Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
n°7
Chia-Yu Hsu

Un regard sur les Souvenirs des concerts du Conservatoire de Charles-Valentin Alkan (1813-1888)

Article
  • Résumé
  • Abstract

Cet article s’appuie sur la préface de la première série des Souvenirs des concerts du Conservatoire pour piano seul d’Alkan. À notre connaissance, c’est le seul texte, au sens strict,dans lequel Alkan ait consigné ses points de vue dans le domaine de la transcription. Pour comprendre sa conception fondée sur une perspective envisagée sous des angles différents, il nous a paru indispensable de mener l’enquête en tenant compte à la fois du contexte sociohistorique et de ses propres stratégies compositionnelles.

Texte intégral

Introduction

 

Charles-Valentin Alkan (1813-1888), une des figures majeures de l’école française de piano au XIXe siècle, attire de plus en plus l’attention au niveau international, notamment depuis le bicentenaire de sa naissance. Comme Chopin et les pianistes-compositeurs de l’époque, il composa presque exclusivement pour son instrument. Ses compositions vont des Trois Grandes Études pour les deux mains séparées et réunies à la Grande Sonate pour piano « Les Quatre Âges », et à ses Douze études dans tous les tons mineurs, un sommet de virtuosité qu’il pouvait seul atteindre à son époque.

En revanche, nos connaissances sur ce compositeur restent limitées en comparaison de celles que nous possédons sur d’autres compositeurs de son époque (par exemple Chopin, Liszt et Schumann), notamment sur sa conception de la transcription. Les deux monographies consacrées à Alkan1 ont traité cet aspect d’une manière générale seulement et concernent plutôt les œuvres originales.

Cette étude porte sur la première série des Souvenirs des concerts du Conservatoire pour piano seul d’Alkan, datée de 1847. Pour arriver à approcher le plus près possible de ce que Jean Molino a appelé « le fait musical total »2, nous croiserons les contextes sociaux et historiques, les progrès de la facture de piano, le développement des concerts publics, un aperçu de l’édition musicale et de ses stratégies commerciales en France.

Alkan met le plus souvent le nom des pièces originales et le nom de leur auteur comme titre principal de ses transcriptions, mais ce n’est pas le cas des Souvenirs des concerts du Conservatoire. De plus, le contenu de cette collection attire l’attention, parce qu’à première vue, on ne trouve aucune relation apparente entre chacune des pièces :

1. B. Marcello : le 18e Psaume « I cieli immensi narrano »

2. C.W. Gluck :« Jamais dans ces beaux lieux » d’Armide

3. C.W. Gluck : chœur des Scythes d’Iphigénie en Tauride

4. J. Haydn : Andante de la 36e Symphonie (Hob. I :94 « La Surprise »)

5. A. M. Grétry : « La Garde passe, il est minuit », chœur des Deux Avares

6. W. A. Mozart : Menuet de la 39e Symphonie en mi bémol KV 543

 

D’après les programmes exécutés par l’orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire de 1828 à 18473 et le contenu de la préface, on peut penser qu’Alkan avait assisté à certains concerts de la Société des Concerts du Conservatoire entre 1842 et 1845 et qu’ils sont à l’origine de cet ouvrage. Il s’agit cependant pour Alkan d’autre chose que d’une simple transcription :

 

Quelque nombreux qu’aient été les essais de reproduction pure et simple au piano de certains chefs-d’œuvre lyriques et symphoniques, je crois offrir ici un travail nouveau dans ce genre, ou du moins conçu dans des idées plus en harmonie avec les progrès de la facture de cet instrument, et les ressources, les procédés d’exécution dont nous sommes redevables à quelques virtuoses modernes.4

 

Serait-il possible qu’il ait écrit ces œuvres avec l’objectif unique de conserver un souvenir de ces concerts ? Comme Alkan avait une philosophie particulière de « l’art du titre »5, son usage du titre dans ce cas avait-il des significations ou des fonctions particulières ?

Dans cet article, on tentera de comprendre quelle était l’intention d’Alkan en publiant cette collection.

 

Parcours musical d’Alkan

 

Alkan vit à la période où l’évolution du piano s’accélère : les manufactures de piano cherchent à se singulariser tant sur le plan du meuble que sur celui du mécanisme. N’ayant pratiquement jamais quitté la France, Alkan en a parfaitement conscience : né en 1813, il mena des études complètes au Conservatoire (piano, harmonie, accompagnement pratique et orgue)de 1820 à 1834, puis devint répétiteur et professeur adjoint de solfège dans le même établissement dès 1829 et jusqu’en 1836. Enfin, sa carrière musicale est étroitement liée à deux grandes manufactures françaises de pianos : la firme Érard, et la firme Henri Pape ; il n’est donc pas surprenant qu’il ait connu les derniers développements de la facture (l’invention de la mécanique à double échappement en 1821 par la maison Érard, qui permet la répétition rapide d’une seule note ; l’installation de la mécanique au-dessus des cordes, effectuée par la firme Henri Pape dans les années 1830, etc.), mais aussi les pianos étrangers, grâce aux riches collections instrumentales du Conservatoire à cette époque6.

Ses œuvres paraissent chez plusieurs éditeurs parisiens (Richault, Schlesinger, Heugel, Lemoine, etc.) et londonien (R. Cocks) depuis 1826 – son catalogue ne se limite pas à des pièces entièrement originales, certains ouvrages étant fondés sur un thème emprunté : Variations sur un thème de Steibelt pour piano op. 1 (1826), Variations pour le piano sur « Ah ! segnata è la mia morte » de Anna Bolena de Donizetti op. 16 no 4 (1834) et Variations sur « La tremenda ultrice spada » de I Capuleti e i Montecchi de Bellini pour piano op. 16 no 5 (1834) ; on y trouve aussi des transcriptions telles que la Symphonie en la majeurop. 92 de Beethoven, transcrite pour huit mains, (avant 1838, mais perdue) etleMenuet de laSymphonie en sol mineur KV 450 de Mozart, arrangé pour piano (1842).

Donc cette collection ne représente ni l’unique expérience d’Alkan, ni la première confrontation du compositeur à la question de la reproduction musicale ; ceci d’autant plus que les éditeurs ont joué un rôle essentiel dans sa carrière musicale. Une vingtaine d’années d’expérience de la composition lui ont fait comprendre qu’un ouvrage n’est pas seulement de l’art, mais aussi un produit. En d’autres termes, une transcription « réussie » doit répondre aux attentes du public, et la réussite de cette transcription est assez souvent liée à des politiques éditoriales7 ; on ne peut se borner aux questions purement musicales.

 

Aperçu du domaine de l’arrangement

 

Avant de préciser le dessein de sa nouvelle conception de la composition, il nous donne un aperçu sur ce qui existait alors dans le domaine de l’arrangement :

 

La première condition de la plupart des anciens arrangements était qu’ils fussent à la portée de tous les exécutants, quelle que fût leur force ou leur faiblesse. Les arrangements à quatre mains pour piano, beaucoup plus faciles à traiter, n’ont jamais été satisfaisants pour une oreille délicate que dans certains cas exceptionnels ; entre autres défauts, le va-et-vient continuel d’une même partie, d’un même dessin, aux deux exécutants, est un obstacle à toute unité d’intention et d’interprétation. De nos jours quelques artistes suivent les anciens errements ; d’autres font des transcriptions d’une difficulté à peu près insurmontable.

 

Pourtant, on ne peut pas considérer que ce texte ait été écrit uniquement pour exprimer son opposition aux arrangements à quatre mains pour piano, lorsqu’on prend en compte le fait qu’il avait achevé plusieurs compositions sous cette forme, telles quele Finale(1838), la Grande Fantaisie sur Don Juan (1844), l’Ouverture de l’opéra Le Prophète de Meyerbeer (1850), etTrois Marches (1857). En revanche, son intention est de nous faire comprendre qu’il est irréaliste d’espérer une stratégie compositionnelle satisfaisant toutes les attentes. En même temps, il suggère que cette collection est faite pour répondre à ceux qui ont une demande exigeante au niveau de l’interprétation. Le témoignage ci-dessous montre le défi personnel qu’il s’est fixé pour ce travail : découvrir une nouvelle sonorité sur une « nouvelle génération de pianos ». D’ailleurs, cet argument peut être une suggestion et un chemin amenant ses lecteurs au paradigme « piano choral/orchestral ».

 

Le choix de ces morceaux, le talent de les traiter, forment pour ainsi dire un art à part et qui exige, par-dessus toutes choses, un travail long et pénible, une extrême délicatesse, un tact, un instinct merveilleux et l’appropriation de tous les moyens dont on peut disposer aujourd’hui. C’est cet instinct, c’est ce tact qui dirigent le musicien intelligent, alors qu’il veut faire redire au piano les grands et magiques accents de l’orchestre et du chœur.

 

Son dessein compositionnel et quelques limitations

 

Ensuite, il évoque aussi une des mauvaises manières de transcrire :

 

[I]l faut citer aussi pour mémoire les arrangeurs et ceux qui, sous prétexte d’embellir les œuvres des grands maîtres, de leur donner plus d’éclat, plus d’effet, les ornent des agréments malheureux de leur propre imagination.

 

En un mot, il préfère garder l’idée originale du compositeur lorsqu’il transcrit.

 

Limitation instrumentale

Néanmoins, il sait qu’il n’est pas toujours facile d’éviter des transformations du texte original, même chez les grands compositeurs comme Weber, à cause des limitations de l’instrument. Dans ce cas, il est pour lui inévitable de modifier l’original afin de s’adapter à l’instrument.

 

[L]es lois qui doivent présider à tout travail de cette nature et signaler en même temps quelques-unes des fautes commises par le plus grand nombre de mes devanciers, bien que parmi eux il s’en rencontre plusieurs dont les noms et les mérites seront à jamais enviés […]. Je ne veux citer ici qu’un seul exemple, c’est l’attentat commis par Weber sur lui-même, dans la sublime ouverture du Freyschütz. Qui ne sent son cœur se gonfler d’émotion au seul souvenir de ce beau chant :

Eh bien, c’est de la façon suivante que Weber lui-même l’a traduit au piano :

Et le reste à l’avenant. Il faut dire à sa décharge que Weber écrivait pour les pianos de Vienne de son temps, et non pour les pianos de nos jours.

 

Limitation d’éditions musicales

 

La France attend et attendra longtemps encore, il se peut faire, des éditions correctes de la plupart des chefs-d’œuvre des plus grands maîtres.

 

À l’époque d’Alkan, la seule manière permettant d’approcher l’idée originale d’un compositeur décédé est une partition écrite. Toutefois, le piratage est un problème pour toute l’Europe pendant presque tout le XIXe siècle, à cause de deux raisons principales8 :

- En France, même s’il y avait eu l’établissement du « droit d’auteur » en 1793, les éditions étrangères sont en dehors de son champd’application. En d’autre termes, il est légal pour les éditeurs français de plagier les éditions étrangères.

- Une même œuvre peut être publiée par plusieurs éditeurs, avec ou sans l’autorisation de l’auteur, du fait qu’en dehors de France, avant la mise en place de la Convention de Berne en 1886, aucun pays européen n’était doté d’une législation protégeant le droit d’auteur. Dans cette situation, certains compositeurs comme Mozart et Haydn avaient choisi de vendre un même ouvrage en même temps à plusieurs éditeurs dans différentes villes ou pays pour se protéger. Leurs stratégies ont eu un rôle incitatif auprès des éditeurs (surtout viennois et allemands) dans le développement de leurs carrières9. D’autre part, comme il existe pour chaque œuvre plusieurs éditions présentant des indications différentes, c’était un enjeu pour les lecteurs d’identifier la version « correcte », ou de prendre une décision lorsqu’ils exécutaient ces œuvres.

Sous un autre angle, nous discuterons plus loin dans cet article de l’importance qu’Alkan donne à la fidélité de toute partition musicale.

 

Ses stratégies principales pour réaliser cette collection

 

Les stratégies compositionnelles

Elles s’établissent, au vu de la description qu’Alkan en fait dans l’avertissement, en croisant trois niveaux : le niveau de la création, le niveau de la partition, et le niveau de la réception.

- le niveau de la création. Son intitulé « Les illusions des voix et des instruments » est probablement venu de son inspiration personnelle et de ses expériences musicales :

 

Il est vrai que le nombre des morceaux d’opéras ou de symphonies, susceptibles d’être rendus au piano seul, d’une façon tout à la fois claire et complète, et dans la limite des difficultés abordables, doit, d’une part, être assez restreint, et, de l’autre, exiger une connaissance parfaite tant des effets, des timbres et de ce que j’appellerais les illusions des voix et des instruments, dans leur innombrables combinaisons, que de leurs relations avec les sonorités propres aux pianos modernes ; car ces sonorités sont multiples selon qu’on sait les obtenir par les diverses manières d’attaquer, par l’emploi intelligent de certains doigtés, de croisements de mains, etc.

 

Voici comment il envisage de réaliser ces « illusions », en relation avec les caractéristiques de l’écriture pour piano :

 

[…]qui lui suggèrent tantôt de masser certains accords d’une façon particulière, tantôt de présenter telles ou telles parties [sic]à cette octave plutôt qu’à cette autre, de surcharger ceci, d’alléger cela, enfin d’user de mille moyens ingénieux pour arriver, non à une ressemblance mathématique, mais à une ressemblance fidèle, relative, morale. De même celui qui se propose de traiter sérieusement ce genre, de faire revivre son modèle, pénétré et de ce qu’il veut reproduire et des ressources qu’il a en sa puissance, doit s’efforcer de fixer ces précieux effets que tantôt un travail opiniâtre, tantôt un hasard heureux lui révéleront. En un mot, en faisant tout entendre, savoir quelles parties doivent être accusées et comment elles doivent l’être, comment encore elles doivent être accompagnées, éclairées ou laissées dans l’ombre, tel est cet art, plus riche d’avenir peut-être qu’il ne le paraît d’abord. Inutile d’ajouter que, comme tout autre, il doit avoir ses procédés, c’est-à-dire ces formules que chacun peut s’approprier, mais qui ne sont rien si le sens divinateur, que peut seule donner la nature, vient à manquer. 

 

- le niveau de la partition. Ce sont les « ressources » qu’Alkan a indiquées au début de l’avertissement.

 

Pour ce qui concerne ces six fragments, j’ai épuisé tout ce que les bibliothèques publiques et les collections particulières offraient de ressources, afin d’arriver au plus haut degré possible d’exactitude.

 

Cette description nous fait penser aux deux innovations principales qui concernent l’édition musicale parisienne, et qui ont lieu vers 1800 : l’apparition des œuvres complètes, et le changement d’orientation de l’édition musicale. Pour Jean Gribenski, le premier changement a un lien direct avec la notion de « grand compositeur ». Le second changement est une nouvelle ère qui débute dès les premières années du XIXe siècle : dorénavant, la publication de partitions ne se limite pas à l’opéra français, mais à des œuvres destinées à l’orchestre et publiées seulement sous la forme de parties séparées. Puis l’usage de la partition est devenu multiple, elle peut être un objet d’étude mais aussi servir à l’exécution10. D’ailleurs, les compositions musicales peuvent continuer à vivre, même après le décès du compositeur.

Lepropos d’Alkan n’est pas de faire une révision scientifique face aux multiples éditions, mais la réalisation de cette collection permet de la considérer comme une révision « artistique ».

 

Je ne me suis décidé pour telle ou telle version, pour telle ou telle nuance, qu’après de mûres réflexions, ou après une collation des plus minutieuses. Dans les endroits douteux, mais où le choix me semblait indifférent, j’ai opté avec [sic] la majorité des éditions.

 

- le niveau de la réception, qui est lié aux exécutions des virtuoses dans le cadre des Concerts du Conservatoire. Étant donné que les concerts institués au Conservatoire sont très populaires auprès des Parisiens qui s’intéressent à la musique11, ces instrumentistes donnent au public la possibilité d’approcher la musique de manière sensible grâce à leurs qualités d’interprétation età l’originalité des programmes. Cette expérience a sans doute aidé Alkan dans son approche de l’idée originale du compositeur.

 

[…]toutefois la magnifique exécution des concerts du Conservatoire m’ayant singulièrement aidé à en apprécier toute la beauté et toutes les finesses […]

 

Des stratégies commerciales

Son dessein de constituer une collection destinée à un usage multiple est aussi lié à un intérêt éditorial :

 

[…]je pense que cette première collection pourra satisfaire et ceux qui aiment à se rappeler, à reproduire les belles choses qu’ils ont entendues au théâtre ou au concert, sans accompagnement obligé de variations, arpèges et enjolivements de toutes sortes, lesquels doivent être réservés pour le genre de musique qui les comporte, et ceux qui voudraient du même coup trouver un aliment à l’étude, une certaine difficulté à vaincre et susceptible d’être vaincue.

 

Comme cette collection est destinée aux gens qui travaillent, et à ceux qui souhaitent se remémorer ce qu’ils ont entendu, les idées d’Alkan concernant les défauts des transcriptions pour piano à quatre mains et son respect de la partition écrite semblent marquées par la raison.

D’autre part, sa stratégie concerne les deux parties du public : celle qui préfère la musique lyrique comme l’opéra, et celle qui se passionne pour la musique symphonique12.

 

 

L’usage du titre

 

Pour terminer, nous allons essayer de traiter la question de l’usage du titre. Avait-il des significations ou des fonctions particulières ? En dehors de la signification directe de l’expression, il s’agit de son propre souvenir de certains concerts du conservatoire, et on peut envisager le mot « souvenir » de son titre comme une métaphore de sa notion de ce qu’est la transcription. L’objet qu’il transcrit est multiple et le choix se fonde sur sa perception subjective, depuis sa propre illusion des voix et des instruments (celle-ci venait de ses expériences musicales et de son inspiration) jusqu’à sa réception auditive dans le cadre des Concerts du Conservatoire (celle-là liée à l’interprétation de l’ouvrage musical à partir d’une partition écrite), et jusqu’à l’acte de choisir entre des versions différentes des partitions musicales. Ce processus naît de la création d’un souvenir, qui se construit par un processus intellectuel en trois étapes (l’encodage, la consolidation, et la remémoration).

Le second point concerne ses lecteurs. L’usage du titre principal « souvenirs des concerts du Conservatoire » et de chaque sous-titre (composé des noms des pièces originales et du compositeur) joue un rôle d’abord pour rappeler à leur mémoire la sonorité orchestrale et chorale, puis pour les guider afin de créer des illusions auditives « piano choral et orchestral » fondées sur leurs souvenirs, lorsqu’ils apprécient ou exécutent ces six transcriptions.

 

 

Conclusion

 

Durant la vie d’Alkan, une composition, et plus encore une reproduction (transcription, arrangement, fantaisie d’après des extraits d’opéras ou de symphonies, etc.), est un art mais aussi un produit. D’une certaine façon, la composition est faite pour répondre aux attentes du public. Parfois, elle est le fruit d’un compromis avec la politique commerciale des éditeurs. Dans ce contexte social, Alkan tente de réunir des ressources matérielles (les progressions de la facture instrumentale et l’évolution de l’édition musicale) et des ressources immatérielles (l’interprétation des ouvrages musicaux), pour créer un modèle original dans l’art de la transcription. Sous l’angle de la reproduction, Alkan a choisi de réaliser les Souvenirs des concerts du Conservatoire en se fondant sur une pensée de la fidélité aux idées originalesd’un compositeur. D’autre part, grâce à son usage du titre, et grâce à ses innovations dans l’écriture pianistique, son travail répond à trois niveaux d’attente :

- ce qui concerne son effort personnel, dans l’aspect de l’écriture pianistique. Alkan découvre un nouveau chemin pour rendre au piano la puissance et la richesse des sonorités de l’orchestre et du chœur ;

- la conception d’un usage multiple de cette collection peut correspondre à la politique éditoriale : diffuser leurs produits au plus grand public possible ;

- la qualité de ces œuvres doit satisfaire les oreilles les plus difficiles.

Notre approche de la notion de transcription est fondée sur l’analyse de données textuelles (lapréface de la première série des Souvenirs des concerts du Conservatoire écrite par Alkan en 1847), en croisant l’enquête philologique avec le contexte historique et le contexte sociétal. Cependant, l’intervalle temporel qui s’étend de la jeunesse d’Alkan jusqu’à la fin de la période dont nous parlons dans cet article ne peut être présenté comme couvrant la totalité de son point de vue concernant ce sujet. Nous aurions pour cela besoin d’une étude plus étendue et fondée sur des œuvres plus diversifiées. Cette observation devrait permettre la clarification de l’influence des transcriptions et arrangements d’Alkan sur l’élaboration de sa propre écriture orchestrale, comme le permettrait l’étude comparée de plusieurs transcriptions et arrangements composés durant les différentes périodes de son activité créatrice et l’interaction avec d’autres domaines tels que le changement d’orientation de la société et de la culture.

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1847, préface de la première série des Souvenirs des concerts du Conservatoire, Paris, Brandus & Cie.

 

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Notes

1 SMITH, Ronald, Alkan: 2. The Music, Londres, Kahn & Averill, 1987. Voir aussi EDDIE, William Alexander, Charles Valentin Alkan: his life and his music, Aldershot, Ashgate, 2007.

2 NATTIEZ, Jean-Jacques, Profession musicologue, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2007, p. 13.

3 ELWART Antoine, L’Histoire de la Société des concerts du Conservatoire impérial de musique, avec dessins, musique, plans, portraits, notices biographiques, Paris, S. Castel, 1864.

4 Toutes les citations en retrait du texte proviennent de la Préface publiée par Alkan en tête de la première série des Souvenirs des concerts du Conservatoire (1847).

5 WAEBER, Jacqueline, « Du bon usage des titres : le cas Alkan », in Waeber Jacqueline, La Note bleue : mélanges offerts au Professeur Jean-Jacques Eigeldinger, Bern, Peter Lang, 2006, p. 244 : « On ne trouvera pas d’autre compositeur qui ait pratiqué avec une telle persévérance cet « art du titre », si ce n’est Chopin […]. Tant Chopin qu’Alkan ont en commun le goût pour la dissonance générique, consistant à faire référence à un genre donné (ce qui est généralement établi par le titre même de la pièce: nocturne, valse…), puis à parasiter cette référence en y injectant de nouvelles références génériques. »

6 Il existe plusieurs modèles de piano français, anglais, allemands, et viennois au Conservatoire. Voir DE LA GRANDVILLE, Frédéric, « Chapitre 8, Patrimoine des pianos », in Histoire du piano au Conservatoire de musique de Paris 1795-1850, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 179-203.

7 Par exemple, l’éditeur Maurice Schlesinger a fondé la « Société pour la publication de musique classique et moderne à bon marché », avec le but de mettre la musique « à la portée du plus grand nombre des amateurs » en 1834. Voir DEVRIÈS-LESURE, Anik, « Un éditeur de musique « à la tête ardente », Maurice Schlesinger », in Fontes Artis Musicae, vol. 27, no 3/4, 1980, p. 128.

8 GRIBENSKI, Jean, « Quelques réflexions sur l’édition musicale parisienne à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle », in Revue de Musicologie, vol. 84, no 2, 1998, p. 304-307.

9 DEVRIÈS-LESURE, Anik, « Paris et la dissémination des éditions musicales entre 1700 et 1830 », in Revue de Musicologie, vol. 84, no 2, 1998, p. 298.

10 GRIBENSKI, Jean, « Quelques réflexions sur l’édition musicale parisienne à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle », op. cit., p. 306.

11 DANDELOT, Arthur, La Société des Concerts du Conservatoire (1828-1923) avec une étude historique sur les grands concerts symphoniques avant et depuis 1828, Paris, A. Delagrave, 1923, p. 8.

12 LEDENT, David, « L’institutionnalisation des concerts publics », in Appareil [https://appareil.revues.org/809], no 3, 2009, p. 6, consulté le 16 mars 2016.

Pour citer ce document

Chia-Yu Hsu, «Un regard sur les Souvenirs des concerts du Conservatoire de Charles-Valentin Alkan (1813-1888)», La Revue du Conservatoire [En ligne], Création / Re-création, La revue du Conservatoire, Le cinquième numéro, mis à jour le : 23/06/2017, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=1605.

Quelques mots à propos de :  Chia-Yu Hsu

Chia-Yu Hsu est actuellement inscrite en thèse à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).Son talent pour la musique a été découvert dès sa petite enfance, elle a commencé le piano à 4 ans, et le violon à l’âge de 11 ans. Passionnée par la musique et les pianos historiques desXVIIIe et XIXe siècles, au cours de ses études à la Hochschule für Musik, Theater und Medien de Hanovre en Allemagne et au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris(CNSMDP),elle a eu l’occasion de découvrir d’importantes collections de pianos historiquesde conceptions différentes, fabriqués par divers facteurs dans les grands centres de production en Angleterre, Allemagne, Autriche et France. Dès 2013, Chia-Yu Hsu s’intéresse à Charles-Valentin Alkan à la fois comme interprète et comme chercheuse.