’idée, largement répandue dans le milieu folkloriste depuis le XIXe siècle, d’une naïveté paysanne47. D’autre part, on remarque, dans ces représentations, qu’aucun instrument de musique n’apparaît, confirmant que la musique occupe une place de second rang, derrière la danse et le costume, ainsi que nous l’avons vu dans le chapitre précédent.
Les illustrations de Blaudes et Coëffes présentent donc une conception théâtralisée et figée de la tradition normande et ont tout, jusqu’au format, de la carte postale pour touristes48. L’image de marque que le groupe véhicule ainsi vise à affirmer son identité, non pas dans un esprit de revendication régionaliste, ainsi que le stipule le règlement intérieur revu en 199749,mais dans le but de sauvegarder et de propager une culture populaire locale en voie de disparition. L’identité normande de Blaudes et Coëffes est donc apolitique et « dépourvue de toute dimension revendicative » (Bonnemason, 2009, p. 150). Par ailleurs, dans l’« univers de consommation généralisée » (Duflos-Priot, 1993, p. 103) qui se profile dans la deuxième moitié du XXe siècle, affirmer son identité est, pour le groupe, un moyen de faire face à la concurrence d’autres groupes folkloriques (de Normandie et d’autres régions), d’autres types de danse ou encore d’autres activités de loisir qui se développent de plus en plus pendant cette période.
L’« école Messager » ou l’influence de Blaudes et Coëffes sur les autres groupes folkloriques normands
Dans le sillage de Blaudes et Coëffes, d’autres groupes folkloriques voient le jour en Normandie dès la fin de la guerre en 1945, comme Les Normands du Bon Vieux Temps à Rouen (1945), Les Goublins à Cherbourg (1946) ou encore L’Assemblée du Vieux Lisieux, portant aujourd’hui le nom de Normand’hier, à Lisieux (1947). De nombreux autres groupes folkloriques voient le jour en Basse et Haute-Normandie jusque dans les années 1980 – où on compte alors plus de 50 groupes en Normandie –, période après laquelle l’engouement pour ces formations retombe.
Tous ces groupes adoptent d’emblée le répertoire de Blaudes et Coëffes, qui, comme nous l’avons vu, est mis au point par Jeanne Messager. En effet, cette dernière, de par le temps qu’elle consacre à la pratique folklorique, sa passion, mais aussi grâce aux nombreux contacts qu’elle établit dans toute la région, s’impose vite comme la référence en matière de folklore, notamment musical et dansé. C’est principalement à l’occasion des Journées d’Études Normandes instaurées par l’Office Municipal de la Jeunesse (OMJ) de Caen à partir de juillet 1945 qu’elle diffuse son répertoire aux autres groupes folkloriques. Ces journées sont organisées sous forme de stages et proposent ateliers, conférences et visites sur des sujets tels que l’histoire de la Normandie, son archéologie, son économie mais aussi ses traditions et notamment ses chants et ses danses. Ces derniers, animés par Jeanne Messager et les membres de Blaudes et Coëffes, sont appris le matin et sont revus lors des veillées qui ont lieu après chaque journée de stage et à l’occasion desquelles les membres du groupe portent leurs costumes. Ces soirées visent notamment à reconstituer et à restituer l’ambiance qui pouvait être celle des veillées « traditionnelles » normandes. D’abord destinés aux élèves instituteurs des écoles normales, ces stages de chant et danse proposés par Jeanne Messager rencontrent rapidement un vif succès auprès des amateurs de folklore désirant fonder leur propre groupe. Ceux-ci s’emparent alors d’un répertoire prêt à l’emploi et peuvent réaliser très vite leurs premiers spectacles, sans avoir à mener de campagne de collecte au préalable. Ainsi, les danses pratiquées par le groupe Les Normands du Bon Vieux Temps, par exemple, « proviennent pour un bon nombre d’entre elles, de l’apprentissage reçu lors des ateliers de danses folkloriques organisés à l’OMJ de Caen » (Colin, 1983, p. 137).
La sortie du recueil 25 Danses normandes, dont la réalisation est décidée suite aux succès des stages en 1950, amplifie davantage la diffusion du répertoire de Jeanne Messager. Cet ouvrage est conçu comme un aide-mémoire, une compilation dans laquelle sont consignées « les paroles, la musique, les cadences des danses apprises à des centaines et des centaines de Normands, dont beaucoup, devenus à leur tour moniteurs, désiraient des textes pour mener convenablement leurs réunions » (Colin, 1983, p. 137). De l’aveu de tous les groupes, ce manuel est considéré comme « « la Bible » du folklore normand » (Redhon, 1983, p. 21). Il a pour effet de figer définitivement une certaine idée de la musique et de la danse traditionnelles normandes, qu’il affirme restituer de manière « rigoureusement exacte » (Messager, 1950, p. 15). S’adressant à un milieu qui n’est pas celui des danses originelles qu’il prétend transmettre et où la parole écrite constitue la forme principale de communication du savoir, ce recueil permet également d’asseoir la légitimité de la démarche de Jeanne Messager.
La communication avec les autres groupes normands est en outre facilitée par leur regroupement – seulement pour une partie d’entre eux toutefois – au sein de la Fédération normande des groupes folkloriques, créée en 1966 comme section de la Confédération nationale des groupes folkloriques français (créée en 1935). Cette fédération est aujourd’hui appelée Fédération folklorique Normandie-Maine et comporte une quinzaine de groupes répartis sur les cinq départements normands. En se fédérant, les groupes échangent leurs savoirs à l’occasion des stages, organisés dès 1968 et animés notamment par des membres de Blaudes et Coëffes. Les formations folkloriques améliorent ainsi leur connaissance du répertoire et la qualité de leurs costumes. Elles participent également à des festivals, où elles assistent aux démonstrations les unes des autres, et à des publications communes. Blaudes et Coëffes reste, encore aujourd’hui, un groupe moteur de la fédération, ce qui témoigne de l’influence qu’il a pu avoir sur les autres groupes folkloriques de la région.
L’invention de la tradition
L’adoption du répertoire de Jeanne Messager par l’ensemble des groupes folkloriques de Normandie, ainsi que sa diffusion dans le milieu enseignant, via les stages des Journées d’Études Normandes, permet une large dissémination des chants et des danses qui le constituent à travers l’ensemble du territoire normand et facilite leur appropriation par le grand public. Une certaine idée de la musique traditionnelle locale s’ancre alors rapidement dans toute la région et l’on assiste, de ce fait, à une véritable « invention de la tradition » (Bonnemason, 2009, p. 16) musicale normande.
Cependant, cette idée de la musique traditionnelle normande, présentée comme un répertoire uniforme et qui correspond à l’image d’un passé idyllique fantasmé, est contestée à partir des années 1970, par les tenants du revivalisme. Ce courant est lui-même issu du folk américain, mouvement contestataire qui prône un retour aux sources face à la montée du capitalisme, de la mondialisation, de la consommation de masse et de l’uniformisation culturelle. En musique, cette remise en cause de la société moderne se traduit par la redécouverte des musiques traditionnelles américaines, connues sous le nom de folksongs et popularisées par des artistes tels que Joan Baez ou Bob Dylan. Très vite, la musique folk s’exporte en France – par le biais de folk-clubs comme le Bourdon, créé à Paris en 1969 – où elle trouve un écho très favorable auprès de la jeunesse de mai 68. Cette dernière va alors peu à peu s’intéresser à son propre patrimoine musical. En parallèle à ce mouvement, des enquêtes de collectage sont amorcées dans les années 1960 par des mouvements d’éducation populaire comme la Ligue de l’Enseignement. Les musiques rurales de tradition orale sont ainsi l’objet de recherches approfondies qui permettent la (re)découverte d’une large part du répertoire traditionnel, jusqu’ici ignorée par les groupes folkloriques.
En Normandie, l’âge d’or de la collecte se déroule durant la décennie des années 1970, grâce à l’action de musiciens-chercheurs tels que Pierre Boissel, Anne Piraud, Michel Colleu, François Redhon, Philippe Gleises ou encore Jean et Mauricette Delahaye, qui recueillent des milliers d’heures d’enregistrements auprès d’informateurs répartis dans toute la Normandie. Ces acteurs du mouvement revivaliste s’opposent à la simplification du répertoire faite par les groupes folkloriques, qui en présentent une version uniformisée, alors que, pour une même chanson, il est possible de recueillir de multiples versions50. De plus, ces collecteurs désapprouvent l’utilisation que font les groupes folkloriques du répertoire traditionnel. En effet, la restitution de ces musiques et danses sous forme de démonstrations, d’une durée approximative de trente minutes, relève de la performance destinée à un public passif et extérieur à la culture représentée. Dans ce type de prestation, la musique et la danse tiennent de l’« émotion esthétique » (Redhon, 1983, p. 55) et perdent la fonction de cohésion sociale qui est la leur dans les bals – qui durent plusieurs heures – dont elles sont originellement issues. Elles ne font donc pas réellement revivre la tradition51.
Toutefois, s’il est vrai que, dans les représentations de groupes tels que Blaudes et Coëffes, le public reste simple spectateur, le lien communautaire que créent les danses et les chants n’a pas pour autant disparu. Il apparaît plutôt transféré à l’intérieur même du groupe, auquel les membres adhèrent en grande partie pour le plaisir de danser et chanter ensemble. Ainsi, il semble bien que le répertoire folklorique a conservé, du moins en partie, sa fonction de lien social, sa vocation à susciter des rencontres et des échanges entre personnes d’une même communauté. C’est cette communauté qui, elle, a changé. Elle n’est plus composée de personnes issues du monde paysan mais d’individus originaires de milieux différents, qui se retrouvent uniquement à l’occasion des répétitions et des spectacles. La présence, lors des représentations, d’un public extérieur va ajouter à l’événement une dimension qui est effectivement de l’ordre de l’émotion esthétique. On peut donc dire que les groupes folkloriques réinventent une nouvelle culture, basée sur le répertoire traditionnel local, et qu’on pourrait appeler tradition théâtralisée. Le succès que rencontrent ces groupes, au moins jusqu’au début des années 1980, concourt à imposer cette nouvelle tradition auprès du grand public.
De plus, jusqu’aux années 1960 environ, les groupes folkloriques sont les seules formations s’intéressant à la musique traditionnelle à bénéficier du soutien des pouvoirs publics et du Musée national des arts et traditions populaires (qui héberge le siège de la Confédération nationale des groupes folkloriques français). Par conséquent ils sont les seuls à avoir une réelle visibilité auprès d’une large audience. En outre, le mouvement revivaliste en Normandie repose finalement sur un petit nombre de personnes dont les actions restent assez circonscrites. Les groupes tels que Blaudes et Coëffes sont donc pendant longtemps les principaux vecteurs du répertoire traditionnel. De ce fait, Édouard Colin n’a pas tort quand il écrit que c’est « à Mme Messager […] que beaucoup de Normands doivent, pour une part importante, de connaître les chansons de nos « pays » et que la Normandie doit le renouveau de la connaissance et de la diffusion de ses traditions » (Colin, 1983, p. 139).
Les groupes folkloriques normands sont donc porteurs d’une certaine forme de culture traditionnelle locale, qu’ils ont imposée au grand public au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Après plus de 70 ans d’existence du groupe Blaudes et Coëffes, il est donc possible de considérer que son répertoire est acquis à la tradition normande car il est au fondement d’un imaginaire régional.
Conclusion
Le répertoire des groupes folkloriques, qui se veut traditionnel, est en réalité hétérogène. Dans le cas de Blaudes et Coëffes, seule une très petite part des chansons est issue de collectes réalisées par Jeanne Messager elle-même et peut donc être considérée comme « traditionnelle », au sens où nous l’avons défini au début de cet article. Le reste des chants qui constituent le répertoire de ce groupe porte en effet à débat quant à son appartenance à la catégorie des musiques traditionnelles, puisque ces chants sont soit largement remaniés, pour ceux issus de recueils folkloristes, soit entièrement composés dans un style imitant les chansons populaires paysannes, pour les chansons d’auteurs. Quant aux danses, on a vu qu’elles sont, pour la plupart, complètement réinventées par Jeanne Messager. Ce répertoire, constitué dans une finalité de spectacle, vise donc à donner au public, non pas une reconstitution exacte des chants et des danses traditionnels de Normandie mais plutôt une certaine idée de la tradition régionale. Le folklore ne s’apparente pas ici à une démarche historique mais à une appréciation esthétique de la tradition.
Le succès rencontré par Blaudes et Coëffes dès sa création et sa participation aux cérémonies officielles de la ville de Caen a contribué à imposer son répertoire, à tel point qu’il est considéré aujourd’hui comme une des expressions les plus typiques de la culture régionale. Aussi, bien qu’on ne puisse pas tout à fait appeler ce répertoire « traditionnel », on peut néanmoins le définir comme spécifiquement normand. Aujourd’hui, si Blaudes et Coëffes ainsi que les autres groupes folkloriques ne sont plus amenés à animer les cérémonies officielles des communes, ils continuent malgré tout à incarner l’identité régionale et jouent toujours un rôle de représentation de la culture locale, au même titre qu’une équipe sportive par exemple.
Néanmoins, depuis une trentaine d’années, on observe que l’engouement pour les groupes folkloriques ne cesse de diminuer et qu’ils sont de moins en moins sollicités pour des démonstrations. La raison que l’on peut apporter à ce constat est le développement de loisirs de plus en plus diversifiés, avec l’essor de festivals de musiques en tous genres par exemple, qui détournent les gens d’une pratique désormais démodée. Pourtant, si on compare les effectifs d’hier à ceux d’aujourd’hui pour l’ensemble de ces groupes, en se basant sur l’exemple de Blaudes et Coëffes, il apparaît qu’ils attirent toujours autant d’adhérents (entre 30 et 70 membres en moyenne). Le folklore semble donc, à l’époque actuelle, intéresser davantage en tant que pratique sociale plutôt qu’en tant qu’objet de spectacle. Or, la représentation en spectacle étant la finalité des groupes folkloriques, cela amène à se questionner sur leur devenir. Aujourd’hui, ces groupes doivent faire face à la nécessité de s’adapter aux nouvelles attentes du public. Une des réponses possibles, déjà employée par certains groupes52, est de diversifier les époques représentées, les activités pratiquées et les types de manifestations proposés.
Bibliographie
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Notes
1 Voir Davy, 2001, p. 6.
2 Ce terme s’est notamment officialisé en 1982 avec la création d’une Commission consultative des musiques traditionnelles au sein du Ministère de la Culture, alors sous la direction de Maurice Fleuret.
3 Voir l’article : « Folklore et folklorisation, la construction de l’autre et de soi », dans Jean-Jacques Nattiez, Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. 5, Arles-Paris, Actes-Sud, Cité de la musique, 2004, p. 204-213.
4 Ibid., p. 148.
5 Voir la chanson Dans la forêt du bois joli, dans le CD de La Loure, Chansons et traditions orales du Cotentin, Vire, La Loure, coll. « Sources », 2015, plage 7.
6 Yvon Davy et Étienne Lagrange, Chansons et traditions orales du Cotentin, Vire, La Loure, coll. « Sources », 2015.
7 Yvon Davy et Étienne Lagrange, Chansons et musiques traditionnelles des Marais du Cotentin et du Bessin, Vire, La Loure, coll. « Sources », 2008, p. 5.
8 Voir par exemple la chanson À la claire fontaine, connue par tous dans toute la France. Cette chanson connaît en réalité de très nombreuses versions mélodiques, qui présentent des refrains différents à chaque fois (le texte peut lui aussi légèrement varier mais le sujet reste le même). On la retrouve en Normandie sous le titre de En revenant de noces, dans des dizaines de variantes. Voir l’exposition Cotentin. Mémoire en chansons, présentée par La Loure en 2015 à Omonville-la-Rogue (Manche). Le cahier Chansons d’Opportune (Cahiers de Blaudes et Coëffes, no1, Caen, septembre 1992) présente par ailleurs trois versions différentes de cette chanson qui sont toutes au répertoire de Blaudes et Coëffes.
9 Guilcher, 2009, p. 22.
10 Chansons d’Opportune, op. cit., p. 2. C’est ce qu’Yvon Davy, directeur de l’association La Loure, nomme la collecte « passive », c’est-à-dire qui n’est pas particulièrement provoquée (d’après un entretien mené le 20 janvier 2016). Notons en outre que, pendant la guerre, Jeanne Messager a probablement eu des difficultés à se rendre en campagne pour collecter.
11 Édouard Moullé, Chants populaires recueillis dans la Haute-Normandie, Paris, Moullé, 1890. Édouard Moullé (1845-1923) était compositeur et facteur de pianos. Il a recueilli des chants populaires en Espagne et en Normandie (information tirée de la base du site internet de la BNF : http://data.bnf.fr/14846228/edouard_moulle/).
12 Léon Leclerc, Chansons populaires du Pays normand, recueillies et illustrées par Léon Leclerc, harmonisées par René Lefebvre, Paris, R. Deiss [n. d.]. Ce recueil a été publié suite à la tenue d’un Congrès de la Tradition aux Pays normands en 1899, dont Léon Leclerc avait été Secrétaire général.
13 Gaston Perducet, La Chanson normande, chansons du pays de Normandie, recueillies, notées et harmonisées par G. Perducet, Paris, Heugel, 1913.
14 Voir à ce propos Jean-François Détrée, Musique et musiciens en Normandie,950-1950 : mille ans de pratique musicale, Cully, OREP, 2010, p. 97.
15 Dans son recueil 25 Danses normandes (op. cit.), neuf danses seulement ont été directement recueillies, dont une seule par Jeanne Messager elle-même (les huit autres n’indiquent pas de nom de collecteur). De plus, parmi ces danses, trois d’entre elles puisent leurs mélodies dans les recueils d’Édouard Moullé, ce qui fait peser un doute sur la solidité des témoignages (cf. Michel Colleu, Yvon Davy et Marlène Belly, op. cit.).
16 Livret du CD publié par Yvon Davy et Michel Colleu, Danse donc, Vire, La Loure, 2006, p. 4.
17 Voir Michel Colleu, Yvon Davy et Marlène Belly, « Ce sont les gars de Senneville. Les sources d’une chanson emblématique du folklore normand », Pays de Caux, Pays de chanteurs. De l’étude à la valorisation d’une tradition chantée, Paris, L’Harmattan, coll. « Patrimoine culturel immatériel », 2012, p. 265. Il faudra attendre les années 1970 pour que les danses traditionnelles soient collectées dans cette région.
18 Thoinot Arbeau, Orchésographie, Lengres, Jehan des Preyz, 1596. Jeanne Messager a probablement eu connaissance de cet ouvrage par l’édition suivante : Orchésographie, par Thoinot Arbeau. Réimpression précédée d'une notice sur les danses du XVIe siècle, par Laure Fonta, Paris, F. Vieweg, 1888.
19 Jacques Mangeant, Recueil des plus beaux airs accompagnes de chansons à dancer, ballets, chansons folatres et bachanales, autrement dites Vaudevire non encore imprimés, Caen, 1615. Jacques Mangeant (1571-1639), imprimeur-libraire et éditeur de musique, est autorisé à imprimer dès 1590. Il est probablement le fils de l'imprimeur-libraire de Caen Simon Mangeant dont il hérite le matériel d'impression musicale en 1593 (information tirée de la base du site internet de la BNF : http://data.bnf.fr/16250944/jacques_mangeant/). Jeanne Messager a eu accès à une version de ce recueil transcrite par Jules Carlez dans Les chansonniers de Mangeant étudiés au point de vue musical (Caen, 1902), ainsi que l’indique la préface du recueil 25 Danses normandes, op. cit, p. 6.
20 Henri de Magneville, « Sur les branles de village en Basse-Normandie », Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, 2e série, second volume, XIIe volume de la collection, années 1840 et 1841, Paris, Drache, Caen, Hardel, Rouen, Frère, 1841, p. 416-417. Henri de Magneville (1771-1847) est un géologue caennais.
21 Jérôme Bugeaud, Chants et chansons populaires des provinces de l'Ouest, Niort, Coulzot, 1866. Jérôme Bugeaud (1834-1880), est un folkloriste charentais (cf. http://data.bnf.fr/12593900/jerome_bujeaud/).
22 Eugène de Beaurepaire, Étude de la poésie populaire en Normandie et spécialement dans l’Avranchin, Avranches, Tostain, Paris, Dumoulin, 1856. Eugène de Beaurepaire (1827-1899) est un historien normand.
23 25 Danses normandes, op. cit. On remarque que, parmi ces onze branles, celui qui porte le titre de « Branle de village » (p. 73-75), ne se danse pas en ronde mais en couple, l’homme et la femme étant placés face à face.
24 Ibid., p. 266.
25 Michel Colleu, Yvon Davy et Marlène Belly, op. cit., p. 270.
26 Consultables au Musée de Normandie à Caen.
27 Michel Colleu, Yvon Davy et Marlène Belly, op. cit., p. 271.
28 Voir, par exemple la publication Coiffes et costumes des Pays normands (Éditions Édilarge, Ouest France [n. r.]), qui regroupe les recherches de différents groupes folkloriques normands dont Blaudes et Coëffes. Voir aussi l’ouvrage de Marguerite Bruneau, Histoire du costume populaire en Normandie, Caen, C.A.E.N., 1983. Les groupes folkloriques qui se sont investis dans la collecte de musiques et de danses, comme le groupe du Cercle de l’enseignement public de Cherbourg (créé en 1946) ou Le Pied qui r’mue (Saint-Lô, 1963), sont très minoritaires.
29 D’après des exemples manuscrits de déroulés de spectacles conservés dans les archives de Jeanne Messager, carton S : D.98.2.19 à D.98.2.29, Musée de Normandie, Caen.
30 D’après un entretien mené avec l’actuel dirigeant du groupe, Alain Marie, le 9 avril 2016.
31 Écoute d’après Les Chansons de Blaudes et Coëffes, Blaudes et Coëffes (réédition CD des chansons enregistrées sur vinyle 33 tours par le groupe entre 1959 et 1964) et des disques Reflets dansés, Fédération Folklorique Normandie Maine, Pluriel, 2001 ; Reflets chantés, Fédération Folklorique Normandie Maine, [n. d., années 2000]. Entretiens menés avec Alain Marie et une ancienne membre du groupe, le 9 avril 2016. On remarque que dans le CD Reflets chantés, tous les chants sont présentés en chœur alors qu’ils sont plutôt destinés à être chantés en solo, mais cela s’explique par le fait que ce CD est une réalisation collective des groupes de la Fédération Folklorique Normandie-Maine et doit donc faire participer le plus de monde possible.
32 D’après le PV de la réunion de bureau du 18 novembre 1967, archives Blaudes et Coëffes.
33 D’après les PV des réunions de bureau des 11 mars 1989 et 6 mars 1995, ainsi que d’après le rapport d’activités pour l’année 1990, archives Blaudes et Coëffes.
34 Voir à ce propos le livret du disque de La Loure Danse donc, op. cit., p. 37-45.
35 Voir le Règlement intérieur mai 1947 ainsi que, par exemple, les PV des réunions des 17 avril et 9 octobre 1948 ou du 11 mars 1989, archives Blaudes et Coëffes.
36 Cette liste classait les membres selon leur assiduité aux répétitions, d’après un entretien mené avec une ancienne membre du groupe, le 9 avril 2016.
[37]. Règlement intérieur mai 1947.
38 D’après l’entretien du 9 avril 2016. Malgré toutes ces exigences, le groupe accepte des danseurs de tous niveaux car son but premier reste le plaisir de danser ensemble.
39 D’après le cahier de route des années 1943 à 1946, archives Blaudes et Coëffes. Cette date est contredite par Édouard Colin dans son ouvrage Histoire de l’OMJ – Office Municipal de la Jeunesse de Caen (Caen, édité à compte d’auteur, 1983, p 74-75), qui situe cette visite le 17 décembre 1945.
40 D’après notre entretien avec Alain Marie, le 26 janvier 2016. Cette période correspond à une époque où l’engouement pour les musiques traditionnelles est général en France, et même en Europe. Par la suite, on constate que la mairie de Caen continue à porter un intérêt aux activités du groupe par les subventions qu’elle lui accorde et par la maison qu’elle lui prête depuis 1987 et qui sert de quartier général et de vestiaire aux membres du groupe.
41 Cf. Bénédicte Bonnemason, Le Renouveau de la musique traditionnelle en France. Le cas de la musique gasconne. 1975-1985, thèse de doctorat en Anthropologie sociale et historique, EHESS, 2009,p. 150. Ces voyages ont été organisés dès 1947, où le groupe partit en Suède au mois de juin.
42 D’après notre entretien avec Alain Marie, le 26 janvier 2016.
43 Id.
44 Voir à ce sujet le PV de l’Assemblée générale du 26 décembre 1959, archives Blaudes et Coëffes.
45 Bénédicte Bonnemason (op. cit., p. 147) parle de « marqueur identitaire ». Cette fierté s’explique par le travail important de recherche et de couture qu’exige la réalisation d’un costume.
46 Dans une coupure de journal datée du 6 novembre 1945 (archives Blaudes et Coëffes), on peut lire, par exemple, que le groupe a donné : « de vieux airs de chez nous, tous empreints de finesse, franchise et bonhomie, ces qualités éminemment normandes ». Voir également François Redhon, Les Groupes folkloriques normands : discours et pratiques. Ou la recherche de l’identité normande dans le spectacle folklorique, mémoire de DEA en Ethnologie, EHESS, 1982-1983, p. 18.
47 Voir par exemple, chez Eugène de Beaurepaire, op. cit., p. 56 : « je ne sais trop si nos couplets naïfs n’émeuvent pas davantage par leur négligente simplicité, que ne le font les vers étincelans du grand poète allemand [Goethe] » (nous avons conservé l’orthographe originale) ou chez Jérôme Bugeaud, op. cit., p. 25 : « Ne trouvez-vous pas dans ces refrains naïfs, un je ne sais quoi plein de calme, de fraîcheur et d’innocence ».
48 Il est vrai que le groupe se développe en même temps que le tourisme balnéaire, ouvert au plus grand nombre depuis les années 1930 et la politique du Front Populaire qui vise à instaurer pour tous un temps dédié aux loisirs. Dans ce contexte, le spectacle folklorique, qui diffuse une vision idéalisée de la région, sert donc de vitrine aux acteurs de l’économie touristique qui y voient une excellente publicité pour attirer les vacanciers (voir Jean-François Leroux, Trésor de la musique traditionnelle dans le Perche, Rémalard, Fédération des amis du Perche, 2005, p. 209 et François Redhon, op. cit., p. 50).
49 L’article 1 de ce règlement précise en effet que les « ambitions [du groupe] ne peuvent en aucun cas être assimilées à un engagement de type politique ou régionaliste ou autonomiste ».
50 Nous avons déjà cité l’exemple de la chanson En revenant de noces. La chanson ayant pour thème « la barbière », par exemple, est également répandue sous de nombreuses versions en Normandie, cf. Yvon Davy et Étienne Lagrange, Chansons et traditions orales du Cotentin, op. cit., p. 32.
51 Sur ce sujet, voir François Redhon, op. cit., p. 51-57 et Jean-François Leroux, Trésor de la musique traditionnelle dans le Perche, Rémalard, Fédération des amis du Perche, 2005, p. 219-222. Les revivalistes et les « folkeux » tentent en revanche de rétablir la tradition du bal, qui devient leur moyen d’expression privilégié, cf. Bénédicte Bonnemason, op. cit., p. 104.
52 On peut citer par exemple le groupe champenois Les Jasées, qui présente depuis quelques temps, en plus de son spectacle folklorique, des danses des XVe et XVIe siècles, notamment à l’occasion de festivals médiévaux lors desquels il propose également des démonstrations d’artisanat médiéval.