Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
n°7
Adrien Alix

Interprétations et créations autour d’un mythe musical. La sampogna d’Adriano Banchieri

Article
  • Résumé
  • Abstract

La sampogna est le nom donné par le moine musicien Adriano Banchieri (1568-1634) à la flûte de Pan, instrument pastoral issu de la métamorphose de la nymphe Syrinx. Ce mythe fameux, qui a pour protagoniste le dieu Pan, donne lieu à des interprétations étonnantes dans l’Italie septentrionale de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, notamment de la part de l’immense poète Giambattista Marino, connu en France sous le nom de Cavalier Marin. À travers la fabuleuse sampogna sont interrogés les rapports de l’homme à la musique ; elle fait surgir des questionnements qui jalonnent l’histoire de la musique : la musique s’adresse-t-elle seulement à l’ouïe ou bien encore à l’esprit ? La richesse symbolique de la sampogna, patiemment décryptée, amène une compréhension plus fine de ces questions sur le plan théorique. L’interprétation des mythes du monde pastoral, dans lequel la musique tient une place de premier plan, est actualisée dans le contexte des académies de la ville de Bologne et du possible otium studiosum, le loisir studieux dans les lieux de villégiature (à la villa). Le monastère de San Michele in Bosco, sur les collines de Bologne, où vit et travaille Banchieri, devient ainsi un lieu de réflexion, d’expérimentation et de création. L’Arcadie du dieu Pan, utopie mythique, se réalise partiellement lors des séances académiques qui se tiennent au monastère. Théâtre, poésie et musique s’y unissent pour former une « discorde harmonieuse » (discordia concors), devise qui apparaît sur l’emblème de Banchieri. La dissonance, inhérente à la sampogna composée de sept roseaux, en tension vers l’octave, est faite principe créateur fécond.

Texte intégral

Préambule

 

Avant que d’entrer plus avant dans le sujet, je souhaite revenir brièvement sur mes objectifs. Cette publication est l’occasion de présenter les premiers résultats d’une démarche qui me tient à cœur. Mon activité musicale, au sein du Conservatoire de Paris et en dehors, est centrée sur les musiques anciennes et ce que l’on appelle « pratique historiquement informée ». Les apports apportés par la musicologie à cette interprétation historicisée sont extrêmement riches, et couvrent une vaste gamme de questionnements, de la lutherie à la rhétorique musicale en passant par l’iconologie musicale. La musicologie a su s’approprier bien d’autres disciplines pour nourrir et élargir son approche. Ma conviction est qu’il faut désormais mettre la musicologie à la place qui lui revient dans le champ des sciences humaines, et utiliser ses apports les plus pointus pour faire évoluer les disciplines connexes.

L’objet de cet article est ainsi de réévaluer à partir d’un cas particulier l’influence qu’exercent l’une sur l’autre pensée musicale et pensée poétique. Il s’agit d’une illustration exemplaire de la manière dont une série de concetti (littéralement, concepts), véhiculés par un mythe, peuvent circuler entre les différents espaces de la réflexion et de la création artistiques, et s’enrichir d’interprétations multiples et contradictoires. Signalons d’ailleurs que l’équivoque, l’ambiguïté, la contradiction, sont ici valorisées comme dénotant un secret inexprimable à l’homme, selon une tradition hermétique1 qui pèse fortement sur la pensée (y compris scientifique) du premier XVIIe siècle.

La matière première du présent article est tirée d’un mémoire de Master 1 soutenu à l’université de Paris 8 Vincennes – Saint-Denis en octobre 2015. Sa rédaction a été l’occasion de revenir sur mes recherches antérieures, d’en proposer une synthèse et d’approfondir la réflexion sur les aspects qui m’ont paru les plus pertinents vis-à-vis de la thématique de ce numéro.

 

 

Introduction

 

L’historiographie musicale moderne célèbre le compositeur bolonais2 Adriano Banchieri (1568-1634) pour son œuvre didactique et théorique, ainsi que pour les comédies madrigalesques, expérimentations de théâtre musical polyphonique dont il est, avec Orazio Vecchi, le principal représentant. Sa production est également abondante dans le domaine de la littérature populaire, à la suite de Giulio Cesare Croce. Laissant de côté les divertissements carnavalesques, nous nous intéresserons ici aux spéculations académiques de Banchieri, qui se fait interprète des mythes antiques liés à la musique pastorale. Dans le sillage du poète contemporain Marino, dont l’influence fut décisive, il insère sa musique dans le théâtre pastoral que s’invente le premier XVIIe siècle, à la fois lieu poétique et scène.


	Emblème d’Adriano Banchieri, il Disonante, dans l’Académie des Filomusi de Bologne.

Emblème d’Adriano Banchieri, il Disonante, dans l’Académie des Filomusi de Bologne.

La sampogna au centre de son emblème est un concetto3 qu’il nous faudra décrypter patiemment. On retrouve cet emblème imprimé dans diverses œuvres de sa dernière période de production, entre 1625 et 1628 : les Dialoghi, concerti, sinfonie e canzoni,le Virtuoso ritrovo academico, et le recueil des Lettere armoniche4. Il associe trois éléments de diverse nature : l’image d’une flûte de Pan, ou de tuyaux d’orgue ; deux portées avec une clé d’ut première ligne sur la première ; une devise, « DISCORDIA CONCORS », et un pseudonyme, « IL DISONANTE ». Le tout est inséré dans un riche cadre orné d’une tête de putto. Ces éléments dépassent le contexte proprement musical et inscrivent l’emblème de manière cryptographique dans une réalité complexe que notre étude devra mettre en lumière. L’élément iconographique renvoie à la tradition pastorale alors en plein essor dans la poésie et la dramaturgie italiennes. L’interprétation des mythes du monde pastoral, dans lequel la musique tient une place de premier plan, est actualisée dans le contexte des académies et du possible otium studiosum, le loisir studieux dans les lieux de villégiature (à la villa). Quant à la devise, « discorde harmonieuse », c’est une invitation à l’harmonie, comprise comme accord et tempérance des contraires : la résolution du canon énigmatique contenu dans l’emblème sera donc une réalisation musicale de l’harmonie, qui doit advenir sur le plan social et intellectuel dans les contextes évoqués ci-dessus.

La lecture des emblèmes invite à des discours entrelacés et labyrinthiques, source de plaisir pour celui qui écrit mais pénibles pour le lecteur. Nous tenterons donc de débrouiller ces discours et de ne pas perdre le fil qui nous conduira dans ce labyrinthe historique, poétique et musical. En premier lieu, nous nous attacherons ainsi à rappeler et commenter l’origine mythique de la flûte de Pan, qui prendra le nom de sampogna sous la plume des poètes italiens. Nous suivrons ensuite la trajectoire de cet objet mythique des écrits du Cavalier Marin aux expérimentations académiques de Banchieri à Bologne. La dernière partie sera l’occasion de résoudre l’énigme de l’emblème, pour enfin nous conduire à des considérations sur la musique des sphères et les modèles cosmiques musicaux.

 

 

Symboliques de la musique pastorale dans la mythologie gréco-latine

 

La mythologie gréco-latine comporte un certain nombre de mythes dans lesquels la musique occupe une place de premier plan. On sait la fortune qu’Orphée, Arion et les Sirènes entre autres connurent à la Renaissance. Mais dans ces mythes, la musique (ou plutôt, le chant) est un moyen de séduction ou d’apitoiement ; elle sert ou dessert les musiciens mythiques, mais elle n’est pas l’objet de leur quête. Une seconde catégorie de mythes met en revanche la musique au centre de l’histoire ; elle est l’enjeu, l’élément au cœur du conflit5.

Ces conflits ne se contentent pas d’affirmer la suprématie du vainqueur ; ils permettent une cartographie assez précise des symboliques musicales, en associant des personnages mythologiques à des valeurs esthétiques et à des topoï musicaux. C’est le cas notamment de Pan : la mythologie antique lui assigne un rôle original dans la définition de problématiques musicales, que les poètes italiens de la Renaissance et du premier baroque développent et enrichissent. Banchieri enfin se saisit du personnage pour l’insérer dans les débats proprement musicaux de son temps.

 

Pan, dieu-monde, inventeur de la sampogna

Nous nous réfèrerons aux Métamorphoses d’Ovide comme source antique, ainsi qu’à leurs traductions, gloses et commentaires de la Renaissance italienne et française, de manière à saisir au plus près la signification que donnent les hommes de la Renaissance aux fables ovidiennes6. Nous commencerons avec les mythes musicaux relatifs à Pan. Il est le dieu des bois (dio delle selve), et règne donc sur l’Arcadie pastorale ; son corps cependant contient la représentation symbolique du cosmos des Anciens :

 

"Nous savons donc que les poètes anciens entendaient communément par le dieu Pan la nature universelle (de natura universali), qui comprend, d’une part le ciel et les étoiles, et toutes les choses du monde céleste ; et d’autre part, les quatre éléments et les choses terrestres d’ici-bas. Et cela nous est assez démontré par le nom « Pan », qui en grec veut dire « tout », c’est-à-dire toute nature."7

 

La première fable qui le voit protagoniste est la métamorphose de Syrinx en roseaux, et l’invention consécutive de la flûte dite « de Pan ». Dans les Métamorphoses (au livre I), Mercure est le narrateur de cet épisode fabuleux ; s’accompagnant dudit instrument, il endort le géant Argos par ses récits et le tue ensuite, pour lui dérober la génisse Io, amante de Jupiter. Mercure est alors déguisé en berger, de manière à gagner la confiance du géant aux cent yeux. Ainsi la flûte de Pan est dès son invention associée au monde pastoral, sur lequel règne justement Pan.


	Syrinx métamorphosée en roseaux, in Symeoni, G., La vita et Metamorfoseo d’Ovidio, figurato & abbreviato in forma d’epigrammi…, Lyon, Giovanni di Tornes, 1584, p. 30.

Syrinx métamorphosée en roseaux, in Symeoni, G., La vita et Metamorfoseo d’Ovidio, figurato & abbreviato in forma d’epigrammi…, Lyon, Giovanni di Tornes, 1584, p. 30.

 

"Syrinx changée en roseau

 

Syrinx descendait du haut mont Lycée,
Pour revoir ses sœurs bien-aimées,
Lorsque Pan, Demi-dieu cornu,
Tomba amoureux de ses belles tresses,
Et fit tout son possible pour l’attraper,
Échauffé de luxurieuses flammes :
Mais, alors qu’il pense prendre Syrinx,
Il n’embrasse que des roseaux dans le marais."8

 

Le satyre Marsyas est quant à lui une réplique de Pan, dépossédée de son statut divin, simple satyre. Marsyas n’invente pas d’instrument, mais il devient virtuose de l’aulos conçu par Athéna, après que la déesse s’en est débarrassée. Marsyas exacerbe l’hybridité déjà présente chez Pan : le satyre est homme et chèvre à la fois. Ses pieds, ses poils, ses oreilles, ses cornes prouvent assez sa nature ovine. Musiciens virtuoses, et donc excellents artisans, leur animalité leur interdit l’accès à la partie plus divine de l’humain, matérialisée dans le chant, pensée harmonieuse extériorisée.

 

Amore, Maestro di Musica 9 

La musique met les créatures en relation les unes avec les autres. Si l’on en croit les mythes antiques, il n’est pas d’ordre naturel sur lequel la musique n’ait des droits : du Parnasse des Muses aux pierres déplacées par la lyre d’Amphion, en passant par la forêt à l’écoute du chant d’Orphée, la musique a sa place à tous les niveaux du cosmos. La théorie tripartite de Boèce à partir du Moyen Âge réactive cette croyance10. Cela amène nécessairement à des comparaisons, et à des défis qui permettent de préciser et réaffirmer la hiérarchie cosmologique.

Le combat originel, initiateur de la musique, est celui que livre Amour, fils de Vénus, contre Pan. À vrai dire, plus que le combat, on retient la victoire d’Amour : il obtient que Pan (qui, rappelons-le, est synonyme d’univers) tombe amoureux de la nymphe Syrinx. Amour perturbe l’harmonie du tout, et cette dissonance ne sera finalement résolue que par la métamorphose de Syrinx et la musique qu’en tire le dieu des bois. La métamorphose peut ainsi se lire comme transformation d’une passion amoureuse en musique ; d’un désordre passager de l’âme en une harmonie nouvelle et pérenne.

 

"Ce que l’on retient finalement de cette fable : que Cupidon, fils de Vénus et dieu d’amour, lutta avec le dieu Pan, le battit et le vainquit tout à fait, cela nous montre et nous signifie que l’amour est victorieux de la Nature comme de toutes choses."11

 

Marino, une génération plus tard, tente une lecture catholique de la fable et voit en Pan un Christ, vaincu par l’amour certes, mais un amour mystique, l’amour du Christ pour l’humanité.

 

"Arrivé fatigué au fleuve amer de sa Passion, il la voit changée en Roseau très vil, c’est-à-dire inconstant & sans fermeté. Il prend ce Roseau en main ; le Roseau lui est concédé après mille injures et humiliations sans autre raison (si je ne me trompe) que comme signe, ou de la fragilité & faiblesse de l’homme, ou de l’instabilité & légèreté du monde, ou de la vanité & ostentation du péché. Christ affligé & endolori par ces choses, voilà qu’il forme & conçoit un instrument de musique à partir de sept pousses, au son duquel il chante ; ou plutôt il déplore & plaint son amour mal employé, & notre mauvaise ingratitude. Et la sentence se vérifie donc de celui [Plutarque] qui dit que le véritable maître de la Musique est Amour, et de ces autres qui disent qu’Amour en instruit les hommes ; puisqu’un esprit rien d’autre qu’amoureux dicte au Musicien de cette divine Sampogna les sept chants [canzonette] très beaux et très passionnés, qu’il compose & chante aujourd’hui sur la Croix."12

 

Amour sacré ou amour profane, christique ou païen, la frontière est poreuse ; et la musique, musique céleste ou musique instrumentale, est intimement liée à l’irruption d’Amour dans le monde pastoral, dont le Christ est le gouverneur spirituel13. C’est là également une des justifications de la topique amoureuse dans la poésie pastorale : dans l’utopie arcadienne, l’univers bien réglé des bergers, satyres, nymphes et autres créatures de la forêt et des collines, Amour seul apporte le désordre, une dissonance qu’il convient de résoudre14.

 

Pan et Apollon, ou la défense de la poésie pastorale                  

La rencontre de Pan et Apollon, véritable défi musical, est un autre épisode majeur pour la compréhension de l’identité musicale de Pan et de sa sampogna.La traduction et glose des Métamorphoses en huitains d’hendécasyllabes italiens par Dell’Anguillara apporte un éclairage extrêmement intéressant sur ce duel, témoignage de la relecture des Anciens opérée au XVIe siècle :

 

"Pan avive l’esprit de la Syrinx,
Et fait ensuite que la voix exprime le chant [il verso].
[…]

Alors la lyre, source de l’éloquence,
[Apollon] l’appuie sur son cœur [la sinistra poppa], et joue.
[…]

Comme le Dieu de la montagne [Tmolus, l’arbitre] entend
Le doux accent conforme [concorde] à la suave lyre,
Et qu’il tient l’attention des assistants en éveil,
Et voit qu’il captive et fascine les oreilles ;
Il dit alors au Dieu des troupeaux et des bergers :
‘Bien que j’admire ton chant [canto],
Celui du Dieu blond me paraît cependant plus digne,
Et il faut que ton roseau cède à son bois’.

Chacun approuve la sentence de la Montagne,
Chacun de l’œil et de la langue applaudit,
Que le dire [dir] d’Apollon plaît plus, et émeut,
Encore que celui de Pan mérite grande louange."15

 

La première expression (« aviver l’esprit ») renvoie aux esprits animaux, qui emplissent l’air comme le corps humain. Le souffle établit ainsi le lien entre le corps et le monde extérieur16 : ici, le souffle met en mouvement les esprits de la matière, matière bien vivante puisqu’elle est Syrinx métamorphosée. L’ambiguïté est maintenue sur la question du chant de Pan : est-ce un chant articulé qui émane de ses cordes vocales, ou bien le son de son instrument ? Le problème est d’autant plus insoluble que le lexique de la musique instrumentale est identique à celui du chant.

Nous disposons en revanche pour Apollon d’informations positives. Sa performance n’est pas tant musicale que rhétorique ; l’instrument de musique accompagne l’orateur17, dont l’objectif est plaire et émouvoir. (On remarque bien souvent dans le champ musical, et plus généralement dans le discours artistique, que le premier objectif rhétorique (convaincre, ou instruire, docere) est éludé au profit des deux autres, placere et movere : les outils musicaux en effet semblent peu adaptés au déploiement d’une argumentation, d’un logos ordonné, tandis qu’ils servent efficacement ethos et pathos.) Le son de la lyre seconde les accents du discours, et le dieu des Muses capte son auditoire, il maintient son attention en éveil : ces qualités éminemment rhétoriques lui valent la victoire. Ainsi, quand bien même Pan chanterait et jouerait de la flûte alternativement, il n’atteindrait pas à la puissance de la rhétorique apollinienne qui libère la voix sur le plan symbolique et touche la raison.

En Apollon sont donc réunis la parole (il dir d’Apollo) et la musique : c’est l’acte poétique le plus puissant, l’union du signifiant et du signifié. La pensée, entité divine, est véritablement matérialisée dans le souffle vital fait voix. Le chant éloquent semble ainsi proposer une solution au conflit de l’âme et du corps, du spirituel et du matériel, problématique constante de la condition humaine. La musique de Pan en revanche n’entre pas dans cette problématique ; elle interroge plutôt la raison et l’usage que l’on en fait dans la musique. En effet, le premier office de la flûte de Pan est d’endormir Argos, c’est-à-dire la raison :

 

"L’instrument, avec le son duquel Mercure endort les yeux de la raison [Argos aux cent yeux], fut le même que Pan, qui par sa douceur nous endort de manière à nous laisser morts [sourds], quant à la haute et divine considération des merveilleuses œuvres du Créateur : comme ceux qui se perdent dans la jouissance des choses artificielles."18

 

La raison endormie, que reste-t-il de notre humanité ? La réponse est double : ou bien cette incapacité temporaire nous dégrade au rang animal ; ou bien elle nous met en osmose avec le monde vivant qui nous entoure. La musique d’Orphée séduit et émeut les animaux et les bois qui l’entourent ; elle n’en est pas blâmée pour autant. La musique d’Orphée, comme celle de Pan, n’est pas strictement humaine, en ce qu’elle ne convoque pas la raison par le discours, mais elle réaffirme la place de l’homme dans son environnement, en harmonie avec le monde vivant. Nul ne songe à railler la performance de Pan, bien au contraire. Le jugement porte sur des qualités différentes, sur des esthétiques musicales en germe aux conceptions divergentes. Ce qui se joue finalement dans cette fable est l’élaboration d’un discours musical, accompagné d’un jugement de valeur nuancé et circonstancié.

Ces fables trouvent naturellement à s’insérer dans la poésie pastorale qui connaît un regain d’intérêt durant la Renaissance italienne. Elle réclame l’attention qui lui est due par son antiquité. La pastorale devient un champ d’expérimentation, et doit comme tel trouver sa justification. La difficulté majeure réside dans la confrontation avec la poésie lyrique : la pastorale est un genre bas depuis son invention. La sampogna dans ce cadre-là acquiert par synecdoque une dimension symbolique puissante : ayant rivalisé sans déshonneur avec la lyre d’Apollon, elle prend en charge le genre pastoral revisité par les italiens de la Renaissance. L’impératif qui s’y attache alors est celui de convenance. La sampogna de Pan ne sera efficace que tant qu’elle se cantonnera au registre qui lui est propre, sans tenter de se mesurer de nouveau au lyrisme qu’incarne la lyre d’Apollon. Le développement de la pastorale italienne entre la fin du XVe et le début du XVIIe siècle rejoue à plusieurs reprises l’affrontement mythique, avec une conclusion constante : la sampogna n’est gagnante que sur son propre terrain.

Ce terrain n’en mérite pas moins d’être cultivé ; c’est ce à quoi vont s’atteler un certain nombre de poètes et dramaturges italiens parmi les plus illustres de la période concernée. L’emploi figuré de la sampogna montre combien la musique est importante dans ce travail. Les compositeurs d’ailleurs puiseront assez vite dans la poésie pastorale. Banchieri, de son côté, ira plus loin, puisqu’il fera de la sampogna, au centre de son emblème, une puissante métaphore de sa philosophie de la musique.

 

 

Des métamorphoses arcadiennes à La sampogna musicale de Banchieri

 

Le poète Marino est le principal vecteur de cette trajectoire qui nous mène de la poésie pastorale aux problématiques musicales. Contemporain de Banchieri, il accueille consciemment l’héritage de ses prédécesseurs et achève la légitimation du registre pastoral. Il est certain que Banchieri a fréquenté les textes du Cavalier Marin, au moins les Dicerie sacre (1614)19, et La sampogna, publiée en 1620 à Paris. Bien que La sampogna ait été publiée à Paris, elle a dû être disponible très rapidement à Bologne : après la lettre dédicatoire au prince Thomas de Savoie y sont en effet imprimées deux lettres d’éloge des lettrés bolonais Claudio Achillini et Girolamo Preti, auxquelles l’auteur répond par une unique épître de longueur conséquente. Il est donc plus que probable qu’un ou plusieurs exemplaires des presses parisiennes aient été envoyés immédiatement à Bologne et que Banchieri en ait eu connaissance, les lettres qu’il publie à la fin de sa vie attestant de son commerce avec Achillini20. De plus, un nonnain dédicatoire de Marino est imprimé en 1613 dans le Troisième livre de nouvelles pensées ecclésiastiques de Banchieri21.


	Vers à la louange de Banchieri, peut-être de la main de Marino.

Vers à la louange de Banchieri, peut-être de la main de Marino.

Même si la réciprocité de la relation ne peut être confirmée avec certitude, il n’en demeure pas moins que Banchieri a lu Marino et s’en est conséquemment inspiré. C’est pourquoi nous nous intéresserons maintenant de manière plus précise à comprendre ce que le terme sampogna recouvre chez cet auteur.

 

La sampogna du Cavalier Marin                    

Ce terme chez Marino désigne sans équivoque la flûte de Pan, ou Syrinx. Le récit de la conception de l’instrument occupe les premières lignes de la seconde des Dicerie sacre, celle consacrée à la musique :

 

"Les fables des Anciens rapportent que Pan, dieu des forêts, combattu et vaincu par Amour, fut contraint par le vainqueur à tomber amoureux de Syrinx, nymphe d’Arcadie ; celle-ci, comme elle était sauvage et méfiante, s’employa rapidement à le fuir ; parvenue sur la rive du fleuve Ladone, et rattrapée au milieu de sa course par le suiveur amant, elle fut transformée par les nymphes en tremblants roseaux marécageux. Entendant, agités d’une brise légère, les suaves murmures sibyllins des calames, il en coupa sept, & attachés les uns aux autres dans l’ordre croissant il en fabriqua une sonore Sampogna ; accordant sa voix au bourdon de celle-ci, il chanta l’histoire de ses amours peu fortunées."22

 


	La sampognagravée au frontispice de l’œuvre homonyme de Marino.

La sampognagravée au frontispice de l’œuvre homonyme de Marino.

Marino ne s’arrête pas cependant à l’histoire fabuleuse de la sampogna, à ce que l’on pourrait qualifier d’ « organologie mythique ». Il s’intéresse bien plus à son histoire littéraire. L’instrument recèle ainsi la mémoire des voyages accomplis et des transformations subies23. En cela, l’instrument n’est pas seulement métonymique du genre pastoral ; il se constitue également mémoire vivante du genre. Les propriétés mémorielles et communicatives de la nature sont connues ; c’est d’ailleurs le pari des Métamorphoses de rendre aux éléments naturels leur histoire. Les roseaux sont particulièrement communicatifs : le vent, comme le souffle des musiciens, les fait parler et révéler leurs secrets24.

 

"[La sampogna] que je vous présente maintenant n’est pas la Sampogna retrouvée jadis par le fameux Dieu d’Arcadie, parce que celle-ci, après avoir été transportée des forêts de la Grèce dans celles du Latium & passée des mains du Berger de Syracuse à celles du Mantouan [Virgile], elle resta presque toujours muette jusqu’au temps du Bon Sincère [Sannazaro], lequel en fit résonner le timbre très clair sur les plages de mon agréable & délicieuse Parthénope [Naples] ; mais de là jusqu’en notre siècle, à peu d’autres (sauf Aminta, & Mirtillo [du Tasse]) il a été permis d’y poser dignement les lèvres."25

 

La sampogna, née d’un amour non partagé, porte en elle les lamentations de Syrinx persécutée, et de son persécuteur amoureux. Ce sont là les deux topiques principaux de la poésie pastorale, la chasteté persécutée et l’amour sans retour, associés dès leur origine à la musique de la sampogna. « Poser les lèvres » sur la sampogna n’est donc pas seulement une continuation de la métaphore qui consiste à désigner le poète comme musicien26 ; la convoquer permet de s’inscrire directement dans l’histoire du genre pastoral. Sannazaro, poète napolitain de la fin du XVe siècle, s’adresse à elle pour clore son long poème Arcadia :

 

"Ne te préoccupe pas, si quelqu’un d’un goût douteux, accoutumé peut-être à entendre des sons plus exquis, méprise ta bassesse, ou te dit rustre. Parce que cela (si tu y penses bien) est ton plus grand mérite ; tant que tu ne quittes pas les bois, et les autres lieux qui te conviennent."27

 

Marino à son tour, se référant explicitement à son compatriote Sannazaro, met en place à l’aide de la sampogna la translation du registre lyrique au registre pastoral. Il utilise les attributs traditionnels des styles littéraires. La lyre est évidemment métonymique du registre lyrique ; les trompettes valent pour l’épique, gravis stylus ; et la sampogna pour le bucolique, ou pastoral.

 

"Et encore que le don ne soit pas de lyre, mais de sampogna, il ne sera pas pour autant inconvenant, si je ne m’abuse ; parce que qui est habitué, non seulement aux doux concerts des lyres, mais aussi aux crépitements des trompettes, qu’il abaisse seulement l’oreille au son rustique de la musique sauvage, puisque même Apollon, au temps où il menait dans les bois une vie pastorale, ne s’interdisait pas d’écouter les simples chants des rustres paysans."28

 

La sampogna dans les académies musicales bolonaises               

Le monde pastoral auquel renvoie directement la sampogna trouve à se réaliser partiellement au sein de l’Accademia dei Floridi, sous l’égide de Banchieri. L’acte de naissance de cette académie est constitué de quatorze chapitres contenus dans la troisième édition de la Cartella musicale. Banchieri avertit de l’universalité de ces principes, à l’imitation d’autres modèles d’académie :

 

"Bien qu’il s’agisse ici d’ériger une Académie & des Chapitres spécifiques, on peut cependant appliquer le tout de manière générale en quelque autre Monastère, Couvent, Collège, Séminaire, & encore en des assemblées de Laïcs, […] et en ces vertueuses assemblées & Académies sont produits & fleurissent chaque jour des esprits très savants dans les études des belles lettres, des Mathématiques, de la Musique, de la Poésie & d’autres divertissements honorables."29

 

Cette académie a cependant une particularité non négligeable : elle se tient au monastère de San Michele in Bosco, sur les hauteurs de Bologne, où se déroule une bonne partie de la carrière monastique de Banchieri. Entouré de résidences nobiliaires de campagne, les fameuses villas italiennes, le monastère absorbe en partie l’idéologie de la villégiature. La villégiature est une forme de rite printanier, une migration saisonnière qui confisque au profit d’une élite les divertissements de la nouvelle année « naturelle »30. L’élitisme de la villa est immédiatement perceptible d’un point de vue géographique : la villa n’existe pas sans la ville, elle existe en réaction à la ville. La villa est donc toujours reliée à la ville, et ses propriétaires s’y livrent à l’otium, chargé de valeurs positives, pour se délasser du negotium urbain, auquel on rapporte tous les vices.

C’est dans ce contexte académique bien particulier, semblable à l’otium studiosum de la villa, que Banchieri se permet ses plus grandes audaces musicales et intellectuelles. Rappelons ici le rôle central que joue Banchieri dans le développement des académies musicales bolonaises : il est en 1615 le fondateur de la première académie à vocation strictement musicale de la ville, l’Accademiadei Floridi31, qui siège le lundi, à San Michele in Bosco. Après une brève interruption, l’activité académique est transférée en ville en 1625, au domicile du compositeur et maître de chapelle de San Petronio Girolamo Giacobbi32 ; elle prend alors le nom d’Accademiadei Filomusi, et Banchieri continue à y tenir un rôle de premier plan.

Avant que d’aborder les activités de l’académie, nous allons nous attarder quelque peu sur son emblème. Emblème est un terme d’héraldique, qui désigne une « figure symbolique souvent accompagnée d’une devise »33. La juxtaposition d’un élément figuratif et d’un élément textuel est propre à l’impresa italienne. Nous emploierons désormais emblème dans son sens le plus restreint, équivalent d’impresa34. L’emblème véhicule un message puissant, à condition de savoir le déchiffrer. C’était cependant pratique courante à l’époque qui nous intéresse ici ; qui plus est, leurs auteurs prennent souvent le soin d’élucider eux-mêmes au moins partiellement la signification des emblèmes. C’est ce que fait Banchieri, pour l’emblème de l’Académie des Filomusi35 (visuel5), et pour le sien au sein de ladite académie (visuel1).


	L’emblème des académiciens Filomuside Bologne, au verso du frontispice de la Siringa fugacede Bertelli.

L’emblème des académiciens Filomuside Bologne, au verso du frontispice de la Siringa fugacede Bertelli.

La citation latine vocis dulcedine captant sur l’emblème de l’Académie est tirée d’Ovide36, lorsqu’au premier livre des Métamorphoses Pan découvre les propriétés sonores des roseaux auxquels Syrinx a donné naissance par sa métamorphose : il est « charmé par la douceur des voix » produites par les roseaux, ceux-là même qui sont représentés au centre de l’emblème.

L’emblème de Banchieri est intimement lié à celui de l’académie, puisque les mêmes roseaux sont représentés sous leur forme travaillée. Syrinx a subi une seconde métamorphose, elle est désormais la sampogna de Pan. Le canon énigmatique sur l’emblème de Banchieri en renforce l’hermétisme, en même temps qu’il clôt et donne une forme achevée à l’emblème. Le canon énigmatique, infini, n’a rien à voir avec la musique sonore. Il est un avatar graphique de la musique des sphères, et atteste de la haute valeur du compositeur, puisque, « intemporelle, non soumise aux modes, cette loi [musicale] garantit l’accès à la perfection »37.

De ces emblèmes, on trouve une explication claire dans le Discours de la langue bolonaise38. Mais une explication bien plus intéressante est celle qui se donne comme objet à représenter : les Filomusi en effet mettent en scène l’explication de ces deux emblèmes, au cours de deux séances académiques. L’emblème de l’académie est élucidé dans Siringa fugace, une « favoletta in musica », attribuée à Bertelli, et qui contient selon ses propres termes « l’Invention Poétique de la Musique, œuvre justement d’un de nos Académiciens, et de laquelle fut levée notre Emblème général »39. L’emblème de Banchieri (visuel1) fait en revanche l’objet d’une publication autonome, d’un genre très différent.

 

Un opuscule académique lumineux : La sampogna musicale                              

Dans La sampogna musicale, dissertation présentée le 14 novembre 1625 devant l’Académie des Filomusi, Banchieri semble prendre parti pour le dieu Pan, désigné comme « inventeur de la musique instrumentale »40. Prendre le parti de la musique instrumentale au début du XVIIe siècle est cohérent avec l’autonomisation en cours de la musique instrumentale. Cependant, la production de Banchieri dans ce genre est limitée et ne met pas ou peu en pratique les préceptes modernes, que l’on peut voir à l’œuvre en revanche dans les canzoni de Frescobaldi par exemple41. Nous voyons dans ce parti pris pour la musique de Pan une déclaration de principe en faveur de la simplicité, contre l’artifice, que nous pouvons rapprocher de cette sentence de Rabelais (sans préjuger pour autant d’une lecture de Rabelais par Banchieri) :

 

"Plus me plaist le son de la rusticque cornemuse que les fredonnements des lutz, rebecz et violons aulicques."42

 

Cet ouvrage confidentiel, dont un seul exemplaire a survécu jusqu’aujourd’hui, se réfère évidemment à Marino, implicitement dans le titre, et explicitement dans le corps du texte où il est affublé d’une double épithète laudative : « savant et excellent Musicien et Poète, le Cavalier Jean-Baptiste Marin »43. Ces quelque huit pages sont faites d’une alternance de fragments de discours en prose émaillé de nombreuses citations, et de cours textes en vers destinés à être chantés. Les musiques composées à cet effet sont perdues, à moins qu’elles ne soient incluses dans le Virtuoso ritrovo academico44, qui porte au frontispice l’emblème du Dissonante. Cet opus, publié à Venise chez Bartholomeo Magni et dont la dédicace est datée par Banchieri du 25 février 162645, est le premier à faire apparaître l’emblème défendu dans La sampogna musicale ; il contient de plus « La sampogna, canzone con quattro viole da braccio »46. On ne trouve cependant pas de musique dans le Virtuoso ritrovo qui corresponde aux textes poétiques de La sampogna, mais la composition du recueil est suffisamment variée, et pourrait être lue comme un répertoire de musiques à destination académique, dont certaines pour La sampogna musicale.

La sampogna musicaleest avant tout une oraison, une « action publique »47 pour reprendre les termes de l’art rhétorique de Banchieri, évidemment accompagnée de musiques. Cela n’exclut pas pour autant une mise en scène de l’événement. On peut imaginer un appareil scénique minimal constitué de l’emblème de Banchieri, peint sur toile. Banchieri décrit ailleurs le salon de Giacobbi :

 

"La pièce où opère l’Académie est toute ornée de cuirs d’or, avec une scène surélevée, où se tiennent les Académiciens actifs, avec des Peintures excellentes du Guide, Carrache, Cignani [?], et autres, et de la même manière tout autour les emblèmes peints à l’huile dans des cadres dorés, non seulement des Académiciens locaux, mais également des étrangers."48

 

Ce témoignage littéraire est confirmé par l’inventaire notarial des possessions de la maison à la mort de Giacobbi en 1628. On y relève notamment « deux tableaux où sont les emblèmes »49.

L’argumentation de La sampogna musicale50 repose tout entière sur l’appartenance de Banchieri aux Filomusi. Ce rapport d’appartenance s’exprime également dans les emblèmes respectifs du compositeur et de son académie. L’emblème des Filomusi évoque la métamorphose de Syrinx en roseaux, métamorphose naturelle, ou divine, ce qui revient au même. La fabrication de la sampogna par Pan est en revanche une métamorphose artificielle, une instrumentation de la nature par la main de l’homme (quand bien même, pour les besoins de la fable, l’homme serait représenté par un dieu). La nature donne à entendre une infinité de sons, résultant du passage du vent dans les roseaux ; la nature humaine ne maîtrisant pas l’infini, elle doit nécessairement rendre discret cet ensemble continu. C’est pourquoi Pan coupe un nombre bien précis de roseaux, sept, et les organise par ordre de longueur (et donc de hauteur sonore résultante, toutes choses égales par ailleurs). Numération et classification : ce sont là des opérations proprement humaines, empiriques.

Ainsi Banchieri au sein des Filomusi et par le biais du mythe donne-t-il une explication de la double appartenance de la musique : expression du divin (de la nature) et science mathématique, fruit de l’ingéniosité humaine. Ces deux éléments se rejoignent dans les consonances parfaites, conséquences de proportions naturelles :

 

"Messieurs, vous le voyez, les musiques et les chants ont cessé ; résolvons encore la cadence finale du raisonnement que nous avons entrepris. Je suis la Dissonance51. L’action52 pratiquée (aussi bien le discours et le texte que la musique) est la Consonance Imparfaite, qui résout le tout et fait cadence dans la Consonance Parfaite de vos âmes généreuses, Très-Nobles Auditeurs, que je remercie infiniment et de tout mon cœur, pour la patience que vous avez eue de prêter l’oreille à mes concerts déconcertés :

Ainsi je demande pardon pour les rustres paroles,
Et tout ce que je puis donner avec moi je vous le donne
."53

 

Banchieri propose ainsi une interprétation sociale de la théorie de l’homme harmonique, à travers une métaphore musicale filée. Chacun contient en soi des éléments discordants qu’il convient d’accorder les uns avec les autres. Cette dissonance interne de l’homme face à lui-même se résout imparfaitement dans la consonance imparfaite54 que constitue l’action publique, ou plus largement l’effort intellectuel qui élève partiellement l’homme au-dessus de sa condition. La cadence parfaite, résolution de toutes les dissonances et consonances imparfaites, ne s’obtient que dans le groupe, dans l’assemblée de beaux esprits dont l’académie est un des avatars. Nous suggérons par ailleurs que les comédies madrigalesques à thématique pastorale, comme les Trattenimenti da villa, sont une autre proposition de réalisation sociale de la consonance parfaite, dans le cadre privilégié de la villégiature55.

 

 

La sampogna, métaphore musicale inépuisable               

 

Si Banchieri s’empare de la thématique de la sampogna à la suite de Marino, c’est qu’il perçoit son potentiel créatif. Au-delà du mot, au-delà de l’emblème, la sampogna est une métaphore inépuisable. Marino, poète du concetto, sait manier les esprits et activer le discours par le discours. L’art poétique mariniste repose sur un maniement virtuose de la langue qui fait surgir la meraviglia, l’émerveillement chez le public, lecteur ou auditeur. La métaphore est à cette fin employée généreusement, au point que Marino et les marinistes furent taxés par leurs adversaires de maniéristes littéraires.

Nous sommes cependant convaincus de la réelle profondeur de la poésie mariniste ; et nous sommes convaincus que la sampogna est un des plus habiles concetti du poète, au point qu’il est repris et développé par Banchieri. La notion de métaphore va nous permettre d’avancer encore un peu dans la connaissance de cette sampogna. Une des définitions les plus intéressantes nous est donnée par Emanuele Tesauro, dernier grand représentant de la lignée des concettistes dans sa Lunette aristotélicienne56, postérieure d’un demi-siècle aux écrits de Marino : la métaphore est une figure « qui sur ses ailes transporte notre esprit d’un genre à l’autre, pour nous faire entrevoir en un seul mot plus d’un objet » ; et plus loin : elle donne à « l’esprit de l’auditeur […] l’impression de percevoir en un seul mot tout un théâtre de merveilles »57 (Hersant). La multiplicité et la versatilité des images suscitées par la sampogna, pour peu que l’on prenne la peine de les déchiffrer, en fait ainsi une véritable métaphore musicale, capable d’activer un théâtre mental qui relie subtilement les éléments les plus matériels de la musique au discours cosmologique le plus abscons.

 

Questionner la théorie musicale                        

Si l’on considère d’abord la sampogna comme un simple instrument musical, on s’aperçoit bien vite que sa composition organologique est problématique vis-à-vis de la théorie musicale de la Renaissance et du premier baroque. Les sept tuyaux inégaux qui la constituent ne s’accommodent ni de l’octave, ni de l’hexacorde qui fonde la théorie des modes. Outrepassant celui-ci, elle ne remplit pas tout à fait celle-là. Banchieri figure d’ailleurs parmi les premiers à proposer de réformer la théorie musicale et d’assigner une syllabe au septième degré qui permet de passer de l’hexacorde à l’octave, ba ou bi selon que la note forme un demi-ton avec la précédente ou la suivante58. Il faudra attendre un siècle pour que cette tension soit résolue avec la théorisation de la tonalité.

Le canon qui figure sur l’emblème (visuel 1) illustre cette problématique, puisqu’au septième tuyau est associé graphiquement un silence. La devise discordi concors joue un rôle à son tour, elle invite à la résolution de la dissonance inhérente à ce système. Comment ? Par la résolution du canon !

Nous avons trouvé une première mouture de ce canon dans les Canons musicaux59 de 1613, tous résolus par le romain Micheli60. Zacconi, auteur d’une somme de Hiéroglyphes musicaux61, reconnaît s’être inspiré des énigmes de Giulio Cesare Croce, poète de tradition populaire apprécié et imité par Banchieri62. Les frontières sont donc poreuses entre les diverses formes hermétiques utilisées au XVIIe siècle. Le canon que l’on retrouvera sur l’emblème (visuel 1) est le second, précédé de son énigme (visuel 6), variation sur le thème de la musique harmonieuse comme réunion des contraires.

 

"Oh quelle lutte gracieuse à raconter !
Amis & ennemis sont unis,
Aigu & Suraigu chacun à son tour
Et tous contraires, & ils unissent par les sons
Les oreilles des autres ; moi je déclare
Aux Chanteurs afin qu’ils en soient avertis,
Ut ré mi fa sol chantent ceux-ci,
Fa mi ré ut, La sol fa mi avec ceux-là."63

 


	Second canon à quatre voixde Banchieri, précédé de son énigme.

Second canon à quatre voixde Banchieri, précédé de son énigme.

Les contraires, facteurs de discorde, se retrouvent selon plusieurs paramètres : le registre (Aigu et Suraigu, et les clés afférentes), la direction mélodique (descendante ou ascendante), et la nature de l’hexacorde64. Une fois résolu et mis en partition, on obtient un contrepoint à quatre voix (visuel 7). Lorsque ce même canon est inséré dans l’emblème académique de Banchieri, la première voix est privée de ses appoggiatures de manière à ce qu’il n’y ait plus que six notes. Si l’on ajoute aux six notes de chacune des deux voix la pause qui figure sur la portée, on retrouve l’équivalence entre les portées et les sept tuyaux de la sampogna gravée au centre. De plus, les six notes permettent de chanter de manière syllabique le texte « Discordia concors ».


	D. Romano Micheli, résolution du second canon de Banchieri (Micheli, p. 32)

D. Romano Micheli, résolution du second canon de Banchieri (Micheli, p. 32)

 

Syrinx, Sirènes, Silène            

La résolution du canon n’épuise cependant qu’une partie des questions soulevées par notre sampogna. Nous tenons à donner un exemple du mode de raisonnement hermétique qui alimente le jeu métaphorique derrière ce qui peut sembler n’être à première vue qu’un jeu de mots pédant. Le glissement paronomastique de Syrinx à sirènes, qui fonctionne en italien aussi bien qu’en français, se trouve dans l’œuvre de Banchieri. Le Discorso della lingua bolognese est un amusant ouvrage qui permet à l’auteur de faire l’éloge de sa ville grâce à un dialogue entre un étranger, Vespesiano (qui s’exprime en bonne langue toscane), et un autochtone, Ottavio (qui ne parle que le dialecte bolonais). Lorsqu’il s’agit des gloires musicales de la ville, Ottavio ne manque pas de mentionner l’académie des Filomusi, et son prince Adriano Banchieri. Interrogé comme par hasard sur l’emblème de l’académie, il hésite et parle de « la favola d’Sirena »65. Son interlocuteur le corrige alors et lui expose par le menu, s’appuyant sur le « celebre Poeta Marini »66, la fable de Pan et Syrinx qui nous est désormais familière.

Ce lapsus d’Ottavio, orchestré par la plume de Banchieri sous un pseudonyme qui lui permet de se mettre en scène67, n’est certainement pas innocent. Les Sirènes sont en effet des personnages mythiques au statut ambigu, entre les Enfers et le cosmos. Leur histoire est irrémédiablement liée à la musique. Et Platon dans sa République les place sur les cercles qui font tourner les sept astres errants ; chacune chante une note, et l’ensemble fait harmonie68. On ne peut pas rester indifférent à cette troublante coïncidence qui permet de rapprocher Sirènes et Syrinx, Sirènes et sampogna. Qui plus est, les représentations médiévales de Pan associent volontiers les sept tuyaux de sa flûte aux sept astres errants : « Il joue d’une syrinx à sept calames car l’harmonie du ciel comporte sept sons et sept registres de voix » (cité dans Rolet, 2002).

La tradition d’interprétation hermétique, devançant la psychanalyse, fait du lapsus une source de connaissance : ce qui est la conséquence d’une proximité phonétique des signifiants devient l’indice d’une proximité des signifiés. Le goût pour l’occulte, pour le secret, exprimé par cette tradition dans laquelle s’inscrit pleinement Marino, se manifeste notamment dans une fascination pour les Silènes « lesquels, fermés, représentaient l’image d’un Satyre aux pieds de Chèvre et la flûte [fistula] à la main ; mais, une fois ouverts, on y découvrait les simulacres des Dieux »69. Cette comparaison s’applique traditionnellement à Socrate, dont l’aspect repoussant cachait un esprit merveilleux ; mais Marino souhaite l’étendre à tout le genre humain. Quelques lignes plus bas apparaît notre chère sampogna, dans une métaphore obscure qui l’associe à « la douceur de la Musique » et à « la faconde de la langue »70. La sampogna, sous l’aspect rustre de ses origines pastorales, cache-t-elle comme les Silènes des trésors divins ?

 

 

Conclusion            

 

La sampogna apparaît finalement comme une co-création d’Adriano Banchieri et Gianbattista Marino, tous deux également musiciens et poètes à leur manière. Si le terme n’est pas de leur invention, ils ont cependant œuvré à l’intégrer dans un réseau métaphorique dense qui fait de l’instrument de musique pastoral la clé d’un véritable théâtre mental. La sampogna permet ainsi de créer des ponts entre harmonie sonore (musica instrumentalis), harmonie humaine et sociale (musica humana) et harmonie de l’univers (musica mundana). La sampogna contient en effet les prémisses de la théorie musicale, et permet de résoudre le canon énigmatique de l’emblème ; elle symbolise l’Arcadie retrouvée des académiciens bolonais ; elle exprime la marche harmonieuse de l’univers. La sampogna révèle donc les liens qui unissent ces mondes ; elle révèle, dans une perspective interprétative hermétique, les sympathies universelles.

Ce jeu de piste initié par l’emblème, s’il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, présente l’immense avantage de placer les problématiques musicales dans une représentation globale qui inclut poétique, esthétique, philosophie de la musique. L’outil métaphorique activé par la sampogna s’avère une aide précieuse dans la mise en relation et l’harmonisation de ces discours.

Bibliographie

Cette bibliographie ne se veut pas une bibliographie de recherche. Elle se contente de lister les ouvrages auxquels nous renvoyons dans l’article. Une bibliographie plus étendue sur le sujet est disponible dans notre mémoire de Master 1 « Autour de Pan et Syrinx : le monde pastoral dans le théâtre musical d’Adriano Banchieri (1568-1634) ».

  Œuvres d’Adriano Banchieri

Un certain nombre d’œuvres de Banchieri, et notamment La sampogna musicale, ont été numérisées par la Bibliothèque de la musique de Bologne. Elles sont consultables sur www.bibliotecamusica.it.

Sont listées ci-après dans l’ordre alphabétique (sans compter le premier article) les œuvres d’Adriano Banchieri citées au cours de cet article. Nous indiquons entre crochets le numéro de catalogue donné dans Mischiati (voir ci-dessous), auquel on se réfèrera pour une description matérielle complète des éditions.

1609, Conclusioni nel suono dell’organo, Bologne, héritiers de Giovanni Rossi [M 38].

1613, Terzo libro di nuovi pensieri ecclesiastici, Bologne, héritiers de Giovanni Rossi [M 11].

1614, Cartella musicale nel canto figurato Fermo, & Contrapunto, Venise, Giacomo Vincenti [M 35b].

1625, La sampogna musicale, Bologne, Girolamo Mascheroni [M 40].

1626, Il Virtuoso ritrovo academico, Venise, Bartholomeo Magni [M 28].

1627, Trastulli della villa distinti in sette giornate […] Curiosità Dramatica del Sig. Camillo Scaliggeri dalla Fratta, Venise, Giovanni Antonio Giuliani [M46a].

1628, Lettere armoniche, Bologne, Girolamo Mascheroni [M 41].

1630, Discorso della lingua bolognese […] Bizarro Capriccio di Camillo Scaligeri dalla Fratta, Bologne, Clemente Ferroni [M 44c].

1630, Trattenimenti da villa, Venise, Alessandro Vincenti [M 27].

 

Sources primaires

BERTELLI,A.

1628, Siringa fugace, favoletta in musica rappresentata nell’Accademia de’ Filomusi di Bologna da Alberto Bertelli l’Inutile, Bologne, Ferroni.

 

BOCCHI, F.

1580, Discorso di Francesco Bocchi sopra la musica, non secondo l’arte di quella, ma secondo la ragione alla politica pertinente, Firenze, Marescotti.

 

BOETHII, S.[Boèce]

1990 [ca 510], De institutione musica, éd. Giovanni Marzi, Rome, Istituto Italiano per la Storia della Musica.

 

CASONI DA SERRAVALLE, G.

1596, Della magia d’amore. Dialogo Primo, Venezia, Agostin Zoppini e nepoti.

 

CROCE, G. C.

1611, Dvecento enigmi piacevoli da indovinare. Destinati in due solazzeuoli notte. Aggiuntoui altri sette sonetti per notte, nel medesimo genere. Con la loro dichiarazione nel fine. Trattenimento nobile per ogni spirito gentile, & virtuoso, Venetia, Gio. Battista Bonfadino.

 

DE CONTY, E.

ca 1400,Le Livre des échecs amoureux moralisés, Paris, Bibliothèque Nationale, ms. fr. 143.

 

DELL’ANGUILLARA, G. A.

1584, Le Metamorfosi di Ovidio, Venise, Bernardo Giunti.

 

LEONI, S.

1988, Le armonie del mondo. La trattatistica musicale nel Rinascimento: 1470-1650, Gênes, ECIG.

 

MARINO, G. B. [Cavalier Marin]

1614, Dicerie sacre, Turin, Luigi Pizzamiglio / 1960, Turin, Einaudi.

1620, La sampogna del Cavalier Marino, Divisa in idillÿ favolosi, et pastorali, Paris, Abraam Pacardo / 1993, Parme, Fondazione Ugo Bembo.

 

MICHELI,R.

1615, Musica vaga et artificiosa continente motetti con oblighi, et canoni diversi, Venezia, Giacomo Vincenti.

 

OVIDE

1992 [ca 1],Les Métamorphoses, trad. de Georges Lafaye, Paris, Gallimard.

 

SANNAZARO, J.

1572, Arcadia, Genova, Antonio Bellone.

 

SYMEONI, G.

1584, La vita et Metamorfoseo d’Ovidio, figurato & abbreviato in forma d’epigrammi…, Lyon, Giovanni di Tornes.

 

TASSO, T.

1977 [ca 1580], L’Aminta, in Il teatro italiano. II. La tragedia del Cinquecento, Turin, Einaudi.

 

« Viaggio interattivo nelle Metamorfosi di Ovidio », accessible en ligne à l’adressewww.iconos.it.

 

Sources secondaires

BORZELLI, A.

1906 [1898], Il Cavalier Giovan Battista Marino (1569-1625), Naples, Stabilimento Tipografico Priore.

 

Grove Music Online, Oxford Music Online,Oxford University Press [en ligne].

Carter, T., “Maggiolata” D’Accone, F. A., “Canti Carnascialeschi”

ECO, U.

1992 [1990],Les Limites de l’interprétation, Paris, Grasset.

 

GAMBASSI, O.

1983, “Nuovi documenti su Girolamo Giacobbi”, in Rivista Italiana di Musicologia, vol. 1, no 18, p. 29-48, Lucques, LIM.

 

GOZZA, P.

2008, “Storia musicale dell’aria”, in Musica e storia, 2008:3, p. 519-532, Bologne, Il Mulino.

 

GRAZIANI, F.

2000, « Camillo Pellegrino : Del concetto poetico (1598) », in Nouvelle Revue du XVIe siècle, vol. 18, no 1, p. 157-181, Paris, Droz.

 

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1870, Cose notabili della città di Bologna, 4 t., Bologne, Società Tipografica dei Compositori.

 

HERSANT, Y.

2001, La Métaphore baroque d’Aristote à Tesauro, Paris, Seuil.

 

MALVASIA, C. C.

1678, Felsina pittrice. Vite de pittori bolognesi, 2 t., Bologne, héritier de Domenico Barbieri.

 

MISCHIATI, O.

1971, “Adriano Banchieri (1568-1634): profilo biografico e bibliografia delle opere”, Annuario del Conservatorio di musica “G. B. Martini” di Bologna, 1965-1970, Bologne.

 

PANOFSKY, E.

2014 [1969 pour la traduction française, 1955 pour l’original], « Et in Arcadia ego : Poussin et la tradition élégiaque », in L’Œuvre d’art et ses significations. Essais sur les « arts visuels », Paris, Gallimard.

 

ROLET, A.

2002, « Musique des sphères, musique de l’âme : une utilisation allégorique de Pan et son contexte philosophique dans les Symbolicae quaestiones d’Achille Bocchi (1555) », in Wolfgang Harms et Dietmar Peil (dir.), Polyvalenz und Multifunktionalität des Emblematik, Akten des 5. Internationalen Kongresses der Society for Emblem Studies, vol. 2, p. 547-581, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang.

 

Trésor de la Langue Française Informatisé, accessible en ligne à l’adresse http://atilf.atilf.fr/

 

VAN LIEFFERINGE, C.

2012, « Les Sirènes : du chant mortel à la musique des sphères. Lectures homériques et interprétations platoniciennes », in Revue de l’histoire des religions, 2012/4, vol. 229, p. 479-501.

 

WUIDAR, L.

2008, Canons énigmes et hiéroglyphes musicaux dans l’Italie du XVIIe siècle, Bruxelles, Peter Lang.

 

ZOTTI, C.

2008, Le Sourire du moine. Adriano Banchieri da Bologna, Nice, Serre.

Notes

1 (Les noms d’auteur renvoient à la bibliographie en fin d’article. Lorsqu’il y a plusieurs ouvrages pour un même auteur, le nom est suivi de l’année.) Cf. Eco, et plus précisément le chapitre II pour une synthèse de la tradition d’interprétation hermétique et de ses développements à la Renaissance.

2 L’histoire italienne – et le domaine musical ne fait pas exception – est extrêmement régionalisée. Cet article n’est pas le lieu d’une étude approfondie sur la musique à Bologne (voir notamment Merizzi et Guidicini). Disons seulement que Bologne appartient de manière continue aux États de l’Église pendant tout le XVIe siècle et jusqu’à l’arrivée des troupes napoléoniennes. Cela signifie qu’il n’y a pas de cour à Bologne. La renommée italienne et européenne de la ville est due avant tout à son université. Quant à l’adjectif bolonais, le Petit Robert de la langue française le préfère à bolognais, avec lequel il est en concurrence. Nous nous rangeons à cette décision.

3 Pour une réflexion sur la notion de concetto, voir Graziani, 2000.

4 Les œuvres d’Adriano Banchieri, repérées uniquement par le titre, font l’objet d’une catégorie à part dans la bibliographie en fin d’article. L’emblème (visuel 1) se retrouve également imprimé en deux endroits du Primo libro d’arie musicali per cantarsi nel gravicimbalo, e tiorba. A una, a due, e a tre voci, Florence, Gio: Batista Landini, 1630, de Frescobaldi, p. 5 et 43, a priori comme simple motif décoratif.

5 Ce qui ne l’empêche pas de prendre une signification métaphorique. Souvent, le défi musical est la conséquence d’une manifestation d’hybris et sa conclusion permet de réaffirmer la hiérarchie du monde mythique.

6 Voir Ovide, Dell’Anguillara, Symeoni, de Conty, et le site ICONOS.

7 De Conty, f. 157 ro. Libre modernisation de l’original, dont voici une transcription semi-diplomatique (nous résolvons les abréviations) : « Nous povons donc scavoir que les poetes anciens entendoyent par le dieu pan communement nature universelle (de natura universali) qui comprend dune part le ciel et les estoilles et toutes les choses du monde de lassus & daultre part tous les quatre elemens et les choses terrestres du monde cy dessoubz et ce nous est assez signifie par le nom pan qui autant vault en grec comme tout en francoys cest a dire toute nature ».

8 Symeoni, p. 30. [Toutes les traductions sont de notre fait.] “Scendea Syringa il gran monte Lyceo, / Per riveder l’amate sue sorelle, / All’hor che Pan, cornuto Semideo, / S’innamoro delle sue treccie belle, / Et per pigliarla ogni suo sforzo feo, / Scaldato da venerce facelle: / Ma, mentre col pensier Syringa chiude, / Sol canne abbraccia in humida palude.”

9 L’expression est un lieu commun de la littérature italienne du XVIe siècle, emprunté à Plutarque. Cf. Casoni da Serravalle, premier dialogue, chapitre quatre, p. 31 sqq., et Marino (1614).

10 Cf. Boèce. Le principe harmonique régit la musica mundana, musique des astres errants, du macrocosme, la musica humana, musique de l’homme, microcosme, et la musica instrumentalis, musique sonore. Ainsi la musica instrumentalis est la manifestation sensible d’un phénomène général qui régit le bon fonctionnement de l’univers. Cf. aussi Pietro Aaron, au chapitre quatre du Toscanello in Musica, cité par Leoni, p. 157-158. De manière anecdotique, le florentin Bocchi nous explique que nous n’entendons pas la musique des ciels parce qu’elle nous assourdit, comme ceux qui vivent auprès des chutes du Nil n’entendent plus le bruit des cascades : « il se trouve pour la même raison que nous n’entendons pas le grand son du ciel, qui ne cesse pas de chanter continuellement de très douces harmonies. » (Bocchi, p. 12. “A noi accade altresì per la medesima ragione di non sentire il gran suono del cielo, che continuamente con dolcissime armonie non cessa di cantare.”)

11 De Conty, f. 157 vo. Libre modernisation également : « Finablement ce que ceste figure donne a entendre que cupido qui est filz de venus et dieu aussi damours luyta au dieu pan dessus dit et labatit de fait et vainquit tout a plain nous monstre & signifie que amours vaint et surmonte nature et toutes choses ».

12 Marino (1614), ff. 98 vo et 99 ro. “Giunto stanco all’amaro fiume della sua Passione, la vede cangiata in vilissima Canna, cioè à dire incostante & senza fermezza. Questa Canna prende egli in mano; né per altra cagione (s’io mal non aviso) dopo mille altri scherni & flagelli gli è consegnata la Canna, senon per segno ò della fragiltà & debolezza dell’huomo, ò della instabiltà & leggerezza del mondo, ò della vanità & apparenza del peccato. Per le quali cose afflitto & addolorato Christo, ecco che forma & intesse da sette bucciuoli un musicale stromento, al cui suono canta, anzi deplora & piagne il mal’impiegato amor suo, & la malvagia ingratitudine nostra. Et quinci verace si conosce la sentenza di costui che disse, che ‘l vero maestro della Musica è Amore, né altri ch’Amore la’nsegna altrui; poiche non altro spirito ch’amoroso, detta al Sonatore di questa divina Sampogna le sette bellissime & affettuosissime canzonette, ch’egli hoggi sopra la Croce compone & canta.”

13 La métaphore du troupeau des croyants et du Christ comme Bon Pasteur est bien connue. A une autre échelle, le Christ est associé à l’agneau sacrifié par Dieu le Père, Agnus Dei. Il se trouve en tout cas au centre de la métaphore pastorale.

14 Amour apporte douleur et jouissance, comme la dissonance musicale. La jouissance ne peut advenir qu’après la douleur, de même que la consonance n’est goûtée que parce qu’elle suit la dissonance. Ces deux paradoxes sont alors expliqués par des argumentations parallèles. Ainsi dans l’Aminta du Tasse on lit le dialogue suivant entre Tirsi et Daphné : « [Tirsi] Les plaisirs de Vénus n’abandonne pas / Celui qui fuit l’amour, mais il cueille et goûte / Les douceurs de l’amour sans son amertume. / [Daphné] Cette douceur est insipide lorsqu’elle n’est pas / Agrémentée de quelque amertume, et bien vite elle rassasie. » (Tasso, II, 2, vv. 127-131. “[Tirsi] I diletti di Venere non lascia / L’uom che schiva l’amor, ma coglie e gusta / Le dolcezze d’amor senza l’amaro. / [Dafne] Insipido è quel dolce che condito / Non è di qualche amaro, e tosto sazia.”)

15 Dell’Anguillara, XI, 47-49, p. 396. “Lo spirto Pane à la siringa aviva, / E poi fa, che la voce il verso esprime. […] La lira allhor de l’eloquenza il fonte / Appoggia à la sinistra poppa, e suona. […] Come lo Dio del monte il dolce accento / Ode concorde à la soave lira, / E tien ne’ circostanti il lume intento, / E vede, ch’ogni orecchia alletta, e tira; / Se ben il canto tuo da me s’ammira, / Pur quel del biondo Dio mi par più degno, / E che la canna tua ceda al suo legno. / La sentenza del Monte ogn’un approva, / Ogn’un col ciglio, e con la lingua applaude, / Che ‘l dir d’Apollo più diletti, e mova, / Ancor che quel di Pan merti gran laude.”

16 Cf. Gozza. Voir également Casoni da Serravalle, f. 34 ro, pour un usage complémentaire de la même expression. « Pan prend sept roseaux, qui représentent les sphères des sept Planètes [les sept astres errants de la cosmologie platonicienne], et, leur donnant l’esprit par le souffle, il en résulte un son très agréable ; c’est-à-dire que, la nature assignant à chaque Ciel un esprit intellectuel particulier, qui le mette en mouvement, il naît cette correspondance admirable entre les très-doux sons musicaux & la très-suave harmonie céleste. » (“Prende Pan sette calami, che s’intendono le sfere delli sette Pianetti, e dandoli spirito co ‘l fiato, nè rissulta gratissimo suono, ch’è assignando la natura ad ogni Cielo il suo spirito intelettuale, che li presta il moto, nacque la mirabile corrispondenza, i dolcissimi suoni musicali, & la soavissima Celeste armonia.”)

17 De très nombreuses sources insistent sur l’importance de la musique pour l’efficacité du discours. Les Gracques ou encore Alexandre le Grand étaient ainsi accompagnés d’un musicien lors de leurs oraisons publiques : « Combien de jouissances apporte-t-elle [la musique] à l’Orateur, qui avance avec les forces de celle-ci, & et avec son ornement rend sa parole plus achevée ? » (Bocchi, p. 11. “Quanto di giovamento arreca ella all’Oratore, che con le forze di questa si avanza, & fà con l’ornamento di lei la sua favella più compiuta?”)

18 Dell’Anguillara, commentaire au livre I, p. 27. “L’instrumento, co ‘l suono del quale adormentò Mercurio gli occhi della ragione, fù l’istesso di Pan, che con la sua dolcezza ci adormenta di maniera, che rimanemo morti, quanto all’alta, e divina consideratione delle maravigliose opere del Creatore: come quelli, che andiamo [sic,abbiamo?] perduti, nella dilettatione delle cose create.” Argosen grec ne désigne pas tout à fait la raison. Comme adjectif, argos évoque la lumière et la vélocité, qualités qui peuvent être symboliquement appliquées à la raison (voir A. Bailly, Abrégé du dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 1901).

19 Dans le Discorso della lingua bolognese, p. 117, le Siennois Vespesiano paraphrase la fable de Pan et Syrinx pour expliquer l’emblème de l’Académie des Filomusi, et en appelle au « célèbre Poète Marini dans ses Dicerie sacre, au début de La Musique ». (“I moderni Poeti per tradizzione de gli antichi, e tra questi il celebre Poeta Marini nelle di lui Dicerie Sacre, al principio della Musica”)

20 À la page 158 des Lettere armoniche, on peut lire les vœux pour les fêtes de fin d’année que Banchieri adresse au « Sign. Dottore Claudio Achillini ». Lettre très alambiquée mais peu intime, elle n’en atteste pas moins un réel contact entre les deux hommes.

21 Voir Terzo libro di nuovi pensieri ecclesiastici.La même strophe (très légèrement variée) se retrouve cependant en 1609 dans les Conclusioni nel suono dell’organo, p. 17 (visuel 3), sans que Marino soit nommé, ce qui met en doute l’attribution de ces quelques vers. D’un point de vue stylistique, l’attribution est tout à fait plausible. Que le nom de Marino soit occulté peut être dû à la censure (ou autocensure de l’auteur), Marino étant un personnage particulièrement polémique (voir Borzelli).

22 Marino, 1614, f. 84 vo. “Pan Iddio delle selve finse l’antica Gentilità, che venuto con Amore in contrasto, & da lui superato, fù costretto dal vincitore ad innamorarsi di Siringa ninfa d’Arcadia, laqual sicome selvaggia & ritrosa, datasi velocemente a fuggirlo, giunta insù l’estrema riva del fiume Ladone, & dal seguace amante a mezo il corso sopragiunta, fù dalle ninfe in tremula & palustre canna trasformata. I cui calami da leggier venticello agitati sentendo egli con soave sibilo sfrascolare, ne troncò sette, & di quelli con disuguale ordine contesti compose una sonora Sampogna, al cui tenore accordando poi la voce, cantò l’historia de’ suoi poco felici amori.” Le frontispice de l’édition parisienne de l’œuvre justement intitulée La sampogna (voir Marino (1620)) présente l’instrument éponyme, avec certes un nombre plus important de tuyaux (visuel 4).

23 Pour une introduction brève autant que remarquable à l’histoire de l’Arcadie, comme lieu idéologique, voir Panofsky.

24 Gioseppe Horologgi, commentateur de Dell’Anguillara, glosant la fable de Midas, considère que les roseaux « sont les trompettes des Écrivains, et Poètes, qui partout dévoilent les vices bestiaux [des hommes au jugement corrompu] ». (Dell’Anguillara, p. 418. “Le canne, che sono le trombe de i Scrittori, e Poeti, che vanno scoprendo in ogni parte i vitij bestiali loro”, “loro” renvoyant aux “huomini, che hanno corrotto il giudicio”.)

25 Marino (1620), dans la lettre dédicatoire en ouverture du volume,“Al Serenissimo Sig. Prencipe Tomaso di Savoia”. “Tanto più, che questa, ch’io hora le presento, non è la Sampogna già ritrovata dal famoso Dio d’Arcadia, perche quella dopo che dalle selve della Grecia fù trasportata in quelle del Latio, & dalle mani del Pastor di Siracusa passò a quelle del Mantovano, sene stette quasi sempre mutola infino al tempo del buon Sincero, il qual ne fece con chiarissimo rimbombo risonar le piagge della mia diletta & dilettosa Parthenope; ma da indi in qua nel nostro secolo a pochi altri (salvo Aminta, & Mirtillo) è stato permesso d’accostarvi degnamente le labra.”

26 Métaphore qui a évidemment à voir avec les origines de la poésie et les poètes mythiques, tous musiciens : Apollon, et Orphée à son image.

27 Sannazaro, p. 100. “Né ti curare, se alcuno usato forse di udire più esquisiti suoni, con schifo gusto schernisse la tua bassezza, ò ti chiamasse rozza. Che veramente (se ben pensi) questa è la tua propria, & principalissima lode; pur che da’ Boschi, & da’ luoghi à tè convenienti non ti diparta.”

28 Marino (1620), à la suite de la citation reportée en note 25. “Et ancorché il dono non sia di lira ma di sampogna, non sarà, se non m’inganno, contuttociò disdicevole; ché chi è avvezzo, non dico ai dolci concenti delle lire, ma anche agli strepiti delle trombe, abbassi pure l’orecchie al rustico suono della musica selvaggia, poiche né anche Apollo nel tempo che ne’ boschi menava vita pastorale, non si sdegnava d’ascoltare le semplici canzonette de’ rozi contadini.”

29 Cartella musicale, pas de pagination, Annotatione précédant les chapitres de l’Académie. “Benche quivi si tratti di eriggere Accademia, & Capitoli particolari, si può però il tutto applicare all’universale in qual altro Monastero Convento, Collegio, Seminario & ancora in ridotti di Secolari, […] da gli quali virtuosi ridotti & Accademie sono scaturiti & giornalmente fioriscono dottissimi ingegni ne gli studi delle buone lettere in Mathematica Musica Poesia, & altri onorati trattenimenti.”

30 Ce n’est pas le lieu d’une digression ethnomusicologique sur les traditions populaires qui fêtent la belle saison. Il nous suffira de savoir qu’elles ont alors en Italie une composante dramatique, pour ne pas dire rituelle (il maggio drammatico), et une composante musicale représentée par les maggiolate.C’est une période du calendrier qui suit les privations du Carême et coïncide avec l’arrivée des beaux jours, entre Pâques et la Saint-Jean. On pourrait parler d’une réplique légère du Carnaval, et on se livre d’ailleurs à des cérémonies similaires : les canti carnascialeschi et les mascarades afférentes sont les mêmes avant ou après le Carême (Voir D’Accone et Carter).

31 Sur l’origine de ce nom, nous suggérons une référence à Guido Casoni, Della Magia d’Amore, où il est question d’Amour, maître de musique dans son académie efflorescente. Voir Casoni da Serravalle, f. 36 ro. “Insegna il nostro Musico [Amore] nella florida sua Accademia”. Que Banchieri ait lu cet ouvrage n’est pas impossible : premièrement pour la grande diffusion de l’œuvre de Casoni à partir des années 1580 ; deuxièmement parce que l’on trouve,quelques lignes au-dessus de la citation rapportée,la fable de Pan et Syrinx, si chère à notre auteur (voir note 16 supra).

32 Lettere armoniche, p. 24-25. La date de 1625 est contestée ; il est certain en tout cas qu’en 1625 l’Académie siège chez Giacobbi. Cf. La sampogna musicale.

33 Voir TLFi, vedette « emblème », définition de Poldo D’Albenas en 1560.

34 Voir Wuidar, p. 38. Elle définit l’impresa comme « constituée d’une devise et d’une image à la différence de l’emblème triplexe (devise, image, épigramme) ». De ce dernier, les exemples sont nombreux : cf. Alciat, Emblemata, Augsbourg, Henri Steyner, 1531ou Bocchi, Symbolicae Quaestiones, Bologne, 1555. Les portées musicales sont équivalentes à (ou complémentaires de) la devise.

35 Voir Cartella musicale, douzième chapitre des règles académiques, sans pagination, pour une explication de l’emblème de l’Académie des Floridi.

36 P. Ovidi Nasonis, Metamorphoseon Liber Primvs, vv. 709-710 : « arte nova vocisque deum dulcedine captum / ‘hoc mihi colloquium tecum’ dixisse ‘manebit’ ». Jean-Pierre Néraudau (voir Ovide) traduit : « Le dieu, charmé par cette découverte et par ces sons mélodieux, s’était écrié : ‘Voilà qui me permettra de m’entretenir avec toi à tout jamais !’ ».

37 Voir Wuidar, p. 17.

38 Voir Discorso della lingua bolognese, p. 116-118.

39 Bertelli, p. 3-4. “Hora perche V. S. Illustriss. Veda in qualche parte i progressi Academici, le presento la Invention Poetica della Musica, opera pure d’un nostro Academico, e dalla quale fù levata l’Impresa nostra generale.”

40 La sampogna, « poétiquement inventée par le Dieu Pan »(La sampogna musicale, p. 6. “Poeticamente inventata dal Dio Pane”), « dont on dit que la Musique instrumentale tirerait son origine » (Discorso della lingua bolognese, p. 117. “Dalla quale dicono havesse origine la Musica stromentale”).

41 Cf. Frescobaldi, Il primo libro delle canzoni (RISM F 1868 et 1869). Les académies musicales de Bologne jouent cependant un rôle non négligeable dans l’émancipation de la musique instrumentale. De nombreux compositeurs de premier plan sont agrégés aux académies bolonaises. Le Vénitien Tarquino Merula par exemple signe son Arpa Davidica en 1640 comme Accademico Filomuso di Bologna.

42 Rabelais, Tiers-Livre, chapitre XLIV, « Comment Pantagruel & Panurge diversement interpretent les paroles de Triboulet ».

43 La sampogna musicale, p. 4. “Dotto, e vago Musico, e Poeta il Cavaliero Gio: Batt. Marino”

44 On pourrait traduire ce titre ainsi : « La vertueuse réunion académique ». Il faut souligner cependant l’ambivalence en italien du terme virtuoso, qui déjà vaut pour vertueux et virtuose. Banchieri joue sans cesse avec l’équivocité du terme, notamment dans les Conclusioni nel suono dell’organo,p. 64 : il y figure un « pieux et civil avertissement aux organistes virtuoses », dans lequel il établit une tripartition paronomastique des musiciens, selon qu’ils soient « victorieux », « vertueux/virtuoses » ou « vicieux » (vittoriosi, virtuosi et vittiosi).

45 Au frontispice de La sampogna musicale, Banchieri annonce justement que « la Musique s’imprime à Venise chez Bartolomeo Magni Gardano » (“La Musica si stampa in Venetia da Bartolomeo Magni Gardano”). La datation est tout à fait cohérente, puisque La sampogna est représentée le 14 novembre 1625. De plus, Banchieri emploie une expression qui annonce le Virtuoso ritrovo academico :le “Virtuoso Ridotto delli Signori ACADEMICI FILOMUSI DI BOLOGNA”. De plus, le sous-titre au frontispice du Virtuoso ritrovo nous dit qu’il fut « pratiqué publiquement avec des Concerts Musicaux variés à 1, 2, 3, 4 ou 5 voix ou instruments à l’Académie des Filomusi »(“Publicamente praticato con variati Concerti Musicali / A 1. 2. 3. 4. 5. Voci ò Stromenti, nell’Accademia de Filomusi”).

46 Dans la table des matières du Virtuoso ritrovo.Pour des indications plus précises quant à la nature des instruments impliqués, voir Conclusioni nel suono dell’organo, p. 55, où est décrit l’accord du consort de violons.

47 Banchieri emploie ce terme dans une lettre au docteur Domenico Nobili, invitation à entendre réciter La sampogna musicale. Lettere armoniche, p. 32-33: “attione publica”.

48 Discorso della lingua bolognese, p. 116. “Al Camarott dov s’opera la Cademia, è tutt urnà d’suram d’or, con un Theatr eminent, dov stan ÿ operanti Academici, con Pittur eccellent dal Renni, Carazza, Cin[s/g]in, e altr, similment intorn tutt li Impres à Oli curnis à d’or, non sol di Academici terrier, mò furastier ancora.” Quelques commentaires s’imposent quant à ce témoignage dialectal :parmi les peintres cités, on reconnaît facilement Reni et Carrache (probablement Ludovico, qui restera toujours attaché à la ville) ; l’identité du troisième en revanche est problématique, et la détérioration de l’impression n’aide pas la lecture. Après consultation des index de Malvasia (vol. 2), seul le nom de Cignani paraît probable, mais le fait qu’il soit né en 1628 infirme cette hypothèse (à moins qu’il ne s’agisse d’un membre de la même famille, trop peu notoire pour être immortalisé par Malvasia). Quant aux académiciens forastieri désignés dans le texte, cela désigne ceux qui ne sont pas de Bologne mais agrégés cependant à l’Académie des Filomusi.

49 Voir Gambassi, p. 46 : “dui quadri dove sono l’imprese”. On peut imaginer que le premier tableau représente l’emblème des Filomusi, le second celui de Banchieri, prince de l’Académie au moins jusqu’en 1628.

50 Reprise en bonne partie dans les Lettere armoniche, p. 131-135.

51 En réalité, le Dissonant, en référence à son surnom académique. Nous avons choisi de féminiser le terme pour faciliter la compréhension. Idem pour les Consonances.

52 Au sens rhétorique de mise en voix et en gestes du discours, synonyme de pronuntiatio.

53 La sampogna musicale, p. 7 :“Signori, Voi vedete, cessato è il suono, e il canto, risolviamo ancor noi la cadenza finale nel nostro intrapreso ragionamento. Io sono il Dissonante. L’attione praticata (quanto al discorso, testura, e concerti) e il Consonante Imperfetto, che il tutto risolve, e fa cadenza nel Consonante Perfetto de gli animi generosi di Voi Nobilissimi Ascoltanti, à quali rendo infinite grazie con tutto l’affetto del cuore, della patienza havuta in porgere orecchio alli miei sconcertati concerti: Si come al rozzo dir chieggio perdono, / E quanto dar poss’io meco vi dono.

54 La théorie musicale divise alors les intervalles en trois catégories : consonances parfaites (octave juste, quinte juste), consonances imparfaites (tierces et sixtes), dissonances (les autres intervalles, y compris la quarte qui se fait avec la basse ; la quarte est consonance parfaite lorsqu’elle s’ajoute à la quinte pour former l’octave). Pour se faire une idée de la réalité sonore de cette classification, il faut tenir compte des tempéraments inégaux alors en usage.

55 Voir à ce sujet notre mémoire de Master 1 « Autour de Pan et Syrinx : le monde pastoral dans le théâtre musical d’Adriano Banchieri (1568-1634) », consultable sur demande en version électronique.

56 En italien, Il cannocchiale aristotelico. Pour un commentaire et une traduction française de larges extraits de ce texte, voir Hersant.

57 Hersant, p. 105 et 107.

58 Voir Cartella musicale, p. 18-24. Banchieri nomme cette nouvelle méthode seconda pratica, mais celle-ci n’a rien à voir avec la seconda prattica des florentins dans les mêmes années.

59 Il ne nous est parvenu aucun exemplaire de cette publication autonome de Banchieri. Par chance, ils sont joints à la Cartella musicale, p. 151-160.

60 Voir Micheli. Banchieri remercie Micheli pour cet honneur dans une lettre des Lettere armoniche, p. 50-51.

61 Voir Wuidar. Lodovico Zacconi, Geroglifici Musicali, Pesaro, Biblioteca Oliveriana (I-PESo), Ms. 559.

62 Voir Croce. Banchieri dans l’énigme préliminaire à ses canons adopte un schéma métrique identique en tous points : chaque énigme se présente sous la forme d’un huitain d’hendécasyllabes avec dernier accent tonique sur la pénultième (endecasillabi piani), et les rimes abababcc.

63 Cette énigme apparaît à la page 153 de la Cartella musicale, suivie du canon (visuel 6) et d’une aide à la résolution.

64 Ce n’est pas le lieu de rappeler la théorie musicale de l’époque, dont Banchieri est par ailleurs un excellent pédagogue, notamment dans la Cartella musicale. Il nous suffira de mettre en évidence les trois hexacordes présents sur ces deux portées : naturel sur la deuxième portée (do ré mi fa sol la pour le solfège moderne), par bécarre dans la première moitié de la deuxième portée (sol la si do ré mi) et par bémol dans la seconde moitié (fa sol la si bémol do ré).

65 Discorso della lingua bolognese, p. 116.

66 Ibid., p. 117.

67 Sur les identités multiples de Banchieri, voir Zotti. C’est un jeu de piste laissé par Banchieri à ses contemporains et à la postérité. Le « Sonnet de l’Auteur à l’Auteur » (Trastulli della Villa, f. 3 vo) par exemple laisse entendre que Camillo Scaliggeri dalla Fratta est également compositeur, et on reconnaît Banchieri à la mention de la fameuse sampogna et de son surnom académique, « il Disonante ». Banchieri est friand de ces jeux littéraires. Il exprime d’ailleurs dans les Trastulli della villa son admiration pour le Don Quichotte de Cervantès, autre mascarade littéraire quasi contemporaine.

68 Voir Van Liefferinge, 2012. Dans la transmission du mythe d’Er via les néoplatoniciens de l’Antiquité tardive, on observe une ambiguïté quant au nombre de Sirènes : sept ou huit, selon que l’on assigne ou pas une Sirène au cercle extérieur du cosmos.

69 Marino, 1614, f. 26 ro :“I quali chiusi rappresentavanno l’effigie d’un Satiro co’ piedi di Capra, & con la fistula in mano; ma aperti discoprivano i simulacri degl’Iddij.”

70 Ibid. :“Hà la sampogna per la soavità della musica, & per la facondia della lingua”.

Pour citer ce document

Adrien Alix, «Interprétations et créations autour d’un mythe musical. La sampogna d’Adriano Banchieri», La Revue du Conservatoire [En ligne], La revue du Conservatoire, Le cinquième numéro, Création / Re-création, mis à jour le : 25/07/2017, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=1649.

Quelques mots à propos de :  Adrien Alix

Adrien Alix débute ses études musicales au Pôle Sup’ 93 dans la classe de contrebasse de Jean-Christophe Deleforges. Alors qu’il poursuit son cursus au Conservatoire de Paris (CNSMDP), Adrien joue avec diverses formations spécialisées dans l’interprétation historiquement informée : le Theresia Youth Baroque Orchestra, le Jeune Orchestre de l’Abbaye, le Parlement de Musique, l’Academia Montis Regalis, etc., sous la direction de chefs renommés, tels Philippe Herreweghe, Jos van Immerseel, Martin Gester, Chiara Banchini, Diego Fasolis, François-Xavier Roth ou Alfredo Bernardini. La pratique de la viole de gambe et du violone lui permet d’aborder des répertoires plus anciens, avec les ensembles Euridice 1600-2000 ou Umbra Lucis en Italie, mais aussi dans les projets qu’il mène avec l’Atelier du Sensible dont il est membre fondateur. Par ailleurs, après une licence en lettres modernes à la Sorbonne et en sciences politiques, il se dirige vers la recherche en musicologie au sein du master de l’Université Paris 8 Vincennes–Saint-Denis, sous la direction de Joël Heuillon. Sa recherche s’oriente vers la musique italienne du premier baroque, dans une perspective littéraire et esthétique. Sa sensibilité envers la poésie et le pouvoir des mots l’amène au théâtre musical sous toutes ses formes, des fastes de l’opéra baroque (orchestre Coin du Roi à Milan) au théâtre de marionnettes avec la compagnie Le Printemps du Machiniste.